Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach : «Il est impensable d’arrĂŞter du jour au lendemain les subventions»

Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach : «Il est impensable d’arrĂŞter du jour au lendemain les subventions»
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L’ex-PDG de Sonatrach estime, dans cet entretien, que le modèle Ă©nergĂ©tique que l’AlgĂ©rie devra appliquer ne va pas consister Ă  prendre de simples mesures tarifaires, ou encore projeter de recourir Ă  telle ou telle source Ă©nergĂ©tique. Il doit reposer sur une projection Ă  long et mĂŞme très long terme tenant compte de l’Ă©volution annĂ©e par annĂ©e.

Abdelmadjid Attar a Ă©galement mis en exergue la nĂ©cessitĂ© d’Ă©tendre l’utilisation du GPL Ă  la traction automobile. Cet expert en question Ă©nergĂ©tique dĂ©fend, en outre, l’idĂ©e d’ouvrir le secteur de l’Ă©nergie au privĂ©, car, estime-t-il, il y a d’Ă©normes potentialitĂ©s dans ce domaine. S’agissant par ailleurs de la nĂ©cessitĂ© ou non pour Sonatrach de se dĂ©ployer davantage Ă  l’Ă©tranger via notamment des fusions-acquisitions ou simplement acheter des sociĂ©tĂ©s en difficultĂ©, l’ancien ministre des Ressources en eau regrette le retard pris pour cette option. «On aurait pu le faire effectivement il y a dix ans ou plus mais plus maintenant car il y a dĂ©jĂ  fort Ă  faire d’abord en AlgĂ©rie, au lieu de regarder derrière soi», analyse-t-il plus loin.Le Temps d’AlgĂ©rie : Pour commencer, beaucoup de choses sont dites sur les rĂ©serves de l’AlgĂ©rie en pĂ©trole. Peut-on rĂ©ellement Ă©valuer aujourd’hui la durĂ©e de vie de nos rĂ©serves en pĂ©trole ?

Abdelmadjid Attar : Aucun des pays producteurs de pĂ©trole ou de gaz ne publie de façon officielle ses chiffres de rĂ©serves pour de multiples raisons (politique, stratĂ©gique, commerciales) et c’est la raison pour laquelle l’AlgĂ©rie affiche depuis plus de dix ans 4500 milliards de mètre cubes de gaz naturel et 3 milliards de tonnes de pĂ©trole liquide.

Ce que je sais, c’est que ces chiffres comprennent les rĂ©serves prouvĂ©es, probables et possibles. Mais rĂ©cemment, le Conseil des ministres dans son communiquĂ© relatif au projet de loi de finances 2016 a publiĂ© de nouveaux chiffres, Ă  savoir 1387 millions de tonnes de pĂ©trole et 2745 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Cela doit certainement correspondre aux seules rĂ©serves prouvĂ©es restant Ă  produire. A mon avis, cette publication est intentionnelle pour sensibiliser les citoyens et leur faire comprendre qu’il ne reste pas grand-chose Ă  produire.

Certains spĂ©cialistes estiment que les rĂ©serves de l’AlgĂ©rie, quel que soit le niveau d’exploration, sont vouĂ©es Ă  l’assèchement le temps d’une gĂ©nĂ©ration. Alors quel est le modèle Ă©nergĂ©tique Ă  mettre en place pour assurer la satisfaction des besoins internes, mais aussi l’exportation Ă  moyen et long terme ?

Tout le problème est lĂ  car quelles que soient nos rĂ©serves, elles sont appelĂ©es Ă  disparaĂ®tre un jour ou l’autre, la durĂ©e dĂ©pendant de ce qu’on en fait, et du modèle de consommation Ă©nergĂ©tique qu’on met en Ĺ“uvre, en tenant compte bien sĂ»r que l’Ă©conomie algĂ©rienne est dĂ©pendante Ă  98% de la rente pĂ©trolière aujourd’hui, et pour de longues annĂ©es encore.

Ce modèle ne doit pas consister Ă  prendre de simples mesures tarifaires, ou encore projeter de recourir Ă  telle ou telle source Ă©nergĂ©tique comme les Ă©nergies renouvelables et mĂŞme le gaz de schiste si jamais il s’avère rentable Ă  l’avenir. Il doit reposer sur une projection Ă  long et mĂŞme très long terme tenant compte de l’Ă©volution annĂ©e par annĂ©e :

– Des rĂ©serves rĂ©elles disponibles et des capacitĂ©s de production.

