Abdelkader Messahel,«Au Mali, l’intervention armée reste un recours ultime»

Abdelkader Messahel,«Au Mali, l’intervention armée reste un recours ultime»

Des déclarations sur le Mali nous parviennent journellement de toutes parts. Ces déclarations se suivent, se croisent et souvent se contredisent. Sur le terrain, si la situation n’est pas pour l’instant explosive, elle est toutefois loin de permettre une lecture claire, aisée du positionnement des uns et des autres, acteurs directs ou indirects, sur le futur immédiat du Mali et la gestion de cette crise. Et l’Algérie dans tout cet imbroglio ?

Acteur incontournable, disent les uns et les autres, l’Algérie dit défendre sur ce dossier une position caractérisée par de la «la constance, de la continuité et de la cohérence». Mais au-delà, quelle est justement cette position ? Quel contenu donne l’Algérie au dialogue qu’elle prône et avec quels protagonistes ? Si malgré tout, le dialogue échouait et que le Conseil de sécurité décidait d’une intervention armée, que ferait alors notre pays ? S’engagera-t-il dans la guerre et si oui, sous quelle forme ? A toutes ces questions, Abdelkader Messahel, ministre Délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des Affaires maghrébines et africaines, le plus impliqué aujourd’hui dans ce dossier, nous a répondu, allant souvent dans le détail et disséquant chacun de ses arguments. Notre entretien ne s’est cependant pas limité à la situation au Mali : position de l’Algérie sur le Sahara occidental, l’Union du Maghreb arabe (UMA) et l’Union pour la Méditerranée (UpM) méritaient aussi qu’elles soient clarifiées.

Le Soir d’Algérie :La situation au Mali est aujourd’hui le théâtre de bouleversements intenses faits de tractations, de modifications de positionnements quasi-permanents des acteurs directs ou indirects dans cette région : Ansar Dine, qui s’est déclaré pour le dialogue d’une part et d’autre part, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, MNLA, qui se faisaient la guerre, ont signé récemment un communiqué commun pour le dialogue avec les autorités provisoires de Bamako. Le MNLA s’est lancé ces derniers jours dans des combats contre les islamistes du Mujao pour reprendre des positions accaparées par les islamistes. Certains va-t-en guerre appellent finalement au dialogue : ces revirements incessants ne laissent aucune place à la clarté de la situation. Pourriez-vous, Monsieur le Ministre, nous dire qu’est-ce qui rend peu claire la situation ?

Abdelkader Messahel : La situation au Mali est très complexe. Parfois le manque de connaissance des véritables enjeux conduit à ce que les positions des uns et des autres peuvent apparaître comme fluctuantes. Pour ce qui nous concerne, nous avons fait un travail en direction de tous nos partenaires pour informer de la position de l’Algérie, pour expliquer la complexité du problème et, aujourd’hui, nous sommes parvenus, et c’est un fait, à créer une certaine convergence de vues. C’est cela le plus important. Ce qui est important d’expliquer, c’est qu’au Mali, il y a une menace qui est non seulement certaine mais elle concerne tout le monde, et qu’il s’agit, en l’occurrence, d’une menace du crime organisé et du terrorisme. Quant à la rébellion touareg, c’est une rébellion récurrente : il y en a eu en 1963, en 1990, en 2006 puis en 2011. Cette rébellion est un problème malo-malien. Pour ce qui nous concerne, nous faisons la distinction. Tout ce qui est malo-malien doit être géré dans le cadre d’un dialogue politique, pacifique. Il faut travailler à expliquer cela et c’est ce que nous avons fait jusqu’à maintenant. Nous avons été les précurseurs et cela depuis des années dans la définition de la menace qui reste le terrorisme et le crime organisé. Nous avons travaillé avec nos partenaires à aider à faire cette distinction et faire en sorte que le MNLA se démarque des positions indépendantistes et qu’Ansar Dine se démarque du terrorisme et du crime organisé. Dans ce domaine-là, il y a, incontestablement, une évolution puisque ces deux groupes vont vers le dialogue, un dialogue qui préserve l’unité nationale.

