Absenteisme,improductivité,laisser-aller,braclage..Combien coûte le Ramadhan à l’Algérie?

Absenteisme,improductivité,laisser-aller,braclage..Combien coûte le Ramadhan à l’Algérie?

Alger, 8h du matin. Les rues sont vides…

La question reste taboue, aucune étude n’est connue pour évaluer les conséquences de certains réflexes qui sont particulièrement exacerbés pendant le mois sacré, sur l’économie nationale.

L’Algérie tourne au ralenti. Peu importe. L’urgence pour les Algériens est de se débrouiller pour remplir leur panier des indispensables produits et ingrédients (viandes, légumes…) afin de garnir la si particulière table du Ramadhan et faire face à une flambée des prix qui ne laisse que peu de marge de manoeuvre à leur pouvoir d’achat.

Les pouvoirs publics n’ont, de leur côté, que le souci de les rassurer en leur promettant que les étals des marchés seront bien achalandés. Etant donné que le secteur de l’agriculture n’arrive pas à satisfaire les besoins de la population, en temps normal déjà, ils ont recours aux importations massives pour satisfaire une demande exceptionnelle pendant cette période qui recommande pourtant piété, abstinence et modération.

Paradoxalement, c’est à l’excès que cède la majorité des jeuneurs. C’est à l’ostentation que la part belle est faite. Tout cela a un prix auquel on doit rajouter un certain nombre de paramètres qui doivent en principe contribuer à faire état d’une addition corsée. Combien coûte le Ramadhan à l’Algérie?

La question reste taboue, aucune étude n’est connue pour évaluer les conséquences de certains réflexes, qui sont particulièrement exacerbés pendant le mois sacré.

Personne n’ose lancer un débat de cet ordre. Un modus vivendi s’est installé entre un gouvernement qui redoute au plus haut point une explosion sociale, des patrons qui demeurent aphones face à de tels phénomènes qui ont tendance pourtant à hypothéquer les équilibres financiers de leurs entreprises et une organisation syndicale (Union générale des travailleurs algériens) qui fait dans le social pour parer les carences d’une économie rentière.

Un minimum syndical qui fait l’unanimité de cette tripartite. Comme la question du renoncement au week-end universel qui fait perdre à l’Algérie, selon des estimations concordantes d’experts (ceux entre autres de la SFI, la Société financière internationale, qui est une filiale de la Banque mondiale) plus de 1 milliard de dollars par année celle qui a trait aux «épiphénomènes» particuliers au mois du Ramadhan, (absentéisme, improductivité, laisser-aller, importations massives… qui minent l’économie nationale) doit à son tour se poser.

Halte au gâchis!

La pratique de la religion n’exonère pas les efforts. Elle les recommande et les encourage. Et lorsqu’il s’agit d’une question qui met en péril la nation, elle devient sacrée. Ce n’est pas une fetwa qui doit l’indiquer, mais le bon sens tout simplement ainsi que le bien-être de la communauté des croyants et l’avenir des générations futures qu’il serait impardonnable d’hypothéquer.

D’autant plus que l’heure est à la vigilance. Et comment pourrait-il en être autrement?

Les clignotants ont viré à l’orange en attendant de passer au rouge. Les exportations d’hydrocarbures qui assurent 98% des recettes en devises à l’Algérie ont commencé à sérieusement décliner. Les gisements s’assèchent alors que c’est cette manne fabuleuse de pétrole et de gaz qui assure aux millions de travailleurs leurs revenus. Elle a permis d’assurer des augmentations de salaires uniques dans les annales de l’Algérie indépendante.

Les Algériens y ont-ils pris goût au point de rechigner à l’effort? Les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis 1962 ne sont pas exempts de tout reproche pour ce qui est de l’instauration de ce type de réflexe, de comportement.

Les responsables chargés depuis un demi-siècle de mettre en oeuvre une économie productrice de richesses hors hydrocarbures ont tous lamentablement échoué. Le contexte économique dans lequel évolue actuellement le pays a poussé plusieurs responsables a tirer la sonnette d’alarme.

L’Algérie vit au-dessus de ses moyens. Le ministre des Finances a mis en garde, le 9 mai dernier, contre des hausses de salaires qui peuvent mettre en danger, les équilibres budgétaires dans le cas d’un effondrement des prix du pétrole.

«Il faut être très prudent sur les salaires, parce que si on va au-delà, on met en difficulté l’avenir de nos équilibres budgétaires», avait prévenu Karim Djoudi.

L’étendard religieux

«L’équilibre budgétaire requiert des niveaux de prix des hydrocarbures supérieurs à 112 dollars le baril», avait prévenu Djamel Benbelkacem, directeur-conseiller de la Banque d’Algérie au début du mois de juillet 2012 tandis que la conjoncture économique mondiale a poussé le FMI à conseiller dans un rapport publié le 21 mai 2013 aux pays exportateurs de pétrole de la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) «de limiter les hausses des dépenses publiques courantes qui sont difficiles à inverser, telles que la masse salariale et les subventions».

Les exportations algériennes ont subi une baisse de plus de 8% durant les cinq premiers mois de 2013 par rapport à la même période en 2012 alors que le volume global des importations a bondi de plus de 17%. «En référence au 1er trimestre 2009 (début de la crise financière internationale), cela peut s’interpréter comme un choc pour la balance des paiements extérieurs en 2013», avait prévenu au début du mois de juin Mohamed Laksaci, gouverneur de la Banque d’Algérie, à l’occasion de la présentation du rapport trimestriel sur la situation financière du pays.

Que valent de tels discours lorsque l’on ferme les yeux sur ces phénomènes qui handicapent encore un peu plus l’économie algérienne pendant le mois du Ramadhan?

Cette question a bel et bien était posée il y a près de 50 ans lorsque le président Bourguiba appela ces concitoyens à choisir entre jeûner et travailler. Le leader tunisien, pour sensibiliser son opinion, avait décidé de prendre un jus d’orange en plein jour sur les caméras de la télévision.

Ce geste n’avait pas manqué de soulever le courroux des conservateurs de l’Université de Zeitouna, mais il avait quand même réussi à instaurer un débat sur un sujet qui divisait la société tunisienne. Cinquante ans après, démentant sévèrement le pronostic d’André Malraux, «sera religieux qu’on le veuille ou pas», l’Islam a repris du poil de la bête dans les pays musulmans avec la sahoua déjà initiée par Mohammed Abdou.

Les Algériens qui visitaient Tunis en plein mois de Ramadhan étaient choqués de voir des gendarmes et des policiers griller une cigarette ou siroter un café.

Démagogie ou peur de froisser certaines sensibilités prêtes, il faut le reconnaître, à brandir l’étendard religieux à tout bout de champ. A l’utiliser à des fins idéologiques sauf pour le bien-être de la collectivité.

Cela s’apparente à des concessions faites à un courant qui véhicule des mentalités d’un autre âge dont bénéficient les enfants gâtés de la rente pétrolière. Elles assurent leur survie.

Deux camps aux intérêts diamétralement opposés dont la collision s’opère au grand jour le mois de Ramadhan.

Une sorte d’union sacrée pour le malheur de… l’Algérie qu’il est urgent de battre en brèche.