Accord de Marrakech sur les migrations : quand les fantasmes l’emportent sur la réalité

Accord de Marrakech sur les migrations : quand les fantasmes l’emportent sur la réalité

(Ecofin Hebdo) – Lundi dernier à Marrakech, plus de 150 Etats ont signé un pacte sur les migrations visant à les rendre plus sûres et régulières. Alors qu’elle est accusée, dans l’opinion populaire européenne, d’être le principal grenier à migrants clandestins, l’Afrique était représentée à cet événement par plusieurs de ses Etats. Malheureusement, aujourd’hui, cet accord qui voulait poser les premiers jalons d’une meilleure gestion des crises migratoires, est déjà plombé par plusieurs Etats occidentaux, prompts à céder à la pression des rumeurs et des infox. Une fois encore, l’Afrique est laissée pour compte dans un débat pourtant crucial pour son avenir.

L’Afrique et l’immigration clandestine

Dans un contexte politique mondial caractérisé par des discours extrémistes de « fermeture des frontières aux migrants », le continent est traversé par un nombre inquiétant de conflits armés qui, au-delà de faire des milliers de morts (Soudan du Sud, Libye, Mali), engendre un énorme afflux de réfugiés et de déplacés. Ces derniers qui fuient également des régimes oppressants ou la misère absolue, sacrifient généralement toute leur existence pour tenter de rejoindre l’eldorado européen.

Malgré eux, ils alimentent un commerce de traite d’humains, comme le monde l’a récemment découvert en Libye, avec un marché aux esclaves animé par des passeurs qui vendent aux plus offrants, ceux-là même à qui ils avaient déjà vendu des rêves d’Europe. Pour ceux qui, malgré ces épreuves réussissent à embarquer pour « la terre promise » c’est encore le risque d’un naufrage, ou celui d’un retour musclé en terre africaine qui les menace.

Aujourd’hui ces épisodes quasi-quotidiens de migration clandestine ont alimenté une recrudescence des sentiments xénophobes dans les pays dits « d’accueil ». Des sentiments renforcés par des discours de leaders populistes qui appellent les populations à s’insurger contre les « envahisseurs ».

Aujourd’hui ces épisodes quasi-quotidiens de migration clandestine ont alimenté une recrudescence des sentiments xénophobes dans les pays dits « d’accueil ».

Pourtant, plusieurs rapports d’organisations internationales indiquent que la migration clandestine touche beaucoup moins les nations développées que les pays moins avancés.

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Décrié par les leaders populistes et présenté comme « un pacte avec le diable ».

Dans un rapport intitulé « Les migrations au service de la transformation structurelle », la CNUCED indiquait que si 17 millions de migrants ont quitté l’Afrique en 2017, c’est 19 millions d’individus qui se sont déplacés sur le continent. Ainsi, 53% des migrants africains de l’année 2017 ont émigré dans un autre pays africain.

Si 17 millions de migrants ont quitté l’Afrique en 2017, c’est 19 millions d’individus qui se sont déplacés sur le continent. Ainsi, 53% des migrants africains de l’année 2017 ont émigré dans un autre pays africain.

En mai dernier, un rapport de l’International Displacement Monitoring Center (IDMC) indiquait qu’en 2017 l’Afrique subsaharienne enregistrait le plus grand nombre de déplacés de guerre avec 5,5 millions de personnes enregistrés cette année.

Le 19 juin dernier, le Haut commissariat des Nations-unies pour les réfugiés indiquait quant à lui, que près de 85% des réfugiés à travers le monde se trouvent dans les pays en développement dont une bonne partie est concentrée en Afrique.

Ces différents rapports fournis par des instances internationales, ont permis de démontrer que les crises migratoires, n’affectent pas plus le « monde riche » que le « monde pauvre ».

Ces différents rapports fournis par des instances internationales, ont permis de démontrer que les crises migratoires, n’affectent pas plus le « monde riche » que le « monde pauvre ».

Cependant, même si les discours xénophobes tendent à vouloir isoler les Etats pauvres africains du reste du monde, plusieurs autres pays s’érigent aujourd’hui en défenseurs d’une solution mondiale au problème de la migration. C’est la position de la France et de l’Allemagne.

