Comme l’illustre régulièrement notre caricaturiste Dilem, les Algériens adorent tellement leur pays qu’ils voudraient tous le quitter pour vivre ailleurs. Un paradoxe de plus !
“L’homme est un animal politique”, disait Aristote. En louant d’emblée “les avancées de la presse algérienne qui distingue notre pays de bien d’autres”, Abdelkader Khomri, le nouveau ministre de la Jeunesse, invité du Forum de Liberté, dimanche soir, au lendemain de la fête de l’Indépendance, décrétée Journée de la jeunesse, a tout de suite voulu prendre ses marques. Cela transparaît, dès ses premières paroles à l’adresse de cette “presse de jeunes” : l’hôte de Liberté est bel et bien un “politique” et non pas un technocrate. Le ton est vite donné.
Créé le 5 mai dernier, à la faveur de la nomination du gouvernement Sellal III, le nouveau ministère de la Jeunesse veut se donner, sous sa houlette, les moyens d’exister. Issu de la séparation en deux de l’ancien ministère de la Jeunesse et des Sports, ce nouveau département, celui de la Jeunesse, confié à Abdelkader Khomri, ne craint pas, semble-t-il, la “concurrence”. “Je ne veux pas de cloisonnement entre les deux secteurs. Nous sommes, certes, aujourd’hui, deux départements distincts en matière de prérogatives, mais complémentaires dans la vie de tous les jours.
Le sport c’est la jeunesse et la jeunesse c’est le sport”, tranche, rassembleur, Khomri, pour qui l’accumulation en matière d’infrastructures sportives est un acquis qui profite d’abord aux jeunes. Parmi les explications qui ont mené à l’avènement de son ministère, le sport qui, selon lui, a accaparé les activités de l’administration centrale. C’est pourquoi s’est présentée la nécessité de dédier une entité entièrement aux jeunes. “C’est un acte politique majeur !”, estime-t-il.
Pour le ministre, il ne faut surtout pas que cette “partition” vienne remettre en cause les “différentes passerelles”.
D’après lui, la question essentielle est comment aller vers un management plus efficace ? Parmi les réponses retenues, un ministère spécifique de la Jeunesse qui, selon lui, aura plus d’efficience dans la gestion de ce secteur. “Il y a beaucoup de moyens qui pourront être mobilisés pour créer davantage de synergie.”
Le ministre parie ainsi sur une combinaison judicieuse de ces moyens. “Grâce à une meilleure coordination, les investissements intersectoriels peuvent générer une plus grande plus-value.”
Le chemin de l’efficacité passe, selon lui, par une “action collective” : “L’intersectorailité est une dynamique cohérente qui vous force à mettre de côté votre ego.” Et puis, d’une manière générale, Khomri, un ancien des JFLN, considère que la jeunesse en Algérie ne doit pas être l’apanage d’un département ministériel mais celui de toute la nation : “La jeunesse doit être un élément de cohésion nationale, d’un large consensus. C’est une force et une richesse qu’il faut préserver et accompagner.”
Pour illustrer son propos, éminemment politique, par un exemple concret de “coordination opérationnelle”, le ministre révèle que, pour la saison estivale, le ministère de l’Éducation nationale a mis à la disposition de son département un certain nombre d’établissements scolaires dans les régions côtières afin d’accueillir quelque 250 000 jeunes vacanciers originaires particulièrement du Sud. “Cette expérience est unique dans notre pays”, précise-t-il. Pour mener à bien sa mission, le nouveau ministre de la Jeunesse mise sur la “concertation”. Une dizaine de rencontres nationales vont être organisées afin de conférer de la cohérence à la démarche initiée.
Le mouvement associatif de jeunesse, les experts, les acteurs politiques, les acteurs socioculturels, la presse, les institutions nationales et internationales seront sollicités à cette occasion pour se pencher sur les différentes problématiques économiques, sociales, culturelles avec des déclinaisons sur les thématiques se rapportant aux loisirs, à l’animation socioéducative, au développement des infrastructures, au tourisme, à la protection de l’enfance, etc. Le ministre promet, enfin, des Assises nationales du mouvement associatif de la jeunesse qu’il place au centre de sa stratégie : “Je ne gère pas des trains ou des avions, mais 70% de la population. Si je ne suis pas au cœur de cette population, je ne pourrai jamais comprendre ni ses préoccupations ni ses ambitions.” Khomri aspire, dit-il, à “une administration qui soit à l’écoute et au service de la jeunesse”.
L’Ansej, un fiasco annoncé ?
En matière d’emploi et d’insertion professionnelle, véritable nœud gordien, le ministre propose un “débat contradictoire” sur les résultats des différents dispositifs mis en œuvre. “Même si c’est parfait il y a toujours des améliorations à apporter.” Au-delà de cette “litote”, le ministre veut surtout lancer un processus d’évaluation à travers une conférence économique et sociale. Il faut dire que de nombreuses voix, parmi les experts, s’élèvent depuis quelque temps pour lancer des signaux d’alarme quant au dispositif de l’Ansej de plus en plus controversé.
