Une réforme de deuxième génération du secteur bancaire et financier passe en priorité par le développement du paiement électronique. Abderrezak Trabelsi, en est convaincu, en qualité de délégué général de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF) il aborde dans cet entretien, paru dans les colonnes de L’Éco (N°98 / du 16 au 31 octobre 2014), toute la nécessité de la réforme bancaire et de tout le système financier dont la pierre d’achoppement reste la bonne gouvernance.
L’Eco : Le ministre des Finances, Mohamed Djellab,a annoncé récemment une réforme de deuxième génération pour le secteur bancaire et financier. Peut-on en connaître les grands axes ?
Abderrezak Trabelsi : Le ministre des Finances avait parlé effectivement de réforme de deuxième génération. Quand on parle de deuxième génération, ça veut dire que ça vient après une réforme qui existait déjà. Le système bancaire n’en est pas à sa première réforme. Les réformes de ce secteur ont commencé durant les années 1990. On a hérité d’un système bancaire qui a été dans un très mauvais état comme les finances du pays d’ailleurs. Et suite aux différents plans d’ajustements et de restructurations, les banques de leur part ont connu des phases d’assainissements, de recapitalisation et de réorganisation pour atteindre un objectif qui est aujourd’hui très largement atteint qui consiste à avoir un système bancaire stable et solide. Notre préoccupation durant ces dernières années, c’est avoir une situation de stabilité, surtout que la crise financière est passée par là. La stabilité du système bancaire nous a permis de répondre aux besoins de notre économie sans être affecté. Donc cela passe par un assainissement des banques et par une recapitalisation des banques publiques essentiellement qui représente plus 85% du total des actifs. Les banques publiques restent l’élément essentiel du système bancaire algérien même si on a ouvert le secteur à des banques étrangères qui sont aujourd’hui nombreuses, environ 14 banques. Mais leur implantation progressive n’a pas encore atteint un seuil qui fasse que cela soit représentatif, mais les choses vont venir avec le temps.
Le gouverneur de la Banque d’Algérie a affirmé récemment que le système bancaire algérien est stable et solide. Ce n’est pas une appréciation en l’air. C’est une appréciation qui a une évaluation objective et à travers des standards d’appréciations utilisées au niveau international. Avoir un système bancaire solide est extrêmement important pour l’économie du pays. Au-delà des objectifs de croissance, la solidité du système bancaire se mesure aussi à sa capacité à faire face à des retournements de conjoncture. Maintenant le système bancaire ambitionne d’aller plus loin, assurer cette stabilité mais aussi de passer à la deuxième génération de réforme qui touche des domaines très différents.
Quelles sont les domaines prioritaires de cette réforme ?
Le but de cette réforme, c’est améliorer la qualité des services. C’est quelque chose qui est vécue par les clients des banques mais il est temps d’accélérer certaines choses qui ont été initiées par le passé mais à un rythme relativement long, je pense notamment au développement du paiement électronique. Beaucoup de choses existent mais nous avons senti le besoin d’accélérer les choses. C’est pour ça qu’on a fixé comme objectif d’accélérer le développement de paiement électronique. Nous venons de créer ce qu’on appelle la GIE monétique à laquelle participent l’ensemble des banques ainsi que la banque centrale qui a pour mission de réguler et de superviser le développement de paiement électronique. Son développement demande de la technologie, c’est de la télécommunication mais il faut aussi des règles. Il faut qu’il y ait une instance quelque part qui puisse arbitrer lorsqu’il ya un litige. Il faut que les gens sachent dans quelle direction investir, donc il leur faut une instance qui fixe les standards qu’il faudra respecter. Officiellement, elle a été créée en juin mais le comité s’est réuni récemment. Donc c’est une instance qui va commencer ses activités dans les jours qui viennent. Elle aura pour mission de mieux organiser et mieux relancer le développement du paiement électronique.
Deuxième domaine, c’est la gouvernance. De plus en plus, on désigne des administrateurs indépendants. Cela permet d’avoir plus de garantie et de qualité de la gouvernance des banques. Il s’agit d’un axe de réforme que monsieur le ministre souhaite développer.
