Achoura en Kabylie : Piété et réjouissances

Achoura en Kabylie : Piété et réjouissances

La fête de l’Achoura a toujours eu un cachet particulier dans les villages de cette région. Ici, un tour du côté de Béni Douala.

« Ce n’est pas hier qu’on a commencé à se préparer », nous dit Loukil Si Mouloud Hellouane. « C’était juste au lendemain de l’Aïd El Kebir », ajoute- t-il. Akkal Averkanne (Terre noire) est pourtant familier des grandes affluences.

Même pendant la période du terrorisme, les flots ne sont jamais taris. Lors de toutes les fêtes religieuses, des milliers de gens viennent ici et ce n’est pas une mince affaire de canaliser et de servir tout le monde. C’est d’abord une épreuve pour y arriver. Il faut parfois stationner quatre kilomètres plus loin et marcher à pied au milieu d’une cohue de voitures. Samedi déjà, certains visiteurs sont arrivés.

Le soir, jusqu’ à vingt-trois heures, il y a eu des séances collectives de lecture du Coran et des chants religieux kabyles qui montrent que l’occasion est d’abord d’une essence religieuse. Un bœuf a été sacrifié et les femmes et quelques hommes procèdent déjà aux préparatifs dans la cuisine. Des sacs de semoule ont été répartis sur les foyers.

On se fait un point d’honneur à servir à tout passager un plat de couscous avec de la viande et des boissons chaudes. Des chants liturgiques de femmes retentissent. L’Islam est vécu dans ses valeurs d’entraide et de solidarité.

DIRECTION AKKAL

Ce mausolée où est enterré Abdellah Banou Hassen est intimement lié à la mémoire locale. Peu de gens connaissent l’histoire de son arrivée mais on sait seulement qu’il y est enterré depuis au moins neuf siècles et que son fils Khaled est le saint vénéré dans un village voisin, Ath Bouyali.

On s’y rend pour solliciter secours et aide auprès du Tout-Puissant.

Dans les années 50, Cheikh El Hasnaoui chantait déjà pour l’émigré seul qui ne pouvait dans le froid de l’exil compter que sur la baraka des saints de son pays. Les temps ont certes changé mais la fidélité est demeurée intacte.

Même s’il a plu, les alentours d’Akkal Averkane ne sont pas vides.

Des filles en hidjab et robes kabyles s’y précipitent. On arrive aussi en couple d’ici mais aussi d’Alger et de plus loin. L’Achoura où l’on sort l’achedlouh (viande séchée) est un moment où l’on n’oublie jamais ses filles mariées. Il est inutile de demander à ce chauffeur où se dirige ce groupe de femmes qui lancent des youyous dans son fourgon. Si elles ne se rendent pas à Akkal, elles doivent sûrement prendre la direction d’un quelconque saint tutélaire qui essaiment sur les collines de Kabylie. Les femmes ne rasent pas les murs mais s’en vont allégrement sur les routes.

En ce dimanche, il pleut abondamment et les monts du Djurdjura qu’on croit pouvoir toucher en tendant le bras sont noyés dans des amas de nuages opaques. Les visiteurs sont moins nombreux que l’an dernier et le terre-plein où s’élève le mausolée, d’habitude rempli de femmes aux robes chatoyantes est vide. Elles se sont réfugiées dans une aile au toit pentu de tuiles rouges ou prient sous le mausolée.

Elles se retrouvent aussi près du catafalque pour solliciter l’intercession du saint homme.

Abdelkader, comme tous les autres éloignent d’un revers de main toutes les rumeurs répandues sur la validité religieuse de ces rites communautaires. «Ici, nous n’associons personne à Dieu unique et Tout-Puissant mais les walis Essalihine sont cités dans le livre saint et nous sommes dans la voie de nos pères ».

A tout prendre vaut mieux cet Islam que celui qui rend licite et encourage le crime et la destruction fait remarquer un visiteur.

«Ce que nous faisons est pour fortifier et glorifier notre religion ». Longtemps, on a voulu faire aussi de ces festivités une sorte de marché au mariage. « Ici, nous explique un délégué de village, il y a une stricte séparation des sexes ».