Aujourd’hui le MNLA n’a plus de revendication d’autonomie ?

Le MNLA a évolué. Souvenez-vous qu’il a revendiqué l’indépendance. Par rapport au début de la crise, on relève chez ce mouvement une évolution très importante.

La Résolution 2071 du 12 octobre du Conseil de sécurité de l’ONU marque, pour tout observateur de la situation au Sahel et les conflits au Mali, un tournant dans la position algérienne quant au traitement de cette question. D’une attitude ferme et sans équivoque de rejet de toute intervention militaire, préférant l’appropriation du conflit malien par les pays du champ, l’Algérie semble, maintenant, se faire une raison de l’inéluctabilité d’une intervention militaire préparée officiellement par la Cédéao. Aujourd’hui, l’internationalisation du conflit que redoutait l’Algérie et qui résulte d’intérêts géostratégiques bien compris, semble en marche. Très clairement, Monsieur le Ministre, qu’est-ce qui vous a conduit à relâcher votre fermeté initiale ?

Il y a lieu, je crois, de se départir des approches manichéennes. La crise malienne est, en soi, très compliquée et très complexe alors, de grâce, évitons de l’approcher sous le simple prisme du tout militaire ou du tout politique. Partant de là, laissez-moi vous dire qu’il n’y a eu que de la constance, de la continuité et de la cohérence dans la position de l’Algérie. Vous vous rappelez que l’Algérie a salué l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2071 que vous évoquez. Pourquoi ? Parce qu’elle apporte une réponse à une sortie de crise au Mali, que l’Algérie a prônée, dès le début des événements dans ce pays, plus exactement depuis le 20 mars 2012, lors de la réunion au niveau ministériel du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, tenue à Bamako, soit avant même le coup d’Etat. Cette position a été réaffirmée lors des réunions de la Cédéao, auxquelles l’Algérie a été invitée, expliquée aux autorités maliennes, à nos partenaires des pays du champ, à l’Union africaine, aux Nations Unies ainsi qu’à d’autres acteurs-clés dans la région.

«Une solution politique inclusive qui doit impliquer toutes les populations du Nord du Mali, où il n’y a pas que des Touareg»

Pour tenter de comprendre, quelle est, au juste, cette position que l’Algérie, dites-vous, défend avec cohérence et constance depuis des mois ?

Elle est cadrée par des principes, des objectifs, une logique et un mode opératoire. Nous l’avons déclinée en six points à la réunion extraordinaire de la Cédéao le 26 avril 2012 à Abidjan (Côte-d’Ivoire). En résumé, il s’agit de préserver l’intégrité territoriale du Mali, que nous considérons comme un élément non négociable, de prendre en charge les revendications légitimes des populations du Nord dans le cadre d’un dialogue entre les Maliens, et de poursuivre la lutte contre le terrorisme et le crime transnational organisé. A cette fin, l’Algérie s’attelle à favoriser l’émergence des conditions favorables à un dialogue, entre le gouvernement malien et les groupes de la rébellion armée qui renoncent donc à toute remise en cause de l’intégrité territoriale du Mali et qui se démarquent, sans équivoque, du terrorisme et du crime transnational organisé. Ce dialogue doit être naturellement crédible pour assurer une solution politique durable, comme il doit être mené avec célérité pour éviter l’enlisement de la situation. Les évolutions récentes des groupes rebelles MNLA et Ansar Dine, par rapport à leurs revendications initiales ou à leur positionnement à l’égard du terrorisme et du crime transnational organisé, entrent dans le cadre de ce processus. Sur un autre plan, il est nécessaire que les autorités de la transition au Mali soient unies, et que le gouvernement soit fort et représentatif, afin de pouvoir engager l’Etat malien dans tout dialogue. L’annonce des prochaines assises nationales au Mali, à la fin de ce mois, pour, notamment, mettre en place une commission nationale de négociation et pour dégager une feuille de route, qui mènera à des élections générales, constitue assurément une bonne nouvelle et une avancée significative vers la solution politique négociée. Il me reste à ajouter que toute solution politique doit être inclusive et impliquer toutes les populations du Nord du Mali, où il n’y a pas que des Touareg.

