AÏT SAÂDA«Mon fils André Ayew m’a dit que c’est son ami !»
On ne se lasse jamais d’une discussion avec Abedi Pelé, l’ancienne perle du football ghanéen. L’un des artisans du sacre de l’Olympique de Marseille en Ligue des champions de 1993, un vrai militant du football africain qu’il n’a eu de cesse de défendre au point de s’investir personnellement dans la campagne pour l’attribution de la Coupe du monde à un pays africain.
Rencontré jeudi matin, il évoque différents sujets de l’actualité du Mondial en usant d’un franc-parler qui fait que ce qu’il dit n’est jamais banal.
En deux ans, vous emblez avoir pris un peu de poids. Est-ce parce que vous ne vous entraînez plus ?
Cela se voit que cela fait longtemps que vous ne m’avez pas vu. Avant, j’étais encore plus gros que ça (rire). Mais depuis que j’ai recommencé à m’entraîner et à jouer, j’ai réduit mon surpoids.
Comment faites-vous pour répondre favorablement à toutes les sollicitations des journalistes ? Vous êtes constamment sollicité, mais vous ne dites jamais non.
J’ai le souci d’être bien avec tout le monde. Sans les journalistes, nous, joueurs, ne sommes rien. C’est vrai que, parfois, ça nous fait ch…, mais on s’y est habitué. De temps en temps, il faut qu’on parle de toi et il faut que tu dises des choses. Même si sur des choses négatives, on a envie qu’on parle de toi. Si je réponds à toutes les sollicitations, c’est par respect pour le public et par respect aussi pour les journalistes. Ce n’est pas concevable qu’un journaliste vienne t’attendre pendant deux ou trois heures et ne te voit pas. Le football m’a donné beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses : le pouvoir, le respect… Si j’en suis arrivé au niveau de vie que j’ai actuellement, c’est grâce au football et aux journalistes.
Vous avez été ambassadeur de la candidature de l’Afrique du Sud à l’organisation de la Coupe du monde. Alors que la première phase, qui concerne quand même les trois quarts des matchs, se termine et que tout se passe bien, ne pensez-vous pas que neuf années d’efforts ont porté leurs fruits ?
Nous sommes effectivement très, très contents parce que si cette Coupe du monde est arrivée ici, c’est grâce à deux personnes : Danny Jordaan (président du Comité d’organisation sud-africain du Mondial, ndlr) et moi. C’est nous qui dormions dans les avions lors de longs déplacements pour défendre cette candidature, allant jusqu’en Arabie saoudite. Cette Coupe du monde, c’est nous deux ! Même lors de notre première tentative pour avoir l’organisation, c’était nous deux qui étions devant et qui affrontions les questions difficiles que nous posaient certains comme Michel Platini, à propos de notre candidature et du contient africain.
On nous disait : «Vous avez le sida, vous avez la malaria, vous avez des guerres partout. Comment voulez-vous organiser une Coupe du monde ?» Nous leur répondions que c’est justement à cause de tout cela que nous avions besoin de la Coupe du monde afin de montrer aux gens que nous faisons partie du monde et que nous pouvons montrer au monde que l’Afrique a un savoir-faire. La campagne a été très, très difficile. Déjà, lors de notre première tentative pour avoir l’organisation de la Coupe du monde 2006, l’Afrique du Sud n’avait pas remporté le vote parce qu’il y avait un votant qui avait refusé de voter : le représentant de la Nouvelle-Zélande. Malgré cela, nous avions convaincu Blatter (le président de la FIFA, ndlr) et de sept membres du Comité exécutif. Au final, nous avions eu 11 voix et l’Allemagne a obtenu 12 voix. Au pays, tout le monde était triste et déçu.