– Des besoins en matière de financement des projets sociaux qu’aucune autre ressource n’est en mesure d’assurer hĂ©las pour le moment, en attendant la diversification de l’Ă©conomie, seule Ă  mĂŞme de crĂ©er de nouvelles richesses, donc de nouvelles ressources financières. Il y a des programmes, des annonces, des promesses, mais aucun rĂ©sultat concret pour le moment.

– Des besoins Ă©nergĂ©tiques du pays (consommation interne) dont la composante est hĂ©las aujourd’hui Ă  100% d’origine hydrocarbures.

– De la nĂ©cessitĂ© de diversifier cette consommation en ayant recours progressivement Ă  d’autres ressources renouvelables, ce qui signifie une transition Ă©nergĂ©tique, mais tenant compte aussi que cette transition ne se fera pas du jour au lendemain comme le croient certains et nĂ©cessitera d’une part des investissements importants Ă  prĂ©lever de la rente pĂ©trolière, et un effort citoyen pour rationaliser la consommation.

C’est une formule d’arbitrage très complexe, dont la rĂ©solution dĂ©pend de tous les secteurs.

Dans vos diffĂ©rentes interventions, vous avez plaidĂ© pour la nĂ©cessitĂ© de revoir le modèle de consommation Ă©nergĂ©tique actuel. Toutefois, plus de 15 milliards de dollars sont prĂ©vus au budget de l’Etat pour 2016 au titre du soutien de l’Etat Ă  la consommation domestique de l’Ă©nergie. Peut-on dire, alors, que le virage de la transition Ă©nergĂ©tique n’a pas dĂ©butĂ© ?

Il faut ĂŞtre rĂ©aliste car on ne peut tout de mĂŞme pas arrĂŞter du jour au lendemain des subventions qui sont devenues notre pain quotidien Ă  tous, ceux qui en ont vraiment besoin et ceux qui en profitent, Ă  commencer par moi-mĂŞme avec une retraite relativement confortable par rapport Ă  celle d’un simple ouvrier.

La crise actuelle est une bonne occasion pour mettre de l’ordre dans la distribution de ces subventions, et chacun doit donner l’exemple, surtout en matière de consommation de produits Ă©nergĂ©tiques pour reculer dans le temps le moment oĂą nous serons amenĂ©s Ă  rĂ©duire les exportations pour assurer la sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique du pays. Et c’est dans moins de 15 ans que cela va se produire.

Toujours dans le volet Ă©conomie d’Ă©nergie, ne faut-il pas, par exemple, revoir et Ă©tendre l’utilisation du GPL Ă  la traction automobile au lieu de continuer Ă  miser sur le diesel qui est importĂ© en grandes quantitĂ©s ?

C’est plus qu’une urgence, non seulement pour le GPL mais aussi pour le gaz naturel carburant, dont les rĂ©serves sont plus confortables que celles du pĂ©trole. Il y aura très prochainement aussi le vĂ©hicule Ă©lectrique auquel il faut penser. Mais dans ce domaine, il y a la fameuse barrière du prix des carburants liquides qui est dĂ©risoire et peu stimulante. D’oĂą la nĂ©cessitĂ© de prendre les mesures tarifaires qui s’imposent de façon graduelle, avec des mĂ©canismes qui puissent Ă©pargner les couches les plus dĂ©favorisĂ©es.

Les pouvoirs publics (ministère de l’Energie, le groupe Sonatrach…) ne cessent de rassurer l’opinion publique quant Ă  l’avenir Ă©nergĂ©tique du pays. Ils affirment que l’AlgĂ©rie a rĂ©ussi Ă  renouveler ses rĂ©serves en hydrocarbures et que le volume de la production nationale connaĂ®tra Ă  partir de 2017 une augmentation significative. D’après vous, de telles assurances tiennent-elles la route ?

