La semaine dernière, un aveu a été fait. Même à demi-mots. Une recommandation presque officielle demande aux agents de l’ordre d’être plus souples lorsqu’ils doivent procéder à un retrait de permis, à la lumière des situations, parfois incongrues, rencontrés au sein des commissions de retrait de permis.
Cette recommandation émane de gens de la profession et de spécialistes réunis pour faire le point sur le nouveau code de la route, trois mois après sa mise en application sur le terrain.
Quatre jours plus tard, le ministère des Transports publie un communiqué dans lequel il annonce sa satisfaction concernant «la diminution considérable (34 %) du nombre des accidents de la route et de celui des victimes». Lumière sur un mal qui ronge toute la société, bien plus que le tabac ou le cancer, car il concerne les 34 millions d’Algériens…
«Monsieur, savez-vous quel genre de contravention avez-vous commise ?» demande un membre de la commission de retrait de permis à un automobiliste convoqué à la daïra de Sidi M’hamed.
«Oui, Monsieur, j’ai franchi une bande d’arrêt d’urgence !» L’automobiliste n’en revenait pas quand il a pris connaissance de la durée de son retrait de permis, à savoir six mois, sachant qu’il a dû empiéter sur la bande d’arrêt d’urgence pour éviter un nid-de-poule qui se dressait devant lui en plein milieu de l’autoroute. Combien de cas similaires sont rencontrés quotidiennement par les usagers de la route ?
Automobilistes et services de sécurité, qui est le fautif ?
«Inaâl d… Va te faire f… Fille de…» Cette salve d’insultes était adressée à une conductrice qui a gêné le passage d’un autre conducteur sur la route de Koléa.
Il n’est pas rare, du reste, qu’on entende ce genre d’invectives. «Le conducteur algérien, lorsqu’il se met au volant d’un véhicule, endosse, dans plusieurs cas, un personnage horrible, égoïste, irrespectueux et violent.
Des bagarres sont vite enclenchées. Il y a même certains qui ont usé de leur arme à feu pour tirer et tuer des automobilistes à cause d’un différend quelconque sur la route», dit une conductrice exaspérée par la difficulté de plus en plus ressentie à conduire une voiture en société.
Le quotidien difficile de l’Algérien s’est étendu à tous les niveaux. Pas uniquement au marché ou au travail. Lorsqu’on conduit, il faut s’armer d’une bonne dose de patience afin de pouvoir contenir la pression et le stress de la route. Après la mise en application du nouveau code de la route, les conducteurs roulent la peur au ventre, de peur de se faire retirer le permis qui constitue souvent leur gagne-pain.
Les barrages routiers et les points de contrôle ne sont pas là non plus pour faciliter la tâche aux usagers de la route. Certains agents dégainent plus vite que leur ombre leur carnet d’amendes. Point de contrôle de la gendarmerie à l’entrée de Sidi Fredj. Un automobiliste est au bord de la crise de nerfs. Il est verbalisé pour un feu de stop grillé : 4 000 DA d’amende et un retrait de permis de six mois.
Le gendarme ne veut rien entendre. «Mais, Monsieur le gendarme, je vous assure que je viens d’acheter cette ampoule chez un vendeur de pièces de rechange qui m’a assuré qu’elle était d’origine.
Elle a dû griller suite au choc reçu lorsque je suis passé dans ce trou de regard laissé béant par les agents de la municipalité. Il faudra plutôt retirer leur licence à ces vendeurs sans vergogne qui nous fourgue des pièces de contrefaçon !»
Cependant, selon une étude, même si le facteur humain est à 90 % responsable de l’accident, l’analyse de «l’accidentalité» à l’échelle européenne révèle que le facteur «infrastructure routière» est présent dans 42 % des accidents mortels.
Mauvaise géométrie du tracé, obstacles latéraux, configuration des virages, mauvaise visibilité, défaut d’adhérence du revêtement, dégradations de la chaussée… sont autant de causes qui engendrent les accidents. Cela sans parler de la responsabilité des constructeurs et des vendeurs de pièces de rechange, ce qui fait que les Algériens se retrouvent propriétaires de voitures «boiteuses» n’obéissant pas aux normes.
