Abdelmalek Sellal peut-il redresser la situation économique ?

Abdelmalek Sellal peut-il redresser la situation économique ?

Le nouveau premier ministre réussira-t-il durant la courte période qui nous sépare des élections présidentialismes à redynamiser l’économie ? Tel est l’objet de cette présente contribution qui constitue une synthèse d’une intervention faite au niveau international le 6 septembre 2012 (1).

Le Premier ministre Abdelmalek Sellal

Quelle est la situation actuelle de l’économie algérienne en 2012 ?

En bref, après 50 années d’indépendance en ce mois de septembre 2012, l’économie algérienne se caractérise par 98% d’exportation d’hydrocarbures à l’état brut et semi brut, elle importe 70-75% des besoins des ménages et des entreprises quelles soient publiques ou privées. Sonatrach c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach, laquelle a engrangé entre 2000 et juin 2012 environ 560 milliards de dollars et allant vers 600 milliards de dollars fin 2012. Les réserves de change au 1er juillet 2012 sont d’environ 190 milliards de dollars et selon le dernier rapport du FMI allant vers 200 milliards de dollars fin 2012 et une dépense publique de 286 milliards entre 2010-2014 mais dont 130 milliards de restes à réaliser.

Sur le terrain, ne devant pas avoir une vision essentiellement négative, beaucoup de logements, de routes et diverses infrastructures ont été réalisées. Mais des dépenses sans compter, aucun bilan réel à ce jour. Les retards dans la réalisation de certains grands projets concernent tous les secteurs et toutes les régions Ce n’est que trente années après son lancement officiel que le métro d’Alger a commencé à voir le jour. Un premier tronçon de 9,5 km a été inauguré le 31 octobre 2011, mais les surcoûts liés aux derniers retards de réalisation sont évalués à plusieurs dizaines de millions d’euros. Le tramway d’Alger aurait, pour sa part, dû être livré en 2009. Un premier tronçon de 7,2 km (sur 23 km) n’a été terminé qu’en mai 2011. D’autres retards affectent l’autoroute Est-Ouest, la Grande Mosquée (dont les travaux auraient dû commencer en 2010), le Centre International de conférences. Dans le domaine du transport ferroviaire, qui figurait pourtant parmi les secteurs prioritaires des deux derniers grands programmes d’appui à la croissance, pratiquement presque rien n’a encore été entrepris. 30 milliards de dollars étaient pourtant inscrits dans le plan 2005-2009 et 80 milliards de dollars dans le suivant, en cours de réalisation. Les contrats qui avaient été attribués sur adjudication depuis 2007 (dont de nombreux contrats d’études) ont été annulés et de nombreux appels d’offres ont été déclarés « infructueux« . Il s’agit aussi bien de lignes nouvelles, de travaux d’électrification, que de la réhabilitation des gares (80 gares de la SNTF à moderniser) ou d’aménagements ferroviaires dans la région d’Alger. Dans ces annulations figurent de nombreux projets qui faisaient partie des programmes de développement régional.