L’Algérie reste-t-elle toujours opposée à une intervention armée au Mali ?

L’intervention armée reste un recours ultime après l’épuisement de toutes les voies du dialogue, ce qui n’est pas encore le cas. L’Algérie prône une approche globale pour une solution, qui, pour qu’elle soit durable, doit procéder d’une bonne analyse de la situation et d’un diagnostic juste. Nous voulons éviter la réédition de l’exemple de la crise libyenne lorsque nous avons attiré l’attention sur ses conséquences sur la sécurité et la stabilité régionales. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît que nous avions raison, mais le mal est fait et nous devons y répondre. C’est la même démarche et le même sens des responsabilités qui nous animent aujourd’hui. On peut savoir quand commence une guerre, mais jamais quand et surtout comment elle se termine. C’est pour cela que nous expliquons à nos partenaires que toute intervention armée doit être conduite avec une définition rigoureuse des objectifs recherchés, des cibles ennemies, des moyens requis, des règles d’engagement, et naturellement des coûts, pour qu’elle soit entourée des chances de succès, comme l’a exigé le Conseil de sécurité. Il est évident que toute intervention armée doit être conduite avec discernement, cibler les véritables menaces que sont le terrorisme et le crime transnational organisé. Ces menaces de nature globale ne concernent pas uniquement le Mali ou la sous-région, mais la communauté internationale dans son ensemble et appellent une coopération internationale pour leur éradication, y compris par le recours à la force, conformément d’ailleurs à la stratégie des Nations Unies de lutte contre le terrorisme.

Aujourd’hui et au vu du développement de la situation dans la région, considérez-vous avoir réussi dans la gestion diplomatique de ce dossier ?

Je veux relever dans ce cadre qu’il a été dit par certains, au gré des événements, que la démarche de l’Algérie pour une solution politique négociée est de plus en plus soutenue, l’assimilant à une victoire. Il a été également soutenu, toujours au gré des événements, que l’option militaire au Mali se précise, l’assimilant à une défaite de la diplomatie algérienne. Il ne s’agit pas de cela. Ce dont il s’agit, c’est de contribuer à apporter la bonne solution à une situation complexe et grave dans un pays voisin, en tenant compte des nos intérêts de sécurité et ceux de notre région. La seule victoire pour l’Algérie, le Mali, la région et la communauté internationale, est de voir le Mali uni dans ses frontières, débarrassé des fléaux du terrorisme et du crime transnational organisé et où les Maliens exercent pleinement leur citoyenneté.

Les chefs d’états-majors de la Cédéao se sont prononcés sur le «concept d’opérations » de la reconquête du Nord du Mali mis au point à Bamako par les experts internationaux, africains et occidentaux : composition de la force d’intervention ; niveau de participation des pays de la Cédéao, financement et moyens militaires dont elle devrait disposer. En fait, il s’agit du plan de reconquête du Mali demandé par le Conseil de sécurité de l’ONU et qui devra lui être présenté le 28 novembre prochain, après son adoption par l’Union africaine. Quel est votre positionnement quant à ce plan auquel des experts algériens ont pris part ? Présence dans la force d’intervention ?

