Accord de 1968 entre la France et l’Algérie : ce qu’il reste d’une coquille vide

Accord de 1968 entre la France et l’Algérie : ce qu’il reste d’une coquille vide
Drapeaux Algérien et français

Plus d’un demi-siècle après sa signature, l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 fait de nouveau l’objet d’attaques et de manipulations politiques en France.

Présenté à tort comme un « privilège » réservé aux Algériens, ce texte est en réalité un vestige juridique vidé de son contenu, résultat de décennies de restrictions, d’amendements et de décisions unilatérales. Loin d’accorder des avantages, il est aujourd’hui le symbole d’un déséquilibre persistant entre deux États censés être partenaires.

Un accord né de la promesse d’Évian, trahi par les années

À l’origine, l’accord de 1968 devait organiser la mobilité, le travail et le séjour des Algériens en France dans le prolongement de l’esprit des accords d’Évian, qui garantissaient la libre circulation entre les deux peuples. Ce texte bilatéral, négocié dans un climat post-colonial complexe, visait à maintenir un pont humain et économique entre les deux rives de la Méditerranée.

Mais très vite, la France a rompu avec cet esprit d’ouverture.

  • 1974 : suspension de l’immigration de travail — premier coup porté à la promesse d’échanges équilibrés.
  • 1986 : instauration du visa obligatoire pour les Algériens, mesure emblématique d’un virage restrictif.
  • 1993 : extension des contrôles et durcissement des conditions de séjour, y compris pour les étudiants.

Chaque étape a éloigné l’accord de son sens initial, jusqu’à en faire une coquille juridique que la France n’invoque désormais que lorsqu’il s’agit de limiter la mobilité ou justifier la méfiance administrative.

Un texte vidé de substance, mais brandi comme prétexte politique

La réalité, aujourd’hui, est que l’accord de 1968 ne confère plus aucune facilité réelle. Les Algériens ne bénéficient d’aucun traitement préférentiel : ils subissent les mêmes contraintes, voire davantage, que les ressortissants d’autres pays du Sud. Pourtant, dans le discours de certains responsables français, l’accord est décrit comme une anomalie, une “faveur” qu’il faudrait supprimer.

Cette manipulation politique vise à faire diversion : en désignant les Algériens comme des « bénéficiaires d’un régime de faveur », certains courants d’extrême droite cherchent à réécrire l’histoire coloniale et à faire porter sur les migrants la responsabilité des tensions sociales françaises.

Mais derrière cette rhétorique électoraliste se cache une réalité humaine bien plus sombre : celle de milliers d’Algériens confrontés à un mur administratif, à une méfiance institutionnelle et à un parcours semé d’humiliations pour simplement étudier, travailler ou rejoindre leur famille.

Les étudiants algériens : premières victimes d’un système kafkaïen

Les étudiants algériens sont aujourd’hui en première ligne face aux restrictions imposées par la France. Leur expérience illustre parfaitement le contraste entre le discours sur la “coopération universitaire” et la pratique quotidienne d’une administration méfiante et rigide.

Dès la demande de visa, les obstacles s’accumulent, rendez-vous rares, refus non motivés, exigences financières excessives, suspicion systématique des projets d’études.

Une fois en France, les difficultés se poursuivent. La loi française autorise les étudiants étrangers à travailler, à titre accessoire, 964 heures dans l’année, soit l’équivalent de 60 % de la durée légale du temps de travail. Mais que 50 % pour les étudiants algériens, dont le statut reste défini par l’Accord franco-algérien du 27 décembre 1968).

L’autorisation provisoire de travail (APT) n’est plus nécessaire pour travailler pendant ses études en France, sauf pour les étudiants algériens, dont le statut reste soumis à cet Accord. Cette réglementation limite fortement la possibilité pour la majorité des étudiants de subvenir pleinement à leurs besoins, malgré le coût élevé de la vie et des études.

Les procédures de renouvellement de titre de séjour exigent des justificatifs constants : ressources, logement, réussite universitaire, toute irrégularité pouvant mener à un refus ou à un ajournement. Et lorsque vient la fin du parcours universitaire, les portes se ferment brutalement.

L’accès à l’Autorisation Provisoire de Séjour (APS) ou à la carte “recherche d’emploi”, censée permettre aux diplômés étrangers de rester un an pour chercher un travail, est accordé aux autres nationalités sauf les algériens qui sont dans l’obligation de changer leur statut dés la fin d’étude ou de quitter le territoire français.

De plus, le poste trouvé doit être rémunéré à 1,5 fois le SMIC pour espérer un changement de statut vers un titre de séjour salarié, un seuil inatteignable pour la plupart des jeunes diplômés algériens.

Ces conditions rendent l’expérience post-diplôme quasi impossible : beaucoup d’étudiants sont contraints de rentrer en Algérie malgré des projets professionnels solides. D’autres basculent dans la précarité administrative, faute de statut clair, et se dirigent souvent dans des métiers précaires, loin de leurs études, juste pour subvenir à leurs besoins.

La diplomatie française entre fermeture et instrumentalisation

Cette situation ne relève pas du hasard. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large de politisation de la question migratoire, où la France utilise ses relations avec l’Algérie comme levier de pression diplomatique.
L’octroi ou la restriction des visas est devenu un instrument de chantage politique, lié à des dossiers extérieurs : coopération sécuritaire, expulsions, dossiers économiques.

Loin d’être une relation équilibrée, la France continue de traiter l’Algérie sur un mode unilatéral, oubliant que chaque restriction touche non pas un chiffre dans un tableau, mais des destins humains, souvent ceux de jeunes diplômés, chercheurs et familles en quête de stabilité.

Ainsi, l’accord de 1968 devait symboliser une amitié durable entre deux peuples liés par l’histoire. Il est devenu le miroir d’un déséquilibre persistant, où la France dicte, restreint et soupçonne, pendant que les Algériens, notamment les étudiants, affrontent humiliation, incertitude et exclusion.

Pour l’Algérie, il est temps de reprendre la main. Non pour rompre, mais pour reconstruire une relation basée sur le respect mutuel, la transparence et la justice. Défendre les Algériens, c’est exiger que la mobilité des jeunes, le droit aux études et la dignité des familles ne soient plus soumis au bon vouloir d’une politique française changeante.

Car un accord vidé de sens n’est plus un instrument diplomatique : c’est une cicatrice qu’il faut, enfin, refermer avec courage et lucidité.