A notre retour, le président de l’époque, Tom Mbeki, m’avait appelé et m’avait dit : «On a besoin de toi.» Nous avons tenu une réunion et il m’a dit que, du moment que nous avions obtenu 11 voix, soit seulement une voix de moins que l’Allemagne, cela voulait que ce sera notre tour la prochaine fois. Il a promis de mettre tous les moyens financiers en place pour mener une autre campagne de candidature. J’ai donné mon accord et je suis rentré au Ghana me reposer. Deux mois après, je suis revenu et nous avons recommencé. C’était dur car il avait fallu aller dans tous les pays, rencontrer tous les gouvernements et parler devant les Parlements. En voyant le résultat aujourd’hui, je suis ravi.
Les sceptiques, comme Michel Platini, sont-ils convaincus aujourd’hui ? Se sont-ils ravisés ?
(Rire) Platini est un ami. Nous sommes dans la même commission à la FIFA. Je respecte la décision d’un ami qui ne partage pas la même opinion que moi. Cependant, c’est une très bonne question que vous me posez. Je ne l’ai pas encore vu, mais je vais bientôt le voir, peut-être samedi à l’occasion du dernier match du Ghana. Je discuterai avec lui et lui demanderai ce qu’il pense de tout ce que nous avons réalisé. Il n’y a pas que lui qui était sceptique. Il y avait beaucoup d’autres qui n’avaient pas confiance en l’Afrique. Cette Coupe du monde n’est pas la réussite de l’Afrique du Sud seule. C’est la réussite et la fierté de tout un continent.
De plus, ce qui est beau, c’est qu’on voit dans les stades qu’il y a des blancs et des noirs assis côte à côte avec des vuvuzelas, chantant et dansant. Même les Sud-Africains se retrouvent dans cette communion.
Vous voulez dire que le Mondial a scellé la réconciliation raciale en Afrique du Sud ?
Oui. C’est énorme ! Et cela, ça n’a pas de prix. Il y en a, parmi les Sud-Africains, qui ne se connaissaient pas ou ne se parlaient pas. Là, ils travaillent tous ensemble pendant un mois. Un mois, c’est long.
Ce Mondial a donc renforcé les liens entre les Sud-Africains ?
Oui. Il a renforcé l’unité du pays pour que les blancs se sentent chez eux. Lorsque les noirs avaient repris le pouvoir, les blancs pensaient qu’ils n’avaient plus leur place dans le pays et qu’ils étaient perdus. Or, Nelson Mandela a dit qu’il y a de la place pour tout le monde. Aujourd’hui, tous les Sud-Africains, blancs, noirs et métis, se sentent chez eux.
Le plus dur sera de continuer comme ça après la Coupe du monde…
Le plus dur a été ce que Mandela avait fait, c’est-à-dire renforcer l’unité nationale. Lorsqu’il avait pris le pouvoir, beaucoup de gens avaient eu peur et avaient fui. Il a sillonné plusieurs pays pour dire aux Sud-Africains blancs : «Vous êtes chez vous. Il faut revenir parce que, si vous ne revenez pas, le pays peut couler.»
N’y a-t-il pas crainte qu’on oublie toutes ces belles choses après la Coupe du monde ?
Non, car il n’y a qu’une Coupe du monde en Afrique, pas deux. S’il y aurait une autre Coupe du monde sur le continent africain, peut-être que ça ferait oublier celle-ci.
Y a-t-il une chance, pour vous, qu’il y ait une autre Coupe du monde en Afrique ?
Ah, oui ! Bien sûr !
Dans quel pays, par exemple ?
(Après une hésitation) Je sais qu’il y a des pays en Afrique qui peuvent organiser une Coupe du monde.
Vous pensez à l’Egypte ?
Non, pas l’Egypte.
Votre pays, le Ghana ?
Non, pas le Ghana.
Le Maroc ?
Oui, le Maroc.
Justement, le Maroc était en concurrence avec l’Afrique du Sud pour décrocher l’organisation du Mondial-2010…
Oui, c’est ça. Je vois bien le Maroc organiser une Coupe du monde.
Pour bientôt ou à long terme ?
Pour bientôt. On va lutter pour cela.
Etes-vous prêt personnellement à vous investir pour une autre candidature africaine comme vous vous êtes investi pour la candidature de l’Afrique du Sud ?