Aide logistique par la mise à disposition d’armes ou de terrains de déploiement ? J’ai indiqué dans ma précédente réponse la position de l’Algérie sur les conditions d’une conduite de toute intervention armée. Notre participation, en qualité d’observateur, à la réunion de Bamako sur le concept d’opérations militaires de la Cédéao participe d’abord de la coordination que nous menons avec cette organisation, qui est un acteur important dans la crise malienne, ensuite de l’intérêt que nous portons à toutes les initiatives qui concernent le Mali, et enfin de la demande faite aussi bien par le Conseil de sécurité des Nations Unies que par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, d’avoir une concertation permanente avec notre pays, en tant que pays voisin. Dans le contexte actuel, l’Algérie, aussi bien que le Niger et la Mauritanie, travaillent à renforcer la sécurisation de leurs frontières. Il s’agit d’une tâche très difficile qui nécessite des moyens conséquents. Je veux préciser ici que la sécurisation des frontières ne signifie pas leur fermeture automatique.

Je vous renouvelle encore ma question en vous la précisant : s’il restait seulement les deux mouvements terroristes, le Mujao et Aqmi, sur le terrain et que le Conseil de sécurité venait à décider d’une intervention armée, l’Algérie interviendrait- elle militairement ?

«L’intervention militaire de l’Algérie n’est pas à l’ordre du jour»

L’intervention militaire de l’Algérie n’est pas à l’ordre du jour. Maintenant que le Mali soit accompagné, nous n’avons pas attendu pour le faire, notamment dans sa lutte contre le terrorisme en sécurisant les frontières, en participant à la sécurisation des institutions et établissements à Bamako, en renforçant les capacités de l’armée malienne, en partageant le renseignement et en fournissant des équipements en fonction de nos moyens : voilà la logique de notre contribution à la lutte contre le terrorisme. Ceci procède d’engagements bilatéraux et de mise en œuvre des résolutions 2056 et 2071 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Quel rôle joue aujourd’hui le Comité d’état-major opérationnel conjoint, Cemoc, regroupant l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie et a-t-il encore un rôle à jouer ?

Naturellement que le Cemoc a un rôle qu’il continuera d’assumer jusqu’à l’éradication du terrorisme et du crime transnational organisé de la région. C’est à cette fin qu’il a été créé, au même tire d’ailleurs que l’Unité Fusion et Liaison (UFL). Ces deux mécanismes, comme vous le savez, font partie de la stratégie régionale mise en place entre les pays du champ. En plus de la concertation sous-régionale au plan politique, ces deux mécanismes visent à assurer une coordination aux plans militaire et sécuritaire pour la sécurisation par chaque pays de ses propres frontières.

Des critiques ont été portées sur l’efficacité de ce mécanisme et son utilité…

Des commentaires ont été effectivement faits sur la pertinence de la stratégie régionale mise en place entre les pays du champ, et sur l’efficacité du Cemoc. Le bilan que nous faisons de la mise en œuvre de cette stratégie est positif. Je crois, par ailleurs, qu’il ne faut pas exiger du Cemoc de réaliser, en quelques années, dans des conditions difficiles, ce que d’autres organismes similaires ont mis des décennies à parachever, en termes de commandement, d’interopérabilité, de planification et de conduite des opérations. Nous n’avons donc pas attendu l’éclatement de la crise au Mali et ses répercussions sur la stabilité et la sécurité régionales, pour nous engager dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Toute l’architecture que nous avons mise en place obéissait à cet impératif.

Au-delà de l’expression de positions politiques, que fait concrètement l’Algérie pour aider le Mali ?

Je crois que la contribution la plus précieuse reste le travail effectué pour favoriser l’émergence et la consolidation d’un consensus international sur la crise au Mali. Il s’agit, selon nous, d’une condition essentielle pour toute conduite viable d’une solution, car ce consensus est de nature à dégager un même agenda qui lie et engage la communauté internationale et l’ensemble des acteurs. Cet agenda, consacré maintenant par le Conseil de sécurité des Nations Unies et par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, reste la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité du Mali et la poursuite de la lutte contre le terrorisme et le crime transnational organisé. Il ne saurait y avoir d’autres agendas ou encore moins d’agendas cachés.

«5 800 tonnes de matériel et 10 millions de $ pour aider le gouvernement malien à conduire une transition de manière apaisée»

Et plus concrètement ?