C’est le rĂ´le de tout responsable politique de rassurer le citoyen, surtout dans les situations de crise quelle que soit leur nature. Oui, il n’y a pas de crainte pour le moment en supposant que dans quelques annĂ©es seulement, on puisse sortir de la dĂ©pendance pĂ©trolière. Mais est-ce vraiment envisageable en ce moment ? La solution n’est pas dans le renouvellement, car mĂŞme si cela est fait, il faut se poser la question : combien de temps cela va durer par rapport non seulement Ă  une Ă©conomie dĂ©pendante essentiellement de la rente pĂ©trolière,

mais aussi par rapport Ă  une consommation interne qui fait de l’AlgĂ©rie l’un des pays les plus Ă©nergivores dans le monde sans presque aucune production de plus-value ? Voici juste un exemple : 70% de la consommation Ă©nergĂ©tique nationale sont consacrĂ©s aux mĂ©nages, au transport, et autres consommations sans production de valeur ajoutĂ©e, et seulement 30% Ă  l’industrie. Elle aura tendance Ă  dĂ©passer et mĂŞme Ă  rĂ©duire les exportations, Ă  moins d’une politique Ă©nergĂ©tique destinĂ©e Ă  la rĂ©duire, Ă  diversifier sa nature Ă  travers les Ă©nergies renouvelables, et Ă  en Ă©liminer progressivement la subvention qui ne doit profiter qu’aux citoyens qui en ont vraiment besoin.

Lors d’un rĂ©cent passage Ă  la radio, vous avez suggĂ©rĂ© d’abandonner l’idĂ©e de raccorder tous les villages et hameaux du pays au gaz naturel car c’est trop coĂ»teux. Vos dĂ©clarations ont suscitĂ© des dĂ©chaĂ®nements sur les rĂ©seaux sociaux et des commentaires…

C’est vrai que je me suis fait traiter de tous les noms d’oiseau et de vendu du système, et j’en passe. Parce qu’un journaliste a saisi la bonne occasion de donner un titre «commercial» Ă  son article. Mais ça reste mon opinion quand mĂŞme pour plusieurs raisons :

– D’abord, je n’ai pas parlĂ© de tous les villages et hameaux, mais seulement des zones oĂą les besoins des citoyens sont des besoins Ă©nergĂ©tiques Ă  caractère domestique. Donc, un besoin qui peut ĂŞtre satisfait par de l’Ă©lectricitĂ© tout simplement, surtout si elle peut ĂŞtre d’origine renouvelable, donc Ă  subventionner Ă  ce moment-lĂ  par l’Etat, et la lĂ©gislation actuelle le permet.

Donc plus propre, et surtout durable par rapport au gaz naturel qui ne sera probablement plus disponible Ă  un moment ou Ă  un autre et certainement plus cher que l’Ă©lectricitĂ©.

– La deuxième raison est non seulement Ă©conomique mais stratĂ©gique aussi. Elle permettra Ă  l’AlgĂ©rie de prolonger la durĂ©e (disponibilitĂ©) de cette ressource de façon transitoire pour le moment dans les exportations qu’on ne peut pas arrĂŞter vu notre dĂ©pendance de la rente, et pour le long terme au bĂ©nĂ©fice des besoins futurs non seulement pour la gĂ©nĂ©ration de l’Ă©lectricitĂ© elle-mĂŞme, mais aussi des activitĂ©s industrielles ne pouvant fonctionner qu’avec du gaz naturel. Cela y compris dans un village oĂą cela sera nĂ©cessaire.

– La troisième raison est celle qui fera de ces zones des pionniers et mĂŞme des privilĂ©giĂ©s en matière d’Ă©nergies renouvelables tant que l’Etat est tenu aujourd’hui de les encourager et les subventionner, ce qu’il ne pourra peut-ĂŞtre pas faire plus tard. – La quatrième raison est d’ordre stratĂ©gique, car le gaz naturel est en train de devenir la source d’Ă©nergie la plus convoitĂ©e dans le monde, la plus propre, et en mesure de peser de façon importante dans nos relations avec les pays qui n’ont pas de rĂ©serves.

Le Temps d’AlgĂ©rie : Certains reprochent Ă  Sonatrach de ne pas avoir saisi les opportunitĂ©s de la crise pĂ©trolière actuelle pour opĂ©rer des fusions-acquisitions ou simplement acheter des sociĂ©tĂ©s en difficulté… Partagez-vous cet avis ?

Abdelmadjid Attar : On aurait pu le faire effectivement, il y a dix ans ou plus, mais plus maintenant car il y a dĂ©jĂ  fort Ă  faire d’abord en AlgĂ©rie, au lieu de regarder derrière soi. Il faut quand mĂŞme prĂ©ciser que Sonatrach a tentĂ© de s’implanter ailleurs dans des projets qui auraient pu ĂŞtre rentables comme l’Irak ou la Libye. La conjoncture gĂ©opolitique ne l’a pas permis pour ces projets, tandis que dans d’autres, c’est plutĂ´t le manque d’autonomie dans la dĂ©cision.

Les entreprises privĂ©es, notamment celles sous la houlette du FCE, ont Ă©mis leurs souhaits d’investir dans le secteur des hydrocarbures. Quelle formule la plus adĂ©quate suggĂ©rez-vous au secteur privĂ© algĂ©rien qui, faut-il le rappeler, n’a pas d’expĂ©rience dans ce domaine pour rĂ©ussir ce challenge, mais aussi pour que les hydrocarbures ne soient pas considĂ©rĂ©es comme un apport de recettes mais surtout comme matière première qui aiderait Ă  bâtir une industrie aujourd’hui moribonde ?

C’est vraiment un sujet d’actualitĂ© extrĂŞmement important pour l’avenir du pays. Je suis sĂ»r qu’il y a d’Ă©normes potentialitĂ©s dans ce domaine pour peu qu’on accepte d’en dĂ©battre en toute transparence, sans aucun tabou et agir.

– Il est vrai que les entrepreneurs privĂ©s, du moins quelques groupes actuellement assez solides au point de vue financier, ont peu ou pas d’expĂ©rience technique sur l’amont et mĂŞme l’aval de l’industrie pĂ©trolière. Alors de deux choses l’une, on les intĂ©resse et on les encourage Ă  y aller pour crĂ©er plus tard des opĂ©rateurs capables de prendre la relève, ou bien on les laisse s’occuper de commerce, d’importation, et quelquefois de sous-traitance logistique pas plus, en restant enfermĂ©s avec les sociĂ©tĂ©s Ă©trangères qui ont toutes dĂ©marrĂ© petit avant d’ĂŞtre grand.

– Dans l’amont (recherche et production), le risque aussi bien technique que financier est certainement trop grand pour qu’une entreprise privĂ©e algĂ©rienne puisse le prendre seule, mais qu’est-ce qui empĂŞche de l’aider Ă  le prendre, en l’accompagnant Ă  travers des participations en partenariat avec une compagnie Ă©trangère ayant l’expĂ©rience et le savoir-faire ? Au bout de quelques annĂ©es, il sera en mesure de voler de ses propres ailes.

– Je donne un exemple prĂ©cis : il y a en AlgĂ©rie plusieurs petits gisements en dĂ©plĂ©tion ou mĂŞme abandonnĂ©s parce que les grandes compagnies et mĂŞme Sonatrach ne s’intĂ©ressent qu’Ă  ce qui est plus profitable. Or, partout dans le monde, ce sont les petites sociĂ©tĂ©s qui savent les exploiter au moindre coĂ»t dans l’intĂ©rĂŞt de tous. Il suffit d’en dĂ©finir les règles et les obligations de rĂ©sultat pour donner naissance Ă  de vĂ©ritables opĂ©rateurs pĂ©troliers algĂ©riens du futur.

– Dans l’aval (pĂ©trochimie), il y a encore plus d’opportunitĂ©s, et ce, d’autant plus qu’il s’agira de valoriser la production pour le marchĂ© national et mĂŞme l’exportation. Les investissements nĂ©cessaires et les technologies sont Ă©normes, mais il y a des possibilitĂ©s de crĂ©ation d’une multitude de PME-PMI autour de chaque grand projet pĂ©trochimique.

– Enfin, il y a les services pĂ©troliers qui sont actuellement en majoritĂ© entre les mains des sociĂ©tĂ©s Ă©trangères, de quelques entreprises publiques, et les entreprises privĂ©es qui s’occupent en majoritĂ© de sous-traitance logistique et de gardiennage. LĂ  aussi on peut initier et soutenir progressivement la naissance de vĂ©ritables entreprises privĂ©es de haut niveau. Je connais l’exemple d’au moins une sociĂ©tĂ© Ă©trangère qui s’est implantĂ©e en AlgĂ©rie en tant que tout petit sous-traitant en soudure et montage, qui fait aujourd’hui un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars, alors qu’elle a appris en grande partie le mĂ©tier en AlgĂ©rie.

– ArrĂŞtons simplement de demander les fameuses trois annĂ©es d’exercice aux opĂ©rateurs Ă©conomiques privĂ©s algĂ©riens, et de les considĂ©rer tous comme des «voleurs», sinon il n’y aura jamais de relève. A cĂ´tĂ© de cela, on permet Ă  une simple Eurl de faire un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dinars uniquement en important des containers.

Entretien réalisé par Salah Benreguia