Abdelmalek Sellal, entre front social et destin politique, Au bivouac des grands choix

Abdelmalek Sellal, entre front social et destin politique, Au bivouac des grands choix

Depuis qu’il est désigné Premier ministre au début septembre 2012, Abdelmalek Sellal, qui n’a eu à gérer de rendez-vous politique déterminant que les élections locales du 29 novembre dernier, a multiplié les déplacements dans différentes wilayas du pays.

Loin d’être purement techniques, certains de ces déplacements, mobilisant jusqu’à sept ministres, ont tendance, particulièrement depuis le mois d’avril, à suppléer à l’action du président de la République qui n’a pas pu se déployer sur le terrain pour des raisons de santé.

Donc, même s’il n’y a pas eu d’échéances politiques précises au cours du premier semestre de l’année 2013, Abdelmalek Sella a été, néanmoins, projeté au-devant de l’actualité, particulièrement dans la prise d’otages de Tiguentourine en janvier, et lors de la première réunion de la commission de révision de la Constitution à laquelle le Premier ministre a confié cette mission sur instruction du président de la République.

Les visites que Sellal a effectuées dans différents points du territoire ont suscité beaucoup d’intérêt auprès des populations. Parfois, des préjugés favorables, venant de la part du monde associatif et même de certains élus locaux, sont étalés dans les journaux quelques jours avant la visite.

À Béchar, Béjaïa, Illizi, Ouargla, El Bayadh, et dans d’autres contrées de l’Algérie profonde, le Premier ministre a tenu un discours rassurant, voire ingénument populaire; du moins, il donne cette impression. Il rappelle les principes élémentaires de la vie en société, le nif algérien qu’il convient de préserver et les idéaux autour desquels il faudra se mobiliser. À son corps défendant, il se trouvera au carrefour du technocrate maîtrisant ses dossiers et de l’homme politique cherchant à convaincre sans grands moyens rhétoriques.

Sans doute, c’est parce qu’il s’adresse directement aux populations dans la langue la moins châtiée possible- où se mêlent parfois l’arabe algérien, l’arabe classique et le français- qu’il a tendance à glaner un capital sympathie. Mais, dans la situation complexe par laquelle passe le pays sur le plan social, les choses ne se passent pas toujours avec une telle facilité. Il a été plusieurs fois apostrophé par des citoyens dans un style peu élégant. Il a eu à gérer des moments difficiles à Ouargla un certain 24 février 2013, lorsque des jeunes protestataires avaient décidé de marcher sur Hassi Messaoud, soit sur une distance de 80 km, et, lui, faisait un discours à In Aménas en compagnie du secrétaire général de l’Ugta.

Au-delà des spécificités inhérentes aux réalités locales qui caractérisent les wilayas et daïras que le Premier ministre a eu à visiter, le leitmotiv qui est le dénominateur commun et qui fait l’unanimité au sein de la jeunesse, demeure le problème du chômage et des difficultés d’accès à l’emploi.

A.Sellal et ses ministres qui ont eu à intervenir avec lui pour  »assagir » les jeunes enfiévrés, ont tenu des discours qui ne sont pas toujours clairs et cohérents sur le plan du contenu et des perspectives qu’ils tracent pour cette jeunesse grouillante. Sellal, Tayeb Louh et Ould Kablia ont multiplié les promesses, fait injonction à certains responsables locaux (principalement les directeurs des agences locales de l’ANEM), et même à des responsables de Sonatrach pour explorer du pétrole à Béchar. Les walis ont été instruits de faire jouer la transparence la plus totale dans les opérations de distribution de logements et dans les recrutements dans les sociétés pétrolières et parapétrolières.

Avec tous les efforts fournis par le gouvernement pour contenir le front social et lui faire éviter des dérapages dangereux- la polémique sur un mouvement « séparatiste » au Sud a bien eu lieu-, la fronde demeure toujours présente, même si elle s’exprime avec moins de fracas.