Le pacte de Marrakech : que contient concrètement le document ?

Décrié par les leaders populistes et présenté comme « un pacte avec le diable », le pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières de Marrakech a tôt fait de cristalliser les attentions du monde entier, à son adoption lundi dernier par une centaine d’Etats. Pourtant, loin d’avoir la valeur d’un traité, le document ne fait que présenter des principes nécessaires à la mise en place d’un système de migration beaucoup plus bénéfique pour tous les pays du monde.

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La France et l’Allemagne défendent l’idée d’une solution globale aux migrations.

En effet, dès son article 7, le pacte stipule que ledit document établit un « cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les États Membres dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants ».

Etablissant une distinction claire entre la situation des réfugiés et des migrants, le texte propose 23 objectifs dont l’atteinte devrait permettre de mettre en place un cadre plus favorable à la coopération internationale en matière de migration.

Le texte propose 23 objectifs dont l’atteinte devrait permettre de mettre en place un cadre plus favorable à la coopération internationale en matière de migration.

Il s’agit notamment de la lutte contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine ; l’amélioration de l’assouplissement et de l’accessibilité des filières de migration régulière ; du renforcement de l’action transnationale face au trafic de migrants.

S’il enjoint également les Etats à « ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort et à chercher des solutions de rechange », le pacte réaffirme clairement « le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international ».

Ainsi, le nouveau pacte met l’accent sur l’échange d’informations entre les pays, la promotion des droits humains et l’amélioration des conditions des migrants tout en reconnaissant le droit des pays à ne pas mettre en application ce nouvel accord.

Quel impact pour l’Afrique ?

Du fait de son caractère non-contraignant pour les Etats, il est difficile d’imaginer que le nouveau pacte puisse avoir un quelconque impact immédiat dans la gestion des crises migratoires sur le continent africain.

Le retrait annoncé de plusieurs pays comme les Etats-Unis, la Pologne, Israel ou l’Australie, et le gel de la décision d’autres pays comme la Suisse ou la Belgique, ont affaibli à la capacité du nouvel accord à favoriser la mutualisation des politiques migratoires. Pourtant, l’accord en lui-même n’est en réalité qu’une déclaration d’intention de la part des pays signataires.

Le retrait annoncé de plusieurs pays comme les Etats-Unis, la Pologne, Israel ou l’Australie, et le gel de la décision d’autres pays comme la Suisse ou la Belgique, ont affaibli à la capacité du nouvel accord à favoriser la mutualisation des politiques migratoires.

« Ce pacte ne va pas changer grand-chose. […] Il maintient la souveraineté de chaque pays sur sa politique migratoire. Les pays occidentaux continueront de faire exactement ce qu’ils avaient envie de faire » déclarait à cet effet François Héran, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés », interrogé par Franceinfo.

Louise Arbour eprésentante spéciale du secrétaire général de lONU pour la migration internationale

Louise Arbour, présentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour la migration internationale.

Au vu de cette situation il devient évident que pour arrêter la saignée, les pays africains doivent adopter des stratégies communes visant à renforcer l’attrait du continent pour sa jeunesse. Ceci passe bien évidemment par des projets d’infrastructures et de création d’emploi, mais aussi et surtout par une stratégie de promotion de la paix, de la bonne gouvernance, la lutte contre le changement climatique et une nette amélioration de l’environnement sécuritaire.

Alors qu’elle devrait connaître un boom démographique dans les prochaines décennies, l’Afrique n’a désormais plus d’autre choix que d’accélérer son développement afin que les migrations de sa population lui soient bénéfiques. « Les migrations ont toujours fait partie de l’expérience humaine depuis les débuts de l’Histoire, et nous reconnaissons qu’à l’heure de la mondialisation, elles sont facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs », déclare à cet effet le pacte de Marrakech pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

« Les migrations ont toujours fait partie de l’expérience humaine depuis les débuts de l’Histoire, et nous reconnaissons qu’à l’heure de la mondialisation, elles sont facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable.»

Et si l’aide internationale en faveur du continent semble de moins en moins efficace, il faudra peut-être, de façon définitive, trouver une « solution africaine » à ce problème africain, comme le martèlent encore aujourd’hui les défenseurs du rêve panafricain.