Soupçonné par la justice italienne d’avoir joué un rôle capital dans l’affaire des commissions versées par l’entreprise Saipem, Farid Bédjaoui se retrouve au-devant de la scène médiatique. Installé à Dubaï, le neveu de Mohamed Bédjaoui a réussi à bâtir une fortune considérable grâce à l’argent de l’Etat algérien.
La justice italienne a fini par faire tomber son masque. L’enquête menée par les magistrats du tribunal de Milan, dans l’affaire Saipem, a fait sortir au grand jour un personnage tapi dans l’ombre : Farid Bédjaoui. L’homme est soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire entre des dirigeants de la filiale du groupe pétrolier italien et de hauts responsables politiques algériens. Le montant des commissions est estimé à 198 millions de dollars américains par la justice italienne.
Une somme qui pourrait être revue à la hausse à mesure qu’avanceront les investigations des magistrats italiens. Il faut dire que l’efficacité de Farid Bédjaoui a permis à Saipem de remporter de très nombreux contrats dans le secteur des infrastructures énergétiques. Une réussite qu’il doit avant tout à sa proximité avec l’ancien ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil.
Empires
Qui est Farid Bédjaoui ? Né le 20 septembre 1969 en France, Farid est le fils de Nourredine Bédjaoui, frère de l’ancien ministre des Affaires étrangères et ex-président du Conseil constitutionnel, Mohamed Bédjaoui. C’est au Canada qu’il passera l’essentiel de sa jeunesse avec ses frères Ryadh et Réda. Diplômé d’HEC Montréal (Hautes études commerciales), Farid se lance dans le négoce de produits alimentaires.
Ambitieux, il sait tirer profit de l’influence de sa famille pour monter plusieurs opérations d’exportations vers l’Algérie. Mais sa réussite, il la doit surtout à sa belle-famille : les Dalloul. Farid est marié à Raïna, la fille de l’ancien ministre de la Défense libanais, Mohsen Dalloul. Homme politique puissant, il a bâti un véritable empire financier en investissant dans le secteur de la téléphonie mobile. En 1994, la tête du groupe Omium, son fils Nizar est chargé de lancer LibanCell, le premier opérateur de téléphonie mobile du Liban.
Omium décrochera par la suite les licences GSM au Liberia, Gambie, Sierra-Léone et en Côte-d’Ivoire. Ziad Dalloul, son autre frère, se lance dans la prestation de services de télécommunications en créant Lintel. Pour réussir en Algérie — pays où il ne s’est rendu que très rarement — Farid Bédjaoui a juste appliqué le système mis en place par sa belle-famille : user de son pouvoir pour amasser plus d’argent.
Le pouvoir, Farid en dispose suffisamment en Algérie depuis l’arrivée de Abdelaziz Bouteflika. Son oncle, Mohamed, est une personnalité respectée. Le jeune homme profite des connaissances du président de la Cour internationale de justice pour mettre en place ses réseaux. Avec l’envolée du prix du pétrole, il sait que l’argent se trouve dans le secteur des hydrocarbures. Le pouvoir, c’est en la personne de Chakib Khelil qui le trouve. L’alliance entre les deux hommes va s’avérer redoutablement efficace.
Actions
En 2002, Farid Bédjaoui et son beau-frère Zyad Dalloul créent Rayan Asset Management. Basé à Dubaï, Rayan est le représentant exclusif pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de Russell Investments, un des plus importants fonds d’investissement américain. Presque simultanément, Chakib Khelil, qui était alors ministre de l’Energie et président-directeur général de Sonatrach, décide de confier à Farid et Zyad la vente des actions que détenait la compagnie nationale d’hydrocarbures sur les compagnies américaines Anadarko et Duke Energy. Pour l’Etat algérien, ces actions ont surtout une valeur politique puisqu’elles ont été obtenues au terme d’une longue procédure d’arbitrage engagée dans le cadre de l’affaire de vente de gaz aux Etats-Unis, la fameuse affaire El Paso.
Par la simple volonté de Chakib Khelil, Rayan Asset Management se retrouve à gérer un portefeuille d’actions de plus d’un milliard de dollars américains. «Les fonds ont été restitués et on fait un gain de 600 millions de dollars sur un investissement d’un milliard de dollars. Donc on a gagné pratiquement 60% sur ces fonds (…) Ce qui est important à retenir, c’est que nous avons gagné 600 millions de dollars sur un milliard de dollars de placement. Et vous pouvez imaginer si on avait un peu plus d’argent, on aurait pu gagner un peu plus», s’est enorgueilli, en 2010, l’ex-ministre de l’Energie. Des propos tenus deux jours avant qu’il ne quitte définitivement le gouvernement.
Aujourd’hui, grâce au coup de starter impulsé par les fonds publics algériens, Farid Bédjaoui et Zyad Dalloul gèrent pour plus de huit milliards de dollars d’actifs au Moyen-Orient et en Asie. Dans le secteur des hydrocarbures, Bédjaoui a fait en sorte d’être présent à plusieurs niveaux. Ainsi, il aurait fait en sorte de «privilégier» la sélection d’entreprises spécialisées à chaque contrat remporté par Saipem. Il s’avère que ces sous-traitants sont originaires de Syrie ou du Liban. Selon certaines informations, l’épouse d’un ministre était même actionnaire dans l’une de ces sociétés. Le circuit de la sous-traitance aurait rapporté des dizaines de millions de dollars par an à ses initiateurs.
Farid Bédjaoui aurait également suivi de très près le projet de la nouvelle ville de Hassi-Messaoud. Usant de son influence au ministère de l’Energie et des Mines, il aurait géré le processus de sélection de l’entreprise chargée de réaliser l’étude du futur Hassi-Messaoud. Avec un contrat de plus de 300 millions de dollars à la clé, la bataille a opposé deux bureaux d’étude, un Nord-américain et un Asiatique. Mais ni l’un ni l’autre ne l’emportera puisque le marché a finalement été résilié. Hyperactif, on retrouve également sa trace dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest. Un scandale dans lequel son oncle Mohamed Bédjaoui, alors ministre des Affaires étrangères, est impliqué. Farid aurait joué un rôle important au côté de Pierre Falcone puis de Jean-Yves Ollivier, deux personnages-clés dans cette affaire.
Investissements
Aujourd’hui, Farid Bédjaoui est à la tête d’une fortune colossale. En l’espace de quelques années, il serait parvenu à détourner plus de 800 millions de dollars dans ses activités en Algérie. Une grande partie de cet argent a été investie dans l’immobilier. En France, en Espagne, au Moyen-Orient et surtout au Canada. A Montréal, la gestion du patrimoine a été confiée à Ryadh et Réda. En 2011, Ryadh a été chargé, via une société écran, d’acheter trois lots de terrain à Westmount, le quartier le plus huppé de la ville. Une transaction de 3,7 millions de dollars canadiens qui avait attiré l’attention des autorités et de la presse locales du fait de la surévaluation de ces biens. Actuellement, Farid Bédjaoui vit Dubaï dans une propriété de 3 000 m2 située à Emerites Hills, une des zones les plus prestigieuses de l’émirat. Il est également propriétaire d’un jet et d’un yacht immatriculé à Saint-Vincent-etles- Grenadines. Des biens acquis grâce à l’argent des contribuables algériens.
T. H.