Une barrière métallique court en effet de long en large et les gardiens sont à l’affût. Certes, sous un temps printanier, des filles perchées sur le mur d’enceinte regardent des jeunes adossés en contrebas mais on est loin de toute atmosphère de dévergondage. «C’était surtout dans le bon vieux temps », nous dit un étudiant. Aujourd’hui, les filles sortent, étudient, se connectent à Internet et on n’a pas besoin d’une telle occasion ». Lui habite Tizi et avec sa famille il est venu à Taourit Moussa «spécialement pour l’Achoura où on se revoit».

CHŒUR DE VŒUX

En face, une grande salle où dos au mur sont assis de vénérables vieillards. Des cadres renfermant des versets du Coran sont accrochés aux quatre coins. Devant eux, un tapis où s s’entassent les offrandes. Des couples mais aussi des garçons et filles viennent y déposer des billets ou des pièces.

Ils ne ressortent pas sans écouter les vœux que le cheikh prononce et sans prendre un morceau de sucre. Les autres vieux ponctuent ses vœux par de répétitifs « Amin ».

Ils sont tous d’Ath Bouyahia. Il faut relire Feraoun ou Bourdieu pour se retrouver dans le système de nomination. Le village est divisé en cinq fractions et chacune doit designer deux des siens pour assurer la fonction d’oukil. Un système de rotation qui satisfait tout le monde et ne lèse personne.

L’oukil qui travaille en étroite collaboration avec le comité de village ne s’occupe que du mausolée. Les affaires profanes comme les démarches de réconciliation entre villageois, d’obtention de projets collectifs ou de travaux collectifs relèvent du comité. Chaque villageois qui travaille doit débourser 50 DA.

Les amendes pour les contrevenants à la morale ou aux lois édictées par l’assemblée générale sont des ressources supplémentaires. L’argent ira à l’entretien des lieux. C’est la mission de l’oukil justement de veiller à ce que le mausolée qui surplombe une vaste mosquée inaugurée en 2003 par le ministre être des Affaires religieuses ne manque de rien. Il y a à côté une zaouïa où une vingtaine d’élèves venus des quatre coins du pays apprennent le Coran et leurs frais sont assurés par les offrandes.

Akal Averkane est géré par le comité de village d’Ath Bouyahia, l’un des bourgs les plus peuplés. Il compte un peu plus de 8000 habitants et ses habitants son réputés pour la piété et la connaissance de la langue arabe. C’est eux qui avaient construit sur leurs propres fonds une zaouïa.

Elle est venue remplacer l’ancienne qui avait fait office d’école de l’enseignement originel avant que l’éducation nationale ne la récupère en 1976. « Taachourt », comme on désigne cette fête, a aussi un aspect profane. Certaines traditions comme la coupe des cheveux à l’enfant en signe de souhaits de longue vie et de bonheur ne sont plus vraiment respectées.

« Dans le temps, nous dit-on, on recommandait aux gens de ne pas travailler ce jour sous peine de trembler des mains à vie ». Dans certaines maisons on laissait de côté », une assiette pour la fée de l’Achoura, une sorte de « mère Noël » qui ravissait les gosses. C’est surtout l’unique occasion pour les villageois de se retrouver, de connaître entre eux. Un membre d’une association culturelle des Aghribs nous dit que «cela permet aussi de faire connaître à travers des expositions notre patrimoine aux plus jeunes ».

Dans certains villages comme Boumessoud d’où est natif le grand compositeur Cherif Kheddam, on a procédé à l’immolation de bœufs qui permettront de partager le même repas et de communier. A Ait Kheir, célèbre village de potiers sur les hauteurs de Mekla, l’Achoura ne se passe jamais sans le tambour.

La fête prend son sens. Religieuse et profane. L’Achoura en Kabylie est un moment attendu pour la chaleur des retrouvailles et le moment de ferveur qu’elle offre aux croyants.

Reportage réalisé par : R. Hammoudi.