Le FLN, après avoir attendu douze ans, vient d’être admis comme membre à part entière au sein de l’Internationale Socialiste, deuxième plus grande organisation internationale après l’ONU. Plus que des mésaventures de son parti et des objectifs de cette admission, Abdelhamid Si Affif, chargé des relations internationales du FLN, nous parle des enjeux d’une « diplomatie partisane » de plus en plus nécessaire. Il parle également du FFS, son frère-ennemi, avec lequel il compte désormais faire front au plan international. Entretien.
Le FLN demandait depuis 2001 son adhésion à l’Internationale Socialiste. Quels étaient vos objectifs ?
D’abord, je dois vous dire que le FLN était déjà membre observateur de l’Internationale Socialiste jusqu’aux années 1990. Cette organisation politique internationale regroupe toutes les forces progressistes du monde. Elle regroupe également tous les anciens mouvements de libération nationale qui sont devenus des partis.
Ceci est très important. On sait, par ailleurs, que cette organisation est gérée par des principes, des statuts, a des objectifs. Nous, au FLN, notre adhésion à cette organisation repose sur quatre objectifs. Le premier, c’est que nous devons nous positionner politiquement sur le plan mondial. Nous ne pouvons pas rester en marge de ce qui se passe dans le monde.
L’Algérie est membre de plusieurs institutions internationales, soit auxiliaires de l’ONU, soit autres. Les partis aussi doivent être membres de certaines organisations internationales. Il y a plus à gagner qu’à perdre. Notre deuxième objectif est que, à travers notre présence au sein de cette organisation, on se crée une tribune.
Le troisième, on se met à l’abri de toute attaque, de toute résolution qui ne sert pas nos intérêts et ceux du pays. Durant la fin des années1990, l’Internationale Socialiste, sous l’impulsion de tel ou tel parti, a remis en cause le processus démocratique national en s’appuyant sur certains éléments comme la liberté d’expression, les droits de l’Homme, la justice sociale, etc.
Nous n’avions pas alors les moyens de nous défendre. Quatrième objectif, il convient de le souligner, c’est que nous partageons beaucoup de choses avec les partis qui se trouvent à l’intérieur. En tant que FLN, nous avons des relations d’amitié et de coopération avec environ une quarantaine de partis qui en sont membres. Le FLN est socialiste ! Il a été au pouvoir durant des années et a participé à la mise en œuvre de politiques quelquefois ultralibérales. En quoi consiste la dimension socialiste du FLN
Je vous invite à lire les résolutions de tous nos congrès, y compris le dernier. Ce sont des résolutions où l’aspect social est sérieusement pris en charge.
Mais le problème, c’est que, dans la pratique, on voit tout à fait autre chose…
Nous sommes pour une économie de marché. Vous n’allez pas me dire que les partis socialistes français ou espagnol ne sont pas pour une économie de marché. Tout le monde est pour l’économie de marché. Mais, nous n’abandonnons pas ces principes sur lesquels se fonde la théorie socialiste, principes parmi lesquels la présence de l’Etat. Vous savez très bien que, chez nous, plus de 34% du budget est alloué aux transferts sociaux. Je ne vois pas que notre économie est ultralibérale.
Ne croyez-vous pas que c’est, en tout cas, un processus en marche ?
Peut-être, mais, nous, en tant que parti politique, nous défendons notre stratégie, nos idées, notre programme. Nous refusons ceci aussi bien en tant que parti qu’en tant partenaire politique au sein du Gouvernement.
De plus, je ne vois pas cette tendance ultralibérale, ni dans le programme du Président de la République, ni dans celui du Gouvernement. Il existe des partis qui appellent à une économie ultralibérale. Au FLN, nous considérons que c’est un danger, d’autant plus que l’on constate, ces derniers temps, que le capitalisme international est arrivé à ses limites. Jamais nous n’accepterons ceci. L’un de nos objectifs à travers notre adhésion à l’Internationale Socialiste, comme je l’ai déjà dit, va d’ailleurs dans ce sens.
L’Internationale Socialiste est la plus grande organisation après les Nations unies. Elle est actuellement composée de 162 partis dont 52 sont au pouvoir. 50 autres partis ont demandé l’adhésion. Il y a un intéressement pour cette organisation, même de la part des partis au pouvoir dans les grandes puissances : l’Inde, la Russie. Cela fait trois que nous assistons, en tant que membre observateur, aucune résolution portant atteinte aux intérêts de l’Algérie et du FLN, n’en est sortie.
Maintenant que vous militants, vous êtes membres de cette organisation, quelle est votre impression ? Quelle est la réaction de la base du parti ?
Depuis 2001, j’étais chargé par le secrétaire général du Parti, Boualem Benhamouda, de faire admettre le FLN au sein de l’Internationale Socialiste. On a échoué.
En 2002, le Secrétaire général, Ali Benflis, a relancé l’idée. Il a chargé deux cadres du parti de la même mission, mais la réponse était négative. L’actuelle direction politique m’a chargé depuis 2010 de ce dossier que j’ai suivi avec détermination. Trois ans après, le résultat est positif. Il me semble que ceci est un grand message. Au moment où l’Internationale Socialiste a exclu des partis qui sont dissous, tunisiens, égyptiens et autres, faute de bonne gouvernance, de respect de la démocratie, on accepte le FLN.
L’une des cibles du « printemps arabe » était les partis au pouvoir. Le FLN était au pouvoir, il est actuellement majoritaire. Tout le monde pensait qu’il allait l’être lui aussi. Le contraire s’est produit. Le fait que le FLN soit accepté en ce moment au sein de l’Internationale Socialiste veut dire que, d’une part, les élections locales et législatives qui se sont déroulées en Algérie sont transparentes et, d’autre part, que le FLN fonctionne selon des règles démocratiques. Autrement, on n’aurait jamais été admis.