Il ya aussi le développement des marchés financiers qui ont pris un peu de retard malgré un démarrage assez intéressant, il ya quelques années. On a insisté à un ralentissement comme c’est le cas du marché obligataire. Il faut absolument le relancer. Pour la partie bourse, les pouvoirs publics ont annoncé le fait d’introduire en bourse une partie du capital des meilleurs entreprises publiques pour bien marquer la volonté de l’Etat de développer ce marché.
Les meilleures entreprises peuvent être des banques, des opérateurs de téléphonies. Elles peuvent être aussi des entreprises activant dans le domaine de l’énergie…. Des entreprises publiques qui ont une bonne situation et qui persuadent des particuliers de placer leurs épargnes. Cela va donner une taille critique à la bourse qui va permettre son développement ensuite. Et bien sûr, le privé va rejoindre progressivement.
La Cosob vient de mettre en place un conseil scientifique. En quoi consiste t-il ?
L’activité d’un marché a toujours besoin d’un regard externe. Donc la Cosob a ses propres organes, elle est organisée pour assumer sa responsabilité vis-à-vis du marché financier. C’est une pratique internationale dans laquelle les régulateurs, qui sont là pour organiser et superviser les marchés, font appel à des compétences externes pour apporter un regard de la situation de manière à permettre à la Cosob de mieux réaliser sa mission
Êtes-vous optimiste quant à l’accroissement du marché financier en Algérie ?
Evidemment le marché financier n’arrive pas à décoller, parce que ceux qui ont la capacité d’aller à la bourse immédiatement, c’est-à-dire les grandes entreprises, sont très bien servis aux niveaux des banques sous forme de crédits bancaires et autres. Donc, on a besoin d’un peu de volontarisme, c’est de mettre ces grandes entreprises publiques en bourse pour qu’elles apportent une activité attractive. Nous avons la chance que l’épargne privée soit importante comparativement à celle du public. Donc il ya des opportunités. Aujourd’hui si vous placez votre argent dans une banque, vous allez avoir sur une année ou deux, un taux de 2 ou 2,5% d’intérêt mais si vous achetez une action, vous aurez des rendements de 8,9 jusqu’à 15%. Oui, je crois au marché financier. Et pour l’introduction des entreprises performantes du secteur public dans la bourse, les autres entreprises du secteur privé vont suivre. Ce qui va permettre l’accélération du secteur financier dans peu de temps.
Les crédits accordés au secteur privé croient à un rythme qui dépasse les 20% durant ces dernières années. Ce qui explique qu’il ya une dynamique sur le marché. Qu’en pensez-vous ?
Pendant longtemps, on a opposé les deux secteurs privé et public. Ca existe partout dans le monde des secteurs privés extrêmement performants et très développés à côté du secteur public également développé et performant. Ce qu’il faut savoir, nous sommes dans une économie de marché et en l’absence d’un secteur privé développé. L’Etat prend la place, mais pas qu’il l’occupe définitivement. Il prend de la pace parce qu’il a des missions stratégiques et pour mettre les conditions qui favorisent l’émergence d’un secteur privé développé. Il n’y a, à terme, que la croissance du secteur privé qui peut tirer l’économie vers l’avant. C’est valable en Algérie et c’est valable dans le monde entier. Tant que nous serons dans une économie de marché, c’est le développement du marché qui va développer l’économie. Et c’est le secteur privé qui peut développer l’économie. Maintenant le secteur privé est encore jeune. Il faut savoir que plus de 95% de nos entreprises sont des très petites entreprises. Nous avons à peine 300 entreprises qui ont atteint une taille acceptable. Donc le secteur privé en Algérie est encore jeune, il n’est pas suffisamment développé pour qu’il soit le moteur de la croissance de l’économie nationale qui a besoin encore du secteur public. Mais en même temps, les pouvoirs publics mettent des conditions pour l’émergence de ce secteur. Ce qui explique les montants des crédits accordés au secteur privé. Nous sommes l’un des rares pays au monde où, depuis la crise, les crédits croissent à un rythme moyen supérieur à 20%.
Nassima Benarab