Les promesses et leurs limites

Car, globalement, quelles que soient les promesses, les orientations et les directives données pour réduire les souffrances des jeunes chômeurs et améliorer les conditions de vie des populations, l’action du gouvernement a ses limites; elle porte même en son sein une myriade de contradictions; les unes sont consciemment entretenues pour des raisons politiques, destinées à dépasser temporairement le sommet de la crise sociale; les autres s’entrechoquent dans la foulée des efforts de persuasion, quitte même, pour les ministres concernés, à corriger le tir par la suite en invitant les populations à la raison.

Abdelmalek Sellal est positionné sur tous les fronts; l’on ne sait pas encore si l’absence du président de la République le dessert ou lui profite. En tout cas, lui, il paraît bien s’accommoder d’une situation qui dépasse presque tout le monde. Sur le plan de la  »symbolique » politique, il lui reste à  »tirer » neuf mois avant l’échéance présidentielle d’avril 2014, si rien d’imprévisible n’interfère dans le calendrier d’ici là. Entre-temps, il faudra, bien sûr, trouver une formule d’adoption pour la Constitution révisée par le groupe des « Cinq ». Passera-t-elle par l’APN et le Sénat? Fera-te-elle l’objet d’un référendum? Sera-t-elle soumise à un débat populaire? Rien n’est arrêté pour le moment.

Même si des « analyses » intègrent le nom de A.Sellal dans la liste des futurs « présidentiables », lui, donne l’impression qu’on ne  »parle pas de lui ». Il est là à « proclamer » que le pétrole a encore de l’avenir, et que les entreprises publiques peuvent facilement être réhabilitées et récupérées par le moyen d’un partenariat public-privé (PPP) ou d’un partenariat avec l’étranger. « Il faut réhabiliter notre appareil industriel, et s’il était besoin, que chaque entreprise publique aille chercher des partenaires », a-t-il déclaré la semaine passée à El Bayadh.

Contrairement à l’idée répandue lors des premières visites dans les wilayas du Sud, en pleine effervescence contestatrice, le Premier ministre vient de déclarer publiquement la vérité que commande la lucidité politique : « Aujourd’hui, dans tous les pays du monde, le problème majeur est celui de l’emploi. Nous avons le devoir de gagner cette bataille, mais, attention; la Fonction publique est saturée. Elle ne peut plus absorber tous les jeunes demandeurs d’emploi. Elle a ses limites. La solution doit être trouvée ailleurs ». Où?

Là, on rejoint la problématique de la diversification de l’économie algérienne qui demeure toujours pendante. Les limites de la Fonction publiques ont été exprimées bien avant ce jour par le premier argentier du pays, Karim Djoudi. Employant près de deux millions de personnes, entre civiles, militaires et paramilitaires, l’administration publique peinera sans doute à suivre les rythme des salaires actuels et des transferts sociaux, principalement ceux destinés au soutien des prix des produits de première nécessité. Ces soutiens profitent aussi aux riches.

Sellal l’a reconnu. Pire, ils profitent aux pays voisins via la contrebande. Les carburants soutenus par l’État se retrouvent au Maroc et en Tunisie. Il y a même des situations cocasses qui font que, avec des véhicules soutenus par l’État dans le cadre de la micro- entreprise (Ansej, CNAC), certains jeunes des wilayas du Sud transportent du carburant qu’ils revendent dans les pays voisins. Cela nous rappelle quelque part ces mésaventures de la harga en mer que des jeunes ont réalisées avec des barques de pêche soutenues par l’État.

Un État apparemment trop « généreux » jusqu’à agir dans la maladresse.