Le rapport de 2009 toujours d’actualité de la Banque mondiale remis aux autorités algériennes montre clairement des projets inutiles, des abandons de projets, des projets non matures, des retards de plusieurs années et des surcoûts pour certains projets allant de 30 à 40%. Malgré l’importance de la dépense publique le taux de croissance moyen 2004-2012 ne dépasse pas 3% en termes réels, alors qu’il aurait dû dépasser 10%, l’Algérie dépensant deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats comparée à des pays similaires de la région MENA. Le taux de croissance (production intérieure brut, PIB) hors hydrocarbures des officiels de 5-6% est biaisé. Le taux de croissance du BTPH et la majorité des secteurs hors hydrocarbures est dû à plus de 80% à la dépense publique via les hydrocarbures laissant aux entreprises créatrices de richesses pouvant s’insérer dans le cadre des valeurs internationales moins de 20% du PIB. Il y a dépérissement du tissu productif du fait des contraintes d‘environnement, notamment le poids croissant paralysant de la bureaucratie et de l‘instabilité juridique qui freine l’épanouissement de l’entreprise locale ou étrangère créatrice de richesses durables du fait du manque de vision stratégique. Le rapport, publié à Genève le 5 septembre par le Forum économique mondial de Davos, a passé au crible les 144 pays les plus importants économiquement dans le monde. Parmi les cinq, sur les seize facteurs, qui entravent le développement économique en Algérie figurent les lenteurs bureaucratiques (1), l’accès au financement (2), la corruption (3), l’absence d’infrastructures (4) et le manque de main d’œuvre qualifiée. Une enquête de l’ONS publiée officiellement le 10 août 2012 montre clairement que le tissu économique national est fortement dominé par les micros unités dont les personnes physiques à 95% alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%, et que le secteur commercial et services concentrent 83% des activités de l’économie algérienne en 2010, soit 88% du total, ce qui dénote clairement le caractère tertiaire de l’économie. Comme effet à la fois d’une expansion monétaire sans corrélation avec la production et la désorganisation des circuits de distributions permettant des actes spéculatifs, nous assistons au retour accéléré de l’inflation où les prix à la consommation ont augmenté de 8,7% au mois de juin 2012 par rapport à la même période de l’année 2011, situant le rythme d’inflation en glissement annuel en Algérie à 7,3% selon l’Office national des statistiques (ONS). Ce taux d’inflation est biaisé par des subventions généralisées, non ciblées et sans les subventions serait entre 10-15%. Grâce à l’aisance financière générée par les hydrocarbures, le gouvernement algérien achète une paix sociale fictive transitoire en généralisant les subventions grâce à la rente. L’Etat algérien subventionne un grand nombre de produits de première nécessité, comme les céréales, l’eau et le lait, l’électricité et le carburant. Ainsi, l’économie algérienne est sous perfusion de la rente des hydrocarbures, assistant à la déconnection de la sphère financière de la sphère réelle, les réserves de change étant une richesse virtuelle provenant de la rente.

L’Algérie peut-elle continuer dans l’actuelle politique économique ?

La politique actuelle marginalise le secteur productif local, favorise les entreprises étrangères notamment chinoises sur fonds publics algériens et les rentes spéculatives Mais cela ne peut pas durer, quitte à aller vers un suicide collectif où une implosion différée. En termes de rentabilité financière et tenant compte des exportations 85 milliards de mètres cubes gazeux et de la forte consommation intérieure, dont les nouveaux projets à forte consommation de pétrole et de gaz (raffineries et doublement des centrales électriques à turbines de gaz) donnant à compter de 2016 plus de 60 milliards de mètres cubes gazeux,des coûts croissants, que dans 15 ans pour le pétrole et 25 ans pour le gaz conventionnel donc horizon 2025-2030, avec 50O millions d’habitants l’Algérie sera sans hydrocarbures. L’Algérie ne peut continuer à fonctionner sur la base d’un cours du baril de pétrole de 110-120 dollars quitte à épuiser le fonds de régulation des recettes au bout de trois années à quatre années en cas d’un fléchissement des cours inférieur à 80 dollars le baril. Pourtant le Ministre des finances vient de déclarer en ce mois de septembre 2012 qu’il n’est pas question de rigueur budgétaire dans la loi de finances 2013. Or, la population selon l’Office des statistiques (ONS) est de 37,1 au 1er janvier 2012, la population active dépassant les dix millions en 2012 et la demande d’emplois additionnelle varierait entre 300.000 à 400.000 personnes par an. Pour le ministère du Travail, le taux de chômage est en nette régression ayant annoncé officiellement 11% en 2010, environ 10% en 2011 et l’estimant à 9% pour 2012. Cela inclut les sureffectifs dans les entreprises publiques, les administrations et les emplois temporaires de moins de 6 mois souvent improductifs (faire et refaire des trottoirs), avec la prédominance des emplois rentes. Donc le taux officiel est largement biaisé, dans certaines régions le chômage touchant les jeunes à hauteur de 20-25%. Et selon l’enquête de l’organe officiel de la statistique ONS la sphère informelle à dominance marchande absorbe 50% de la population active. Car un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales.