Sur le plan bilatéral, l’Algérie apporte, en fonction de ses moyens, une aide au Mali, avec lequel nous partageons, ne l’oublions pas, non seulement une longue frontière, mais, également, une histoire et une culture communes. Cette aide concerne d’abord le volet humanitaire qui constitue une urgence. L’Algérie a acheminé par ses propres moyens, depuis le début de la crise, une aide de 5 800 tonnes qui a bénéficié aux réfugiés maliens en Mauritanie, au Niger et au Burkina Faso, ainsi qu’aux personnes déplacées dans le sud du Mali. Notre aide concerne ensuite l’armée malienne dans les domaines de la formation, du renforcement des capacités, de la fourniture d’équipements et de l’échange du renseignement. Cette aide, je dois le préciser, s’inscrit dans la continuité de nos efforts pour accroître les capacités des pays de la région à lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Notre aide concerne enfin le volet financier, avec une contribution directe de dix millions de dollars américains, pour aider le gouvernement malien à conduire la transition de manière plus apaisée. La finalité de cette aide et de cet appui, qui appellent au demeurant le concours de la communauté internationale, consiste à renforcer le leadership des Maliens et à conférer une centralité réelle et effective à leur rôle dans toute sortie de crise. Je veux souligner, à cet égard, que l’ensemble de ces aides s’inscrit dans le cadre des résolutions 2056 et 2071 du Conseil de sécurité des Nations Unies, relatives à la situation au Mali, qui ont demandé aux Etats membres à appuyer le Mali dans cette phase de transition.

Poursuivant dans sa stratégie de «solution politique dans la région», l’Algérie a négocié avec le groupe Ansar Dine, un groupe islamiste armé, installé au Nord du Mali depuis avril 2012 avec les terroristes d’Al Qaïda au Maghreb et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad). Ce groupe vient de déclarer qu’il rejetait toute forme de terrorisme et que, par ailleurs, il s’engageait à lutter contre la criminalité transfrontalière organisée. Est-ce crédible, venant d’un groupe islamiste armé et qui a pour projet l’instauration de la Charia à laquelle il ne semble pas renoncer comme il ne semble pas renoncer à ses acolytes d’Al Qaïda au Maghreb ?

«L’Algérie a toujours œuvré pour parvenir à découpler les groupes touareg porteurs de revendications politiques légitimes des groupes terroristes et autres liés au crime organisé»

D’abord, l’Algérie ne négocie pas avec les acteurs internes au Mali. Ils doivent négocier entre eux. La solution doit être malienne. C’est ce que nous appelons l’appropriation par les Maliens de leur destin. Personne ne peut décider à la place d’une Nation de son projet national ou de son avenir. Ce que nous faisons consiste, comme je l’ai dit, à créer les conditions favorables à une négociation réussie et crédible entre les Maliens. S’agissant plus précisément du groupe Ansar Dine, vous devez savoir qu’il est constitué de Maliens, de Touareg maliens précisément, qui ont pris les armes pour faire valoir leurs revendications. Il s’agissait d’amener ce groupe à renoncer, d’une part, à la violence au profit de la négociation, comme moyen de revendication, et de se démarquer, d’autre part, des groupes terroristes et ceux affiliés au crime transnational organisé, que sont Aqmi et le Mujao. Vous avez lu la déclaration de ce groupe et certainement relevé les réactions qu’elle a suscitées au Mali et en dehors du Mali. Le processus de la solution politique négociée est en cours. S’agissant de l’application de la Charia, revendiquée par le groupe Ansar Dine, ou la laïcité prônée par la Cédéao, il faut avoir à l’esprit que toute composante d’une société a le droit de revendiquer un projet de société, naturellement par des moyens non violents. La réponse à cette revendication sera apportée dans le cadre du dialogue entre les Maliens.

N’est-ce pas la perspective de plus en plus proche d’une intervention militaire qui a conduit à des déclarations pour le moins inattendues d’Ansar Dine ?