(Rire) Puisque je dis que c’est le Maroc, cela explique tout.
Vous avez évoqué la réussite populaire de ce Mondial en Afrique, mais la réussite sportive fait défaut puisque plusieurs sélections africaines ont été éliminées : le Cameroun, le Nigeria, l’Algérie, l’Afrique du Sud… Etes-vous déçu ?
C’est une déception pour Danny Jordaan et moi. Hier (entretien réalisé jeudi, ndlr), nous avons eu une réunion au niveau du comité d’organisation et tout le ponde était déçu de ce fait.
Pensez-vous que c’est injuste ou bien que c’est ça le sport ?
Je dirai que c’est le sport. Les sélections africaines ont eu des occasions pour gagner leurs matchs, comme cela a été le cas du Cameroun et de la Côte d’Ivoire, sachant que cette dernière est dans un groupe très difficile. Que dire alors de l’Algérie ! Très forte. C’est vrai, elle a été moyenne dans son premier match, mais dans les deux autres, je l’ai trouvée magnifique !
En votre qualité d’ancien attaquant, comprenez-vous les choix de l’entraîneur Saâdane ?
Je n’aime pas parler des entraîneurs. Je parle d’une équipe. Concernant l’attaque, il n’y a pas que l’Algérie qui souffre d’un problème de buteurs, mais de tout le continent africain. Toutes les équipes africaines participantes se créent des occasions, mais n’arrivent pas à les concrétiser.
Y compris le Ghana qui a inscrit deux buts, mais les deux sur penalty ?
C’est exactement ce que je voulais dire : les Africains n’arrivent plus à marquer sur des actions construites. Avant que les Etats-Unis ne mettent leur but, c’est l’Algérie qui avait raté un but de la tête. La contre-attaque a donné le but américain. Pourtant, l’Afrique a des attaquants de niveau mondial, comme Drogba et Eto’o. Nous sommes vraiment déçus de ces éliminations.
N’est-ce pas aussi un problème d’organisation ? La Côte d’Ivoire et le Nigeria ont changé d’entraîneur il y a quelques mois seulement…
Je ne crois pas que ce soit cela le vrai problème. Cela dit, c’est vrai que ce n’est pas normal de prendre un entraîneur quatre mois avant une Coupe du monde. Moi, je suis déçu de tout ce qui se passe dans le football africain. A travers cette Coupe du monde, nous tenions à délivrer un message : le continent africain est tellement grand que cinq représentants au Mondial, c’est peu. Or, il se trouve que nous, qui défendons cette thèse, qui devons avancer des arguments, qui devons convaincre les autres, nous perdons un peu l’espoir d’avoir gain de cause à cause des résultats de cette Coupe du monde.
Si une sélection africaine parvenait en demi-finale ou en finale, même si nous n’obtiendrions pas d’autres places pour l’Afrique dans l’immédiat, nous serions en mesure de dire aux gens : «Voyez ce que peut faire l’Afrique ! La situation actuelle ne peut pas durer.»
Le Ghana est la seule sélection africaine à tirer son épingle du jeu. Etes-vous fier que l’équipe n’ait pas la pression sur elle ?
Certes, j’en suis fier, mais je suis en même temps déçu par les lacunes montrées sur le terrain. Lorsque je vois l’organisation des joueurs, leurs qualités physiques, techniques et mentales, ça me soulage un peu et me rassure pour le futur. Hier, les Ghanéens ont réalisé un grand match face à l’Allemagne. Ils ont eu des occasions qui auraient pu se transformer en buts. On a dominé. Quand l’Allemagne attaquait, nous attaquions de même. C’était très équilibré.
Comment voyez-vous votre huitième de finale contre les Etats-Unis ?
Nous avons beaucoup de chances de passer. Si les joueurs respectent les mêmes bases tactiques et les mêmes tactiques, je crois qu’ils n’auront pas de problème. Cela ne veut pas dire pour autant que ça va être facile.
