Dans une récente vidéo, le créateur de contenu Marc Mauva raconte sa surprise face à un paradoxe aussi fascinant qu’injuste : en plein Sahara algérien, il est possible d’acheter une truffe blanche du désert appelée terfess pour une cinquantaine d’euros, alors que cette même truffe peut être revendue jusqu’à 900 euros dans les restaurants gastronomiques d’Europe.
Ce constat l’a conduit à s’intéresser à l’origine de ce champignon rare, et au circuit qu’il emprunte avant d’arriver dans les cuisines étoilées. Son enquête l’a mené dans le Sud algérien, notamment autour de Ghardaïa, Ouargla et Béchar, où la truffe pousse naturellement sous le sable, après les premières pluies.
Sur les marchés locaux, elle se vend au kilo, selon sa taille et sa couleur, à des prix modestes comparés à ceux qu’elle atteint à l’étranger.
Derrière cette différence vertigineuse de valeur se cache un marché opaque, dominé par des intermédiaires qui exportent discrètement ce produit vers les pays du Golfe et l’Europe, sans véritable contrôle ni traçabilité. Pour les habitants du Sud, la terfess reste avant tout une source de revenu saisonnière, issue d’un savoir-faire ancestral.
Mais pour les revendeurs étrangers, c’est une mine d’or culinaire à faible coût d’origine, transformée en produit de luxe dès qu’elle franchit la Méditerranée.
Cette situation révèle un déséquilibre économique criant : l’Algérie détient une ressource rare, naturelle et recherchée, mais ne profite encore que très partiellement de sa valeur réelle sur le marché mondial.
Qu’est-ce que la truffe blanche du désert ?
La terfess appartient à la famille des truffes du désert, des champignons souterrains qui poussent à proximité de certaines plantes du Sahara, notamment le réguiq. Elle apparaît après les pluies, lorsque le sol se fissure et que l’humidité s’installe sous la surface.
Contrairement à la truffe noire européenne, la truffe du désert n’a besoin d’aucune culture : elle pousse naturellement, sans engrais, sans irrigation, portée par un équilibre écologique unique.
Sa chair blanche, parfois légèrement rosée, dégage un parfum subtil rappelant la noisette ou le champignon frais. Dans les foyers sahariens, on la prépare simplement, sautée, grillée ou intégrée dans des plats locaux. Son goût fin et sa texture délicate en font un produit recherché, non seulement dans les régions du Sud, mais aussi dans les cuisines les plus raffinées.
Depuis quelques années, les gastronomes étrangers s’y intéressent de plus en plus. En Europe et dans les pays du Golfe, la terfess est perçue comme une curiosité exotique, une truffe rare venue des sables. Son origine naturelle et son absence de traitement chimique séduisent les consommateurs en quête d’authenticité.
Mais cette fascination extérieure s’accompagne d’une exploitation parfois incontrôlée : les zones de récolte s’étendent, la pression augmente, et la ressource s’amenuise.
Une richesse nationale à encadrer
Chaque année, entre février et avril, la truffe du désert surgit dans les plaines et dunes du Sud algérien. Des centaines de familles partent à sa recherche, souvent à pied ou avec de simples outils. Ce savoir-faire traditionnel se transmet de génération en génération, mais il demeure fragile face à l’absence de réglementation claire.
Sur les marchés de Ghardaïa ou de Béchar, le kilo de truffe blanche se négocie entre 5 000 et 25 000 dinars, soit 30 à 150 euros, selon la qualité et la période. Ces prix, déjà considérés comme élevés localement, restent pourtant dérisoires comparés à ceux pratiqués à l’étranger.
Certains commerçants vendent directement à des acheteurs venus du Golfe, où la demande explose, tandis que d’autres produits quittent le pays de manière informelle pour alimenter des circuits parallèles.
Aucun chiffre officiel ne recense encore la production nationale de truffe. Cependant, plusieurs chercheurs alertent sur une baisse progressive des récoltes, liée à la diminution des précipitations et à la surexploitation des zones naturelles.
Des laboratoires universitaires étudient aujourd’hui des solutions de culture contrôlée grâce à la mycorhization, une technique consistant à reproduire la symbiose naturelle entre la truffe et sa plante hôte. Ces recherches restent expérimentales, mais elles ouvrent la voie à une filière durable et mieux encadrée.
Pour beaucoup d’observateurs, la terfess pourrait devenir une fierté nationale et un levier économique pour les régions sahariennes. Encore faut-il que l’Algérie prenne conscience de la valeur réelle de ce joyau caché sous son sable.
En structurant la filière, en certifiant l’origine du produit et en soutenant les cueilleurs locaux, le pays pourrait transformer cette richesse naturelle en symbole de savoir-faire et d’excellence.
Aujourd’hui, la truffe du désert est un secret connu des gastronomes du monde entier. Demain, elle pourrait devenir un emblème de l’Algérie authentique, à la croisée du goût, de la nature et du patrimoine.