La déclaration d’Ansar Dine est là. Il faut en prendre acte. Il nous faut composer avec une réalité suffisamment complexe. Ne compliquons donc pas encore les données en nous fourvoyant dans les méandres des tentatives d’explication des intentions des uns et des autres. L’Algérie, pour ce qui la concerne, a toujours œuvré pour parvenir à découpler les groupes touareg porteurs de revendications politiques légitimes des groupes terroristes et autres liés au crime organisé. Aujourd’hui, le groupe Ansar Dine qui s’est démarqué de l’extrémisme et du terrorisme au même titre que le MNLA qui a remisé ses velléités indépendantistes sont éligibles à devenir acteurs dans la recherche d’une solution politique à la crise qui secoue le pays. La patience et la persévérance ont payé et les décantations politiques s’opèrent.

On parle d’une stratégie des Nations Unies pour le Sahel. Cette initiative emporte-t-elle l’adhésion de l’Algérie ?

Absolument. L’Algérie a marqué sa disponibilité à coopérer avec les Nations Unies pour l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie, dont est chargé Monsieur Romano Prodi, Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour le Sahel, qui a effectué récemment une visite dans notre pays. Et là aussi, je reviens à la constance et à la cohérence de la démarche de l’Algérie. Vous vous rappelez sans doute que notre pays a organisé, en septembre 2011, une conférence de haut niveau sur le partenariat, la sécurité et le développement, qui a mobilisé les partenaires en faveur de la région et qui a dégagé des principes structurants du partenariat recherché, notamment l’appropriation des pays de la région de la stabilité et de la sécurité régionales, la complémentarité des stratégies et approches existantes pour le Sahel et l’indivisibilité des dimensions de la sécurité et du développement. Cette conférence, qui a connu une participation massive et de haut rang des partenaires invités, a été le premier exercice multilatéral sur le partenariat dans la région du Sahel. La stratégie des Nations Unies, en cours d’élaboration, s’inscrit dans la même logique et procède du même esprit que la Conférence d’Alger, tant au niveau du concept qu’au niveau de la démarche.

Que deviennent les diplomates otages algériens du Mujao sur lesquels les rumeurs les plus alarmantes ont circulé sans que le silence radio observé par les autorités algériennes soit rompu ?

Le sort des otages algériens demeure au centre de nos préoccupations et mobilise les appareils de l’Etat en permanence. Je ne peux pas vous en dire plus pour des impératifs de discrétion, que vous comprendrez aisément.

«La question du Sahara occidental est un problème de décolonisation qui relève de la responsabilité de l’ONU»

Christopher Ross, l’envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unies, a repris son bâton de pèlerin qui l’a mené au Maroc, dans les territoires sahraouis, en Mauritanie, dans les camps de réfugiés à Tindouf et enfin en Algérie. Une première interrogation se pose : comment l’émissaire de l’ONU, qui avait été désavoué par Rabat en mai dernier — le roi du Maroc considérant alors qu’il n’exerçait pas objectivement sa mission — fait son retour sur cette scène, sans qu’on relève des protestations du royaume marocain ?

Il me semble que les autorités marocaines sont mieux placées pour répondre à cette question.

Certains commentateurs considèrent que ce retour, en pleines tractations françaises et américaines tendant à faire impliquer Alger dans l’intervention militaire au Mali, aurait été consenti en contrepartie de promesses faites au Maroc d’un règlement de ce conflit, après l’intervention projetée au Mali, sur la base du plan d’autonomie que le monarque a proposé. Simples élucubrations de commentateurs ou compromis avéré ?

La question du Sahara occidental est un problème de décolonisation qui relève de la responsabilité de l’ONU. Le Sahara occidental est, depuis 1965, inscrit sur la liste des 16 territoires non autonomes tenue par le Comité de décolonisation des Nations Unies et, donc, éligible à l’application de la résolution 1514 de l’Assemblée générale de l’ONU portant Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux. De ce fait, le problème n’a rien à voir avec la situation qui prévaut actuellement dans la région du Sahel et, plus précisément, au Mali. Vous n’êtes pas sans savoir que, comme l’Algérie, la communauté internationale, ainsi que l’ONU, par le biais de son Secrétaire Général, n’ont pas cessé de réaffirmer leur soutien à M. Christopher Ross dans l’accomplissement de son mandat.