Le ministre se veut plutôt rassurant même s’il reconnaît que les mécanismes mis en place sont sujets à un “bouleversement avec le temps et les évolutions”. “Nous ne sommes pas une société statique. Corriger et se remettre en cause, cela n’est pas gênant. Cela ne tue pas, au contraire. Le débat est un élément d’efficacité dans le management moderne.” Dans son élan, le ministre considère même que ce dispositif a “énormément” contribué à ancrer en Algérie une « culture d’entrepreneuriat » en améliorant la situation de l’emploi dans le pays.
On se demande comment, à quel prix et pour quels résultats ? Alors que des entreprises autrement plus expérimentées ont du mal à s’adapter aujourd’hui aux changements engendrés par l’ouverture débridée de l’économie nationale, il est à s’interroger comment ces jeunes entrepreneurs vont pouvoir affronter la rude concurrence internationale, relever le défi de la compétitivité et s’approprier, dans ces conditions, de bonnes pratiques de gestion ? Interpellé sur les nombreux “échecs” dont l’opinion nationale est en droit de connaître l’ampleur, le ministre évoque, tour à tour, l’absence de carnet de commandes, les moyens intellectuels, le savoir-faire en matière de création d’entreprises, l’environnement local…
Il avoue, néanmoins, que ces entreprises connaissent, “un cycle de récession tout de suite après leur formation” , soit dès la mobilisation des crédits bancaires, prétendent certains. Ce qui s’apparente tout simplement à du vol. Pourtant, des bras valides, des jeunes pleins de vitalité qui peuvent devenir très vite des acteurs du développement, on en voit partout en Algérie. Et pourtant, Abdelkader Khomri n’en démord pas.
Il n’est pas question pour lui de remettre en cause cette politique. “Ce ne sera pas une bonne chose pour le pays. Il n’y a pas d’autre alternative pour régler le problème du chômage. Nous sommes arrivés à un constat : la Fonction publique ne peut plus être le refuge de tous les demandeurs d’emploi.”
L’orateur se rappellera, enfin, que l’Algérie est devenue, ces dernières années, un pays sans usines, sans agriculture et sans secteur tertiaire. “Des décisions ont été prises en direction de l’industrialisation. Il y a une dynamique qui se met en place.
Laissons les choses venir…” Pour l’heure, et même s’il évoque “l’après-pétrole”, on en conclut que le ministre compte sur la rente énergétique et l’État-providence pour mener à bien sa mission à la tête d’un département réputé déjà “budgétivore”. “La déclaration du 1er Novembre a jeté les jalons d’un état social, on ne peut être en rupture avec cela. Notre peuple a trop souffert.”
D’après lui, il ne peut y avoir d’antinomie entre l’état social et l’économie de marché qui, précise-t-il, n’est pas le libéralisme sauvage. “Dans cette option, tous les paliers d’une justice sociale et d’une économie moderne peuvent trouver leur place. Il faut que nous débattions de tout cela afin de trouver les réponses adéquates et les moyens performants de gestion de la société.” Les mots sont lâchés. Il s’agit bien de “gérer” la société dont le propre même de la jeunesse, frondeuse de nature, est de croire qu’on peut changer le monde.
Fin politicien, l’invité de Liberté considère, par ailleurs, que cette “exigence des jeunes” est un signe de bonne santé. “Cette exigence n’est pas nouvelle. C’est même dans l’ordre naturel des choses que les héritiers de la Révolution de Novembre demandent aujourd’hui plus de transparence et d’efficacité.”
Khomri estime surtout que le devoir de la jeunesse est de “sécuriser cette matrice fondatrice d’une nation, d’un pays”. Une ambition pour laquelle il appelle les jeunes à se mobiliser. “Notre jeunesse est patriotique. Sa démonstration autour de l’équipe nationale est une réponse forte et dénote de son intérêt pour la politique.
Nos jeunes sont aussi soucieux que nous de la sécurité, de la stabilité et du progrès de notre pays.” Le ministre retient que “cette jeunesse a fait preuve d’une grande maturité lors de cette turbulence appelé Printemps arabe, un grand séisme pour la région. La jeunesse a mesuré les enjeux et les impacts. Elle a choisi une voie que nous saluons tous, à savoir la stabilité de l’Algérie”. Le ministre parle d’“évolution pacifique”. “Ils ont voulu préserver les références et les acquis fondamentaux du pays et cela sans remettre en cause leurs propres ambitions en matière de justice sociale, de transparence et de bonne gouvernance.
Ce sont là des préoccupations qui figurent dans l’agenda des jeunes”, croit-il, fermement. “Il y en a qui prétendent que les jeunes sont déconnectés de la politique, moi, je suis plutôt réservé.” Khomri en veut pour preuve notamment les “débats intéressants” auxquels il a assisté durant la campagne électorale à laquelle il a pris part en tant que membre influent du staff du président-candidat, Abdelaziz Bouteflika.
M.-C. L.