Tirez-vous votre optimisme du fait que les Américains ont été bousculés par les Algériens, ce qui montre qu’ils sont prenables ?
Oui, parfaitement. Vous savez, l’Algérie est l’un des pays du continent que j’adore le plus au niveau football. Lorsque j’ai vu comment les Algériens ont joué contre les Anglais et contre les Américains, cela me donne de l’espoir et me renforce dans ma conviction qu’il leur manque juste de faire un peu mieux pour qu’ils passent un cap. Donc, si la Ghana parvient à faire un peu plus que ce qu’a fait l’Algérie, elle passera certainement.
En tant qu’ancien meneur de jeu, ne pensez-vous pas qu’un Mourad Meghni a manqué à l’équipe d’Algérie ?
Oui car, dans le football, il faut toujours des joueurs expérimentés. Contre les Américains, il y a eu le joueur algérien le n°9 (Abdelkader Ghezzal, ndlr) qui était absent du précédent match à cause d’une suspension. Il a manqué dans le match face à l’Angleterre, car il est costaud et il peut jouer seul devant en perturbant la défense adverse. Même s’il ne marque pas, il crée des occasions pour permettre à d’autres de marquer. Je pense que s’il y a eu quelques faiblesses dans les rangs de la sélection d’Algérie, c’est dû à ce qui s’était passé durant la Coupe d’Afrique des nations où, contre l’Egypte, il y a eu quelques problèmes avec des cartons distribués.
Ça a perturbé les joueurs dans leur préparation. Malgré cela, ils étaient venus avec un mental fort et de la combativité. Cela donne de la confiance pour le futur.
Sur un plan individuel, y a-t-il eu des joueurs que vous ne connaissiez pas et que vous avez découverts ?
Le gardien de but, Mbolhi. J’ai appelé mon fil (André Ayew, ancien joueur à l’Olympique de Marseille, ndlr) et lui ai dit : «Pourquoi ne m’as-tu pas dit qu’il y avait un gardien comme ça qui avait joué à Marseille ?» Il m’a répondu que M’bolhi était son ami et qu’ils avaient joué ensemble à l’OM ! Moi, je ne le savais pas. J’ai vu que le gardien de but était un peu noir et je me suis dit : «Comment se fait-il qu’il est dans le but de l’Algérie ?»
Son père est Congolais et sa mère Algérienne…
Je ne le savais pas ! C’est mon fils qui m’a appris que c’est un ami à lui et qu’il est Parigot (Parisien, ndlr). Quelle surprise ! Vous aviez un gardien de but comme ça et il ne joue pas ???
C’est parce qu’on l’a découvert il y a quelques mois seulement…
(Rire) Pour moi, c’est une ENORME révélation ! J’étais bien content de le voir jouer.
A-t-il le niveau international, selon vous ?
Bien sûr ! Du moment qu’il a joué la Coupe du monde, y a-t-il niveau international plus élevé ? Tout se passe ici. Les championnats, les coupes nationales et la Ligue des champions, c’est des petits à côté du Mondial. Hier, pour Ghana-Allemagne, il y avait plus de 81 000 personnes au stade.
Vous vous rendez compte ? Ceci sans compter les millions de téléspectateurs. Pour moi, la révélation côté algérien est le gardien de but. Il m’a vraiment, vraiment gâté, surtout contre l’Angleterre.
Il y a deux ans, vous nous disiez que l’équipe d’Algérie de 1982 est irremplaçable. Pensez-vous que celle de cette année peut faire oublier cette équipe-là ?
C’est trop lui demander ! Pour que l’équipe fasse oublier celle de 1982, il faut qu’elle batte l’Allemagne en Coupe du monde ! L’équipe des années 80 l’avait fait. Plus même : il avait fallu un complot pour que l’Algérie ne passe pas au deuxième tour ! Madjer, Belloumi, Assad, Mustapha Kouici, c’était autre chose ! Il n’y avait pas seulement un ou deux joueurs de niveau mondial, mais bien sept joueurs ! Non, il n’y a pas matière à comparaison. Peut-être dans le futur.