La cellule familiale, la crise du logement (même marmite, même charges) et les transferts sociaux qui atteindront plus de 1.200 milliards DA en 2011, soit 18% du budget général de l’Etat et plus de 10% du PIB et les subventions jouent temporairement comme tampon social. Mais les tensions sociales, non organisées, à travers toutes les régions du pays montrent une forte attente de la population algérienne. C’est une marmite en ébullition qui risque d’exploser à tout moment avec la crise de confiance en l’avenir : niveau de vie en dégradation avec l’inflation et une répartition inégalitaire du revenu national au profit d’une minorité rentière, la corruption, crise de logements, coupure d’électricité, d’eau, tout le monde veut sa part de rente et immédiatement.

Le nouveau premier ministre peut-il relancer la machine économique ?

Les chantiers ne manquent pas pour le Premier ministre. Espérons pour l’Algérie que le gouvernement Sellal dépassera le statu quo actuel suicidaire ce qui suppose un changement dans l’orientation de la gouvernance et de la politique économique condition sine qua non de l’émergence d’une économie hors hydrocarbures. Pourtant, malheureusement, avec de nombreux observateurs, je pense qu’il n’y aura pas de changement de cap de la politique économique. Les réformes structurelles ne peuvent être réalisées car déplaçant des segments importants de pouvoir et pouvant créer des clivages et de vives tensions. Abdelmalek Sellal connu pour sa pondération, l’homme qui ne fait pas de vague, est donc l’homme de la situation actuelle afin de ne pas trop bousculer les intérêts. Abdelmalek Sellal est un fonctionnaire modèle et un parfait commis de l’Etat. Il exécutera à la lettre la feuille de route fixée en haut lieu, la paix sociale à tout prix quitte à distribuer la rente sans contreparties productives. Par ailleurs depuis la révision de la Constitution c’est un régime présidentiel et tous les pouvoirs sont concentrés à la présidence, n’ayant plus de chef de gouvernement mais un premier ministre. Ce sera donc la continuité, comme précisé par le nouveau premier ministre, c’est à dire l’application du programme présidentiel.

Quelles perspectives pour l’Algérie ?

Je suis confiant car l’Algérie recèle d‘importantes potentialités, surtout les compétences humaines richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures, actuellement marginalisées, tant au niveau local qu’à l’étranger, pour surmonter la situation actuelle. Pour cela, outre une profonde moralité des personnes chargées de diriger la Cité, l’on doit revoir l’actuelle politique socio-économique qui ne peut que conduire à l’impasse et donc à l’implosion sociale à terme. Supposant un réaménagement profond des structures du pouvoir. Cela implique comme précisé précédemment, une nouvelle gouvernance par des réformes structurelles économiques et politiques solidaires. L’on ne saurait ignorer les bouleversements mondiaux à la fois positifs mais parfois pervers sans une nouvelle régulation e l’économie mondiale, devant insérer les projets futurs de l’Algérie dans le cadre de l’intégration du Maghreb pont entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, continent d’avenir, pour la stabilité et une prospérité partagée de la région. En conclusion, comme j’ai eu à le souligner dans une interview à l’AFP le 4 septembre 2012, et à la télévision internationale française Al qarra TV Paris France, le 6 septembre 2012 le pouvoir ne veut pas de remous sociaux jusqu’aux élections présidentielles d’avril 2014. Il est tétanisé par ce que l’on appelle « le printemps arabe« , des évènements actuels en Syrie, des tensions au niveau du Sahel qui ont un impact sur l’Algérie et surtout par des remous sociaux généralisés : c’est donc du replâtrage et le statu quo. L’Algérie peut mieux faire.

Dr Abderrahmane Mebtoul, expert international

(1) Interview du professeur Abderrahmane Mebtoul, le 6 septembre à la télévision internationale française Al Qarra TV Paris France chaîne d’information en continu spécialisée Afrique et Moyen-Orient -Emission et interview réalisée à partir par Jean Michel Meyer, rédacteur en chef économie- ancien responsable de la rubrique économie de Jeune AfriqueDossier Economie-Algérie