«Une loi qui ne peut pas être appliquée est considérée comme obsolète»
Attablés dans un relais routier à bord de la nationale 5, du côté de Laâdjiba, à Bouira, un routier crie à ses collègues son désarroi. «Je viens ici pour essayer de récupérer mon permis qu’on m’a retiré il y a deux mois. Ma famille est à sec et mes clients commencent à chercher d’autres fournisseurs car ma période d’inactivité commence à s’allonger», dit-il à un collègue routier.
«Où avez-vous trouvé une limitation de vitesse, en pleine autoroute, à 80 km/h. Puis, 10 km plus loin, elle est à 100 km/h. A force de tomber sur ces inepties, on a fini par ne plus respecter ces plaques, ni autre chose d’ailleurs !»
Cette situation rappelle énormément d’autres : plaques cachées par des arbres, des limitations de vitesse qui ne sont pas à leur place, des trous et des nids-de-poule en pleine autoroute.
A l’image de cette plaque, au niveau de la trémie Addis-Abeba, limitant la vitesse à 50 km/h sur une… pente raide ! Même nos villes ne sont pas épargnées par ce phénomène où, dans la plupart des cas, les routes, qui sont dans un état désastreux, accentuent le stress des automobilistes et augmentent les risques de la survenue d’accidents. Sans parler des ralentisseurs mis d’une manière intempestive même dans les quartiers.
El le rôle des assurances ?
L’Association des compagnies d’assurances, par la voie de son président, a réclamé l’augmentation de 100 % de la prime d’assurance dans son volet responsabilité civile (RC), selon un constat relatif à l’augmentation vertigineuse des accidents de la circulation. C’est l’une des rares réactions de cet acteur incontournable à l’hécatombe des accidents de la route.
Les assurances en Algérie se limitent à leur rôle, à la limite du cliché, qui consiste soit à encaisser la souscription des assurés, soit à régler les remboursements liés aux dommages dus aux accidents de la route, notamment, soit… à exiger des augmentations des diverses primes d’assurance. En dehors de cette mission, point d’accompagnent de l’automobiliste dans sa vie quotidienne d’usager de la route.
Il n’y a même pas un système de bonus-malus pour récompenser les bons conducteurs et pénaliser les mauvais. Or, les assurances ont un rôle très important à jouer dans la sensibilisation sur les dangers des accidents de la route et leurs conséquences désastreuses sur les êtres humains.
La crédibilité de la loi mise à mal
Un juriste, commentant ces innombrables cas, le moins que l’on puisse dire déroutants, nous a rappelé une règle de base que les gens de son métier apprennent en premier : «Une loi qui ne peut être appliquée est considérée comme obsolète.»
Cette ambivalence, cette volatilité entre l’énoncé des règles de loi et leur impossibilité, du moins pour certaines d’entre elles, à être appliquées sur le terrain créent chez l’automobiliste un sentiment de dédain, puis de rejet. «Par la force des choses, ces lois perdent toute crédibilité chez le citoyen», assène M. Abdeladim Benallegue, ancien cadre au ministère des Transports, expert et conseiller en systèmes de transport.
Quid des transports en commun ?
Aujourd’hui, pour qu’un automobiliste puisse faire un trajet qui dure en moyenne une heure en voiture, il doit d’abord passer au moins deux autres heures dans les bouchons. «Je n’en peux plus. Je pense même prendre des antidépresseurs ou peut-être arrêter de travailler», déplore un automobiliste en plein bouchon au barrage de contrôle de Réghaïa. Il faut dire qu’avec le temps que ces bouchons prennent, les automobilistes se familiariseraient presque.
«Il y aura même, dans quelque temps, des gargotiers ambulants pour nous servir à déjeuner», ironise un jeune homme, un journal à la main. Et d’ajouter : «Vous voyez toutes ces voitures, des milliers, elles peuvent être remplacées par une dizaine de bus ou par deux ou trois trains. Comme cela, on aura moins d’accidents et on pourra même se targuer d’être écolo.»
Youcef Kaced