La route tue. voilà une constante universelle depuis que l’automobile a consacré l’accident de la route comme un fait inéluctable et la prévention comme le seul moyen d’endiguer un fléau qui fauche des millions de personnes chaque décennie.
En Algérie, tout particulièrement, et en dépit de tous les efforts législatifs de portée préventive et coercitive, les routes continuent de gonfler les statistiques et les bilans des pertes humaines, des retombées sociales et des dégâts matériels.
Les tristes records en matière de mortalité routière enregistrés depuis 2004, et malgré une légère baisse l’année suivante, reviennent et imposent de nouveau une sérieuse réflexion sur la prévalence d’un fléau qui n’a pas fini d’endeuiller des milliers de familles.
Ce constat fait, il faudrait peut-être relativiser les chiffres en considérant les changements qui se sont produits depuis 2004. Une augmentation considérable du parc roulant, un rajeunissement important de ce parc qui favorise l’entrée sur les routes de véhicules neufs et de plus en plus puissants.
Cela outre la coexistence, sur des routes qui n’ont pas encore été toutes mises au niveau des taux de fréquentation, entre des véhicules puissants et rapides et des poids lourds de transport de marchandises et de voyageurs dont il est désormais connu qu’ils provoquent des convois dans les points de congestion et sur les grandes montées, entraînant des attitudes d’impatience et de prise de risques inconsidérées de la part des automobilistes. Voilà autant de raisons susceptibles d’expliquer ce qui arrive sur nos routes.
Les mesures préventives et de coercition n’auraient- elles pas produit leurs effets ces dernières années ? Faudrait-il une politique plus soutenue de plusieurs années encore pour espérer agir sur les générations à venir afin d’infléchir les chiffres des accidents routiers ? Autant de questions qui déroutent encore, sans jeu de mots, les experts.
CE QUI A ÉTÉ FAIT
Les accidents de la circulation automobile et la mortalité qui en est induite n’ont pas laissé indifférentes les plus hautes autorités de l’Etat qui avaient tiré une énième fois la sonnette d’alarme, il y a trois ans.
Ce qui a favorisé un examen de la loi relative à l’organisation, la sécurité et la police de la circulation routière dont il a été préconisé la révision, mettant en avant le rôle déterminant qu’aurait cette révision en matière de recul du nombre élevé des accidents de la circulation — en Algérie on parlait de records mondiaux —, causant chaque année plus de 4.000 morts et causant plus de 3.000 handicaps à vie et plus de 60.000 blessés.
Il s’est agi alors, entre autres mesures, de l’introduction du permis à points, de l’instauration du permis probatoire, à la place de l’attestation provisoire de conduite, de l’introduction de brevets professionnels pour les transports publics de voyageurs et de marchandises.
Le projet de texte législatif a de même porté la restructuration du régime des sanctions prévues par la loi, consacrant ainsi le principe de la rétention du permis de conduire, celui de la révision à la hausse des paliers d’amendes, l’élargissement du palier des infractions susceptibles d’être sanctionnées, et la promotion ou la requalification des infractions en délits. Il s’agit des infractions les plus graves qui sont gérées par les dispositions du code pénal.
On a vu également la mise sur pied d’une commission de suspension du permis de conduire. Face à toutes ces mesures prises et bien d’autres, et la persistance des taux des accidents de la route qui demeurent une hécatombe qui moissonne, chaque année, des milliers de vies humaines, la question de l’efficacité de tout cet arsenal est de nouveau posée.
QU’EST-CE QUE BIEN CONDUIRE ?
Le bon sens, avant les experts, nous enseigne que la bonne conduite automobile tient à deux qualités : la première est de savoir utiliser son véhicule de façon à maîtriser les gestes qui servent à le guider sur la route de manière sûre. La seconde tient au fait de la maîtrise des conditions de coexistence, sans heurts, du véhicule que l’on conduit d’avec l’environnement extérieur, autrement dit les différents obstacles, les autres automobilistes et les piétons.
L’acquisition de ces deux qualités est liée, nous dit-on, à l’apprentissage théorique et pratique qui confère la qualité de conducteur agréé. Il s’agit de l’apprentissage exhaustif du code de la route ainsi que de la conduite pratique d’un véhicule. Le franchissement de ce cap permet d’obtenir un permis de conduire et donne le droit d’aller avec son véhicule sur les routes.
Le permis obtenu, les règles et conditions acquises, avons-nous là les conditions suffisantes et nécessaires pour parler de bonne conduite ? Il est évident que non. Apprendre n’est pas nécessairement appliquer. Qu’est-ce qui pousse un citoyen à respecter une règle, une loi ? Sa conscience que ce respect est garant d’un équilibre collectif où se retrouve son propre bonheur social ? Le fait qu’il a appris dès son jeune âge à respecter les lois de la République ?
La crainte d’être sanctionné et privé d’attributs citoyens, tels que celui de conduire une voiture ? A moins que ce soit la réunion de toutes ces raisons qui fondent le bon conducteur. Ce qui amènerait à conclure que ceux qui ne respectent pas le code de la route n’ont pas de conscience sociale, n’ont pas d’éducation civique et n’ont pas peur du versant coercitif des lois de la République.
UN PROBLÈME D’APPROCHE ?
L’absence du sens éthique chez un très grand nombre est à l’origine d’un très dangereux clivage entre connaître et appliquer.
En fait, ce clivage est de la même gravité que celui qui existe entre la morale religieuse et l’éthique individuelle. Un très grand nombre d’individus sont en effet sensibles à un prêche religieux à travers lequel ils découvriraient enfin que voler est interdit dans la foi musulmane, mais prêteraient moins l’oreille à une communication extra cathedra, quand bien même elle déploierait des efforts d’éloquence et de bon sens pour les convaincre.
Ce qui conduit à s’interroger sur le rôle précieux qui serait celui des imams pour sensibiliser sur le fléau de la vitesse et de la mortalité routière qu’il induit.
Une fetwa, d’ailleurs, existe et qui est reconnue pour être très sérieuse, soutient que celui qui est en infraction avec une limitation de vitesse et qui fait un accident qui coûte la vie à une autre personne, est considéré comme un meurtrier. Mais alors, en l’absence du sens éthique, la morale religieuse, entre autres appuis, est en mesure de contribuer largement à la conscientisation des jeunes et des moins jeunes
UN PROBLÈME D’INTERACTION HUMAINE ?
L’utilisation du clignotant est l’une des marques, dans le code de la route, du respect que l’on témoigne à l’autre qui est derrière ou devant vous et à qui vous daignez dire dans quel sens vous allez dans votre manoeuvre de changement de direction. Exactement comme vous feriez en attendant, avant de vous faire servir, que la personne arrivée avant vous se fasse servir dans un magasin.
Dites-moi le nombre de personnes qui n’attendent pas dans un magasin par égard pour l’autre arrivé avant et je vous dirais combien de personnes ne mettent pas le clignotant en voulant changer de direction ou se mettre sur le côté. Si pour le premier cas, l’éthique sociale est bafouée et avec elle les chances d’une interaction heureuse entre les individus, dans le second cas, c’est la vie des individus qui est en jeu.
QUE FAIRE ALORS ?
La question est complexe comme l’est un fléau comme les accidents de la route. Il faudrait une vision qui englobe tous les dysfonctionnements et qui intègre tous les paramètres, y compris ces gestes que font les policiers, au quotidien, quand, s’efforçant de fluidifier la circulation, ils nous autorisent à empiéter sur la ligne continue. Après tout, la bonne ou la mauvaise conduite, ce n’est qu’une question d’habitude.
M. B