Face au recul des recettes en hydrocarbures, le ministre des Finances avait suggéré la possibilité de réduire l’enveloppe financière de certains projets d’équipements publics programmés dans le cadre du plan quinquennal 2010-2014. Il faisait savoir, l’année passée, que le budget de fonctionnement par lequel sont assurés les salaires ne sera pas touché. Cependant, en avril dernier, le directeur général des prévisions et des politiques relevant du ministère des Finances, Sidi Mohamed Ferhane, n’a pas exclu la possibilité de réduire les dépenses de fonctionnement.

Les salaires des fonctionnaires, après l’adoption des nouveaux statuts particuliers et des régimes indemnitaires, totalisent un montant de 2 600 milliards de dinars par an. Si une réduction des salaires n’est pas envisageable, le gouvernement pourrait recourir à leur « stabilisation », terme euphémique utilisé par le ministère des finances pour signifier gel.

«Je veux du bien pour ce pays»

Le directeur général des prévisions et des politiques a, quant à lui, fait état, en avril dernier, d’une nouvelle vision qui pourrait être développée pour l’évaluation des salaires des fonctionnaires.

Il parle d’un « alignement du niveau des salaires sur des facteurs mesurables », à savoir, entre autres, la productivité et l’inflation. De même, il est suggéré un meilleur ciblage des subventions publiques. Actuellement, elles profitent indifféremment aux pauvres et aux riches, et alimentent le réseau de contrebande.

En tout cas, c’est là un dossier qui a nourri une vive controverse au sein des experts et des gestionnaires de l’économie nationale, d’autant que les produits d’importation trouvent dans cette  »embellie » d’un pouvoir d’achat factice un terrain qui leur est largement favorable. C’est pourquoi, le secrétaire général de l’Ugta a plaidé au début 2013 pour le retour au crédit de consommation dirigé exclusivement vers la production nationale.

Au début 2011, lors des grandes manifestations de rue inspirées en grande partie par un Printemps arabe pour lequel on ne pouvait pas prévoir un destin aussi médiocre, le Premier ministre d’alors, Ahmed Ouyahia fit savoir, en justifiant les différentes subventions mobilisées sur-le-champ par le gouvernement, que « la paix sociale a un prix ».

Deux ans après, Abdelmalek Sellal, placé sur les charbons ardents d’un front social qui n’arrive pas à s’apaiser, est en train de mesurer la portée d’une telle vision, mais surtout l’extrême tension d’un dilemme qui peine à laisser ouvertes les portes de choix mûrs et avisés.

Le dilemme, pour le Premier ministre et l’équipe gouvernementale qu’il dirige se pose en ces termes: comment satisfaire la demande sociale en postes d’emplois, en logements, en équipements de santé, en infrastructures, sans tomber dans le populisme et la démagogie qui remettraient en cause le semblant d’autonomie financière que notre pays a gagné par rapport aux instituions financières internationales?

Cette autonomie, rendue possible par les recettes historiques en hydrocarbures engrangées depuis le début des années 2000, a même permis de prêter de l’argent, 5 milliards de dollars, à notre ancien créancier, le Fonds monétaire international. Abdelmalek Sellal est dans une position peu confortable, mais, dira–t-il devant les députés le 1er octobre 2012: « je veux du bien pour ce pays ».

On trouvera très peu de gens, y compris dans le camp de l’opposition, qui lui contesteraient la sincérité de cette profession de foi. Néanmoins, en ces temps de tension sociale extrême, d’options économiques problématiques et de choix politiques qui ne manqueront pas, bientôt, de happer le personnel politique et la population, l’action du gouvernement Sellal ne peut que ressentir l’étroitesse de sa marge de manœuvre. Dans ce magma social et économique qui voit sa longévité exagérément allongée, et dans cette pétaudière politique où aucune visibilité n’arrive à s’esquisser, quel peut être le destin d’un Premier ministre qui a accepté d’ « aller au charbon » sans filets de protection?  »Sa sincérité le sauvera », diront- pour reprendre une formule très algérienne- certains observateurs qui font table rase des calculs étroits des politiciens et du machiavélisme ambiant.

S.T.