A l’issue de sa tournée dans la région et de ses entretiens à Alger, notamment avec le président de la République et vous-même, l’envoyé personnel de Ban Ki-moon a parlé «d’échec des négociations Maroc-Front Polisario» d’«absence de progrès notable», évoquant même «l’impasse dans laquelle se trouve la question du Sahara occidental». Quelles seraient, selon vous, les propositions que ferait Ross dans son rapport au Secrétaire Général de l’ONU ?

M. Ross n’a fait que répéter ce que le Secrétaire Général de l’ONU a constaté dans ses différents rapports au Conseil de sécurité. Il faut reconnaître que la série de rencontres informelles que M. Ross a initiée, en 2009, pour préparer la reprise du 5e round des négociations, entre le Maroc et le Front Polisario, n’a rien donné de palpable et les causes de ce blocage sont clairement identifiées. La tournée que l’envoyé personnel du SG/ ONU vient d’effectuer dans la région donnera, effectivement, lieu à un briefing du Conseil de sécurité, prévu pour le 28 novembre 2012. Les idées que M. Ross aurait à partager, à cette occasion, avec les membres du Conseil de sécurité ne s’écarteront certainement pas du respect de la légalité internationale et du droit du peuple du Sahara occidental à décider librement de son sort et du statut final de son territoire, dans le cadre de l’application du principe de l’autodétermination.

«La relance effective et ordonnée de l’UMA est une nécessité. L’UMA doit être repensée, intégrer les changements intervenus dans la région et adapter, en conséquence, ses méthodes et outils de travail»

Où en est-on dans le projet de l’Union du Maghreb arabe (UMA) qui semble enterré dans son fonctionnement au sommet, alors que, paradoxalement, des commissions techniques et parfois même certaines non techniques, continuent à fonctionner ?

Peut-on penser reprendre cette institution avec les bouleversements qu’a connus la région : Libye, Tunisie ? Comme vous l’avez si bien relevé, l’UMA, en dépit de l’absence de rencontres au sommet, continue de fonctionner au niveau des organes subsidiaires et techniques. Ce qui peut être considéré, en soi, comme un gain. Ces réunions techniques permettent, en effet, à nos pays de continuer à entretenir leur coopération dans les différents secteurs de l’activité économique, sociale et culturelle. Il demeure entendu que la relance du processus d’édification de cette institution est tributaire outre la volonté politique sincère de l’ensemble des pays maghrébins, d’une démarche pragmatique qui valorise et les intérêts communs et les avantages mutuels partagés. Dans ce cadre, l’Algérie, pour qui l’édification de l’Union du Maghreb arabe est un objectif constant de sa politique étrangère, a pris l’initiative de proposer la définition et la mise en œuvre de politiques communes dans des domaines aussi variés que la gestion de l’eau, les infrastructures, l’agriculture ou la formation afin de favoriser l’intégration entre nos pays et, ce faisant, parvenir à la mise en place d’une communauté économique maghrébine, socle de notre union projetée. Notre pays ne s’est pas contenté simplement de proposer mais il a inscrit ses propres plans d’investissements dans le domaine des infrastructures dans cette perspective maghrébine, comme en témoignent l’autoroute Est-Ouest qui va des frontières occidentales aux frontières orientales, les gazoducs qui alimentent des pays européens et qui transitent par le Maroc et la Tunisie ou encore les projets d’infrastructures routières qui traverseront le Sud algérien, des frontières avec la Libye jusqu’aux frontières avec la Mauritanie. La construction de l’Union du Maghreb est au prix de ce pragmatisme dans l’action et la cohérence dans la définition des objectifs d’étapes. Cela dit, les bouleversements que la région a connus ces deux dernières années ne constituent nullement un obstacle à l’édification maghrébine.