L’une des missions de l’Internationale Socialiste est de suivre de très près le fonctionnement des partis membres en matière notamment de pratique démocratique. Cela veut dire que le FLN est rangé, au plan international, parmi les partis démocratiques et transparents. C’est très important pour nous. Car, un parti, même s’il a la majorité, s’il n’est pas reconnu au niveau mondial, il n’a pas une grande valeur d’autant plus que nous sommes dans une période où la coopération, la création de blocs régionaux, etc., sur la base de convergences politiques et idéologiques, sont légion. On est condamné, soit à se déployer, soit à être isolé, étouffé.
De plus, il faut le dire, l’Etat a besoin d’autres relais pour surmonter certains différends, certaines divergences, que seul le dialogue peut résoudre. Il faut donc renforcer la diplomatie traditionnelle qui se fait dans le cadre des institutions de l’Etat par une diplomatie parlementaire et une diplomatie partisane.
Notre admission au sein de l’Internationale Socialiste, s’inscrivant dans cette optique, nous donne encore plus de détermination, plus de confiance en nous -mêmes, plus de volonté d’aller vers plus de démocratie et de transparence dans l’accomplissement de notre mission au niveau tant national qu’international.
Vous donnez une image pour le moins rose de l’Internationale Socialiste alors que, par le passé, cette organisation a voté des budgets de guerre et que, aujourd’hui encore, elle compte en son sein des partis qui ont participé ou approuvé des guerres « impérialistes »…
Je ne partage pas cette idée. Ce qui s’est passé est la conséquence de certaines politiques nationales américaine, anglaise ou autres, liées à des raisons que tout le monde connaît. Il faut dire, par ailleurs, que les progressistes n’ont pas toujours l’influence requise sur certains pouvoirs.
En France, juste après sa désignation à la tête des Affaires étrangères, Fabius a déclaré ceci : « Le ministre des Affaires étrangères français a changé mais pas la politique étrangère de la France. » Cela obéit généralement à des considérations extrêmement difficiles à changer.
Par contre, ce que je sais, c’est que, au sein de cette organisation, il y a des mouvements de libération nationale, ceux qui ont, de toujours, lutté contre l’impérialisme, contre la domination colonialiste, contre l’injustice, contre les guerres. En la matière, toutes les résolutions de l’Internationale Socialiste sont contre la violence. Vous allez me dire que cela est théorique. Mais les résolutions sont là.
J’ai écouté le discours de Collette, représentant d’un parti israélien au sein de l’organisation. Il était beaucoup plus libérateur de la Palestine que celui des Palestiniens eux-mêmes. De cela, on comprend qu’au sein de cette organisation, il est question de partis et, quelquefois, les partis n’ont pas suffisamment d’influence sur les cercles de décision au plan national.
Mais vous êtes d’accord que l’Internationale Socialiste ferme les yeux sur certains faits…
Je vais vous dire pourquoi elle ferme les yeux : il y a les Nations unies qui ferment les yeux ; il y a le Conseil de Sécurité de l’ONU qui pratique la politique des deux poids, deux mesures. C’est la nature des rapports internationaux. Quand on parle du nouvel ordre politico-économique mondial, au sein de l’Internationale Socialiste, c’est justement dans ce sens.
L’Internationale Socialiste est pour le développement des pays du Sud ; elle est favorable à l’émergence de puissances dans cette région du monde et à leur participation à la gouvernance mondiale. Maintenant, c’est à nous de nous imposer et de faire passer nos idées et nos visions. Les dérèglements dont vous faites montre sont généralement dus aux jeux et aux pressions des lobbies financiers qui gèrent le monde.
Dans ce sens justement, comment le FLN, qui donne l’air de s’être transformé en une bande d’hommes d’affaires – ce constat est partagé par plusieurs cadres du parti -, compte-t-il peser au sein d’une organisation internationale aussi importante ?
Vous savez, il est très simple, quand on est loin de la réalité et de l’exercice du pouvoir, de se mettre dans un bureau et de disserter sur la situation du parti. Cette vision, très critique, je ne la partage pas.
Moi, je peux vous dire que deux partis, qui viennent d’être fabriqués et auxquels on veut probablement donner la majorité, se constituent à 90% d’affairistes. Pourquoi on n’en parle pas ? Au FLN, ce phénomène a commencé à prendre place à partir de 2002. On était contraint de s’ouvrir aux gens qui ont des moyens financiers étant donné que l’Etat ne soutient pas les partis et que les cotisations ne sont pas suffisantes pour le financement de nos activités.
On était partis de l’idée de s’ouvrir sur les bienfaiteurs sympathisants du FLN.
Mais, il n’a jamais été question que ces gens-là accèdent aux postes de responsabilité. Ça a continué jusqu’au jour d’aujourd’hui.
C’est une dérive. Néanmoins, je vous le dis, ce phénomène ne représente même pas 1%. Il ne faut pas tromper l’opinion nationale. Il y a à peine 4 ou 5 éléments qui, je le reconnais, sont arrivés à des postes de responsabilité grâce à des moyens autres que le mérite.
Ce phénomène, nous sommes résolus à le combattre. Ceci dit, il faut savoir que plus de 65% des membres du Comité Central ont graduation, post-graduation et doctorat.
Donc, pour vous, ces gens-là ne peuvent pas peser sur les positions du FLN et que le FLN, au contraire, est capable de jouer un rôle positif au sein de l’Internationale Socialiste ?
Je suis persuadé, compte tenu de la composante de la Direction du parti, que nous pouvons faire quelque chose. Plus de 80% des éléments qui composent le CC appartiennent à la deuxième et la troisième générations et, qui plus est, sont tous universitