Attendu pour la soirée de samedi, le verdict de l’affaire du détournement des 3 200 milliards de centimes de la Banque nationale d’Algérie (BNA) a été rendu hier en milieu de matinée par le tribunal criminel près la cour d’Alger.
Il aura donc fallu à M. Belkherchi, aux deux assesseurs et aux deux jurés, plus de vingt-quatre heures à se construire l’intime conviction pour l’établissement de la culpabilité de certains accusés et l’innocence des autres.
Ils ont répondu par l’affirmative à toutes les questions relatives aux chefs d’inculpation retenus contre le principal accusé Achour Abderrahmane.
Ce dernier a été condamné à une peine de 18 ans de prison ferme. Tout comme les trois autres accusés extradés du Maroc. Il s’agit de l’associé de Achour Abderrahmane, Aïnouche Rabah, de l’un des beaux-frères, Settouf Baghdad et de Merarbi Hassiba, la secrétaire.
Les chefs d’inculpation retenus contre eux se résument dans l’association de malfaiteurs, détournement de deniers publics, émission de chèques sans provision, escroquerie et faux en écritures bancaires.
Quant au deuxième beau-frère du principal accusé, Settouf Djamel, il a écopé de 14 ans de prison ferme. Tout comme Amari Mohamed ex-directeur du réseau d’exploitation, Dahmani Ahmed, directeur régional à Koléa et Benmiloud Mustapha, ex-directeur de l’agence de Cherchell.
Les quatre ont été inculpés, outre d’association de malfaiteurs, de complicité dans le détournement de deniers publics. D’autre part, une peine de 10 années de prison ferme a été infligée à Mezaghrani Akila, ex-directrice par intérim de l’agence de Bouzaréah et à Kherroubi Lakous, directeur-adjoint de l’agence BNA de Cherchell, contre lesquels le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs n’a pas été retenu.
Idem pour Medjadji Omar, ex-chef de se section portefeuille à l’agence BNA de Bouzaréah et Boughernout Ali, ex-chef de section portefeuille à l’agence BNA de Koléa qui ont écopé d’une peine de 7 ans de réclusion.
Le chauffeur du groupe Achour, qualifié par le procureur général d’homme de confiance du principal accusé, contre lequel l’inculpation d’association de malfaiteurs n’a pas été retenue, a bénéficié de circonstances atténuantes.
Il s’est vu infliger une peine de 6 ans de prison ferme. Les trois commerçants qui ont créé des sociétés en association avec Abderrahmane Achour et dont le tribunal a démontré qu’ils ont finalement servi de prête-nom, ont écopé de 5 ans de prison ferme.
Il s’agit de Gueliî Bachir, Zeddam Mohamed Lamine, Badèche Moussa. Toutes ces peines ont été assorties d’amendes allant de 1 à 2 millions de dinars, avec confiscation des biens.
Le tribunal criminel a prononcé des peines de prison avec sursis et des acquittements. Ainsi, l’inspecteur général de la BNA, Nadir Mohamed et le directeur de la comptabilité, Timrabet Samir, ont été condamnés à une année de prison avec sursis.
Deux années de prison avec sursis ont été retenues contre Louati Malika épouse Aïnouche et Settouf Djamila épouse Achour.
Tout le reste des inculpés ont bénéficié de la relaxe, dont l’ex-PDG de la BNA, Mourad Chikhi, les commissaires aux comptes et les experts comptables. Ils sont au nombre de six.
Cris, pleurs et évanouissements
Le prononcé du verdict était à peine audible, en dépit du silence religieux qui régnait dans la salle.
D’ailleurs, ni les accusés ni leurs familles n’ont réagi à la lecture des jugements. Ce n’est qu’une fois la séance levée qu’ils se sont rués vers les avocats pour connaître la sentence.
Hassiba Merarbi lancera le premier cri quand elle apprendra la peine qui lui a été infligée. «Hasbi allah ou ni’ma el ouakil», lancera-t-elle au moment où elle est «invitée» avec ses co-détenus de quitter la salle d’audience.
«Ceux qui ont volé sont en liberté», dira-t-elle encore en sanglotant. «Je n’assisterai certainement pas à l’enterrement de ma mère». Et d’ajouter : «Une criminelle a été condamnée pour assassinat à seulement douze années de prison et à moi on inflige 18 ans. On ne m’a pas considérée comme simple secrétaire, mais comme bras droit de Achour et sa tête pensante».
Mouaissi Mustapha, le chauffeur, choqué était abattu. Pas très loin, l’ex-directrice de l’agence BNA de Bouzaréah cherchait des yeux ses proches.
Elle semblait, comme elle l’avait déclaré lors de son audition, «abandonnée à son triste sort».
Son avocat tente de la réconforter : «Courage ! On va se pourvoir en cassation.» Akila Mezaghrani lui répliquera : «J’ai tenu le coup pendant toute la durée du procès. S’ils m’ont eu avec cette condamnation, ils n’altèreront pas mon moral. C’est le procès de la honte».
Très serein, Achour abderrahmane gardait toujours le sourire : «Je m’y attendais. Ne vous ai-je toujours pas dit comment cela allait se passer ?», lancera-t-il à ses co-accusés. Se retournant vers l’assistance il dira : «C’est un procès inéquitable, sans le corps du crime».
En revanche, Rabah Aïnouche est resté de marbre après le verdict. Les familles se sont rapprochées des condamnés pour les réconforter. «N’ayez pas peur, vous n’êtes ni des assassins ni des terroristes».
Ce à quoi Merarbi Hassiba répondra : «Les terroristes qui ont égorgé ont bénéficié de la réconciliation nationale».
Invitées à quitter la salle d’audience, les familles ne contenaient plus leur colère : pleurs, évanouissements, cris. Chacune y est allée de ses appréciations des jugements qualifiés d’injustes, de «hogra».
La maman de Hassiba Merarbi est prise d’un malaise. Elle a été évacuée par les services de la Protection civile. D’autres le seront aussi.
Le président de l’audience regagne la salle pour entamer la procédure de la contumace à l’encontre de Timidjar Omar, ex-directeur de l’agence BNA de Bouzaréah, toujours en fuite. M. Belkherchi le fait appeler par le greffier.
Le constat de son absence établi, le procureur requiert 20 années de réclusion à son encontre. Il sera suivi par le tribunal qui prononcera la sentence. S’ensuivra alors l’action civile.
Les avocats de la BNA présenteront leur requête au président. Ils demandent un premier dédommagement pour la somme dilapidée d’un montant de 2 186 231 0549,78 DA, 30% de la somme principale au titre du préjudice financier et matériel de l’ordre de 6 558 693 194,93 DA et 10% de la somme principale au titre du préjudice moral de l’ordre de 2 186 231 054,97 DA.
Les avocats des condamnés contestent la requête de la partie civile car «juridiquement infondée». «L’expertise n’a pas fait état de sommes dilapidées, mais de préjudice subi par la banque.
En l’absence de documents attestant de la somme exacte du préjudice, les avocats ont considéré que les demandes de la partie civile sont infondées et illégales.
Le tribunal se retire pendant quelques minutes pour délibérer. A la reprise de l’audience, le président donne lecture du verdict. Les accusés sont condamnés à rembourser solidairement la somme du préjudice subi.
A savoir les 2 100 milliards de centimes. Toutefois, la BNA ne pourra jamais récupérer l’argent dilapidé ni son équivalent, vu que le juge a décidé du séquestre judiciaire sur l’ensemble des biens.
Par conséquent, le produit de la vente de ces biens reviendra de droit au Trésor public. D’autre part, les saisies déjà effectuées par la banque n’atteignent même pas les 100 milliards de centimes.
Aussi, la destination de la somme dilapidée (2 000 milliards de centimes) demeurera inconnue.