L’Algérie met-elle des conditions particulières à la reprise de I’UMA et si elles existent, quelles seraient-elles ?

Nous estimons que la relance effective et ordonnée de l’UMA est une nécessité. L’Union doit être repensée et intégrer les changements intervenus dans la région et adapter, en conséquence, ses méthodes et outils de travail. Cette relance doit naturellement répondre aux intérêts bien compris de toutes les parties, et continuer de véhiculer en permanence l’ambition des peuples du Maghreb de réaliser l’Union, voulue par les générations de la lutte de Libération nationale. Actuellement, l’Algérie travaille avec ses partenaires de l’Union à la préparation des conditions de réussite d’un sommet, au moment où les réunions ministérielles sectorielles et techniques se poursuivent.

«L’Algérie souscrit, bien entendu, à la nouvelle orientation de l’UpM»

Venons-en, si vous permettez Monsieur le Ministre, à l’Union pour la Méditerranée (UpM). L’Algérie a-t-elle une stratégie qui situe sa position quant à ce que certains ont appelé l’usine à gaz ? Maintenant que l’initiateur de ce projet mort-né n’est plus au pouvoir en France et que le gouvernement socialiste semble vouloir donner un nouveau contenu et une nouvelle impulsion, quelle position avons-nous sur ce dossier qui avait vu d’ailleurs une certaine caution algérienne par la présence à Paris du Président Bouteflika lors de sa création, puis un retrait non officiellement prononcé de ses rencontres ?

Depuis son lancement en juillet 2008, l’Union pour la Méditerranée a, certes, fait face à des crises politiques qui ont mis en difficulté la mise sur pied de ses instances, mais les objectifs de ce projet d’envergure régionale gardent toute leur pertinence. Ces objectifs s’inspirent, dans une très large mesure, des principes ayant guidé la coopération euro-méditerranéenne depuis l’adoption de la Déclaration de Barcelone en 1995. Le projet de l’UpM ne part donc pas du néant et s’appuie sur l’acquis du Processus de Barcelone, qui a été préservé et renforcé dans le sens d’une co-appropriation effective du partenariat et d’une flexibilité en termes de montage de projets, avec l’apport d’un Secrétariat technique installé à Barcelone. L’Algérie a adhéré tout naturellement à l’UpM et, à l’instar de l’ensemble des partenaires du Sud et du Nord, a apporté sa contribution à la mise en place de son nouveau cadre institutionnel. Elle a défendu, notamment, le principe d’un secrétariat dont le mandat est orienté vers la promotion de projets concrets afin de l’épargner des effets des péripéties politiques dans la région, notamment le conflit israélo-arabe qui reste à nos yeux une question centrale du partenariat euro-méditerranéen. En outre, l’Algérie a défendu, et obtenu, le principe de la «géométrie variable» qui permet de développer des projets entre un nombre restreint de partenaires dans des domaines de partenariat spécifiques. Ce principe est de nature à encourager les synergies avec les autres formes de coopération existantes dans la région, notamment le 5+5, un cadre informel, plus restreint et souple, qui a investi ces dernières années, avec l’apport de l’Algérie, de nouveaux secteurs d’activité tels que l’environnement, les énergies renouvelables et la sécurité alimentaire. S’agissant de l’aspect opérationnel de l’UpM, à ce jour, les pays membres ont octroyé le label UpM à onze projets, ce qui permet au secrétariat d’engager, en collaboration avec les initiateurs des projets et les institutions régionales, notamment de l’Union européenne, un travail de maturation, de promotion et de prospection de financement. Le plan solaire méditerranéen, la station de dessalement d’eau de mer de Ghaza, l’Université euro-méditerranéenne sont autant d’exemples qui reflètent la nouvelle orientation de l’UpM à laquelle l’Algérie souscrit, bien entendu.

K. B.-A.