Depuis 2009 et la fameuse loi de finances complémentaire, on assiste à un sérieux revirement de comportement de nos dirigeants visant à revoir en profondeur le type de relations que l’Algérie doit avoir avec ses partenaires étrangers.
Le discours du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, devant les présidents des assemblées populaires communales en 2008 qui s’en était violemment pris aux investisseurs étrangers, avait à cette époque donné le ton. Il n’aura fallu que quelques mois plus tard pour que l’Etat décide de mettre le holà à des partenaires étrangers qui ont, pense-t-on, beaucoup plus tiré profit de l’économie algérienne qu’ils ne le lui ont été bénéfiques.
Le tour de vis qui touche depuis la LFC 2009 les investissements étrangers, la volonté de renégocier certaines clauses de l’Accord d’association signé avec l’Union européenne, l’élaboration bien que tardive d’une liste noire concernant les produits interdits d’importation dans le cadre de la zone arabe de libre échange (ZALE) ou la menace de reprendre les entreprises privatisées, sont autant de preuves que l’Algérie veut se rattraper après s’être «faite avoir» avec ou contre son plein gré, au nom de l’ouverture économique.
Incompétence, défaillance sur le plan juridique et législatif, négligences ou faiblesses des négociateurs algériens peuvent-ils expliquer à eux seuls cette situation ? «Apparemment, il y une approche très bureaucratique de groupes fermés sur eux-mêmes qui refusent d’écouter d’autres points de vue», ce qui a conduit à cet état de fait, explique Abdelamlek Serrai, PDG d’un bureau de consulting en investissement. Ce constat a été vérifié avec l’Accord d’association signé avec l’UE qui, censé développer les relations entre l’Algérie et l’Europe, a tourné plutôt à l’avantage du vieux continent, notamment sur le plan commercial. Notre pays a vu ses importations depuis l’UE augmenter de moitié et ses exportations baisser de quasiment la même proportion depuis son entrée en vigueur en 2005.

Inexpérience de l’économie libérale
Ali Bey Nasri, vice-président de l’Association nationale des exportateurs algériens, a calculé le manque à gagner en termes de rentrées fiscales pour l’Algérie résultant de cet accord à «542 millions de dollars la première année, 1 milliard de dollar actuellement et plus de 3,5 milliards de dollars dans les prochaines années».
Signé dans une période où l’Algérie voulait faire son retour sur la scène internationale après une décennie noire, l’accord, pourtant défendu bec et ongles par les dirigeants du pays, est aujourd’hui loin de donner entière satisfaction, notamment sur le chapitre de la circulation des personnes et du développement des exportations algériennes. Certes, il n’est pas de la responsabilité de l’Europe si nos produits ne répondent pas aux normes, par contre, il était du ressort des négociateurs algériens de veiller à ce que les exigences européennes soient en mesure d’être assimilées au niveau national.
D’aucuns peuvent penser qu’au début des années 2000 au moment où l’accord a été signé, l’Algérie n’était pas en position de force pour mieux négocier. Pour Arslan Chikhaoui, spécialiste des relations économiques internationales et expert en lobbying, certes «l’Algérie était dans une position difficile, mais cela ne signifie pas qu’elle était dans une position de faiblesse et de plus, il y a toujours des possibilités pour faire évoluer l’accord».
De toute manière, le fait est que «l’Algérie sort à peine d’une crise multiforme qui a duré deux décennies, elle ne peut pas rester en décalage avec les bouleversements économiques mondiaux». Le problème pour notre pays est que «l’inexpérience de l’économie de marché et du modèle libéral adossés à une globalisation des échanges ont fait qu’on ne prenne pas les précautions nécessaires pour affronter ces défis», estime-t-il.
Les négociateurs algériens en «déphasage»
Le bilan non encore exhaustif de l’Accord d’association avec l’UE ou encore les premiers résultats de la ZALE (on estime à plus de 10 milliards de dinars le manque à gagner en franchises de droit de douanes engendrées par cet accord), suggèrent pourtant d’autres explications à certains experts. M. Serrai dit à ce propos : «Quand nous avons découvert l’Accord d’association, nous avons été étonnés du calendrier accepté par l’Algérie sachant que nos secteurs industriel et agricole ne pourront pas faire face à la concurrence».
Pour lui : «Cela nous donne l’impression que les gens concernés par les négociations n’étaient pas au fait de la réalité du terrain.» En fait, ça dénote «un déphasage entre les négociateurs algériens et ceux qui sont en charge de la production». Par ailleurs, M. Serrai explique qu’il y a «une certaine sphère de nos responsables sur lesquels il y avait des pressions internationales et celles de lobbys locaux pour se rapprocher de l’UE ou des pays arabes par intérêts financiers et sans tenir compte des intérêts suprêmes du pays».
Pour l’expert en lobbying, M. Chikhaoui, pourtant «il faut distinguer entre le lobbying en tant que technique de communication et ce qu’on appelle le «lobbying de papa», c’est-à-dire celui des «intermédiaires». Dans ce cadre, «nous sommes effectivement en train de voir remonter à la surface à travers les cas de corruption des phénomènes d’intermédiation où des personnes prennent des commissions sur des contrats signés». Une pratique qui a également été utilisée dans des opérations de privatisation, quand «des ventes étaient négociées à Paris», selon M. Serrai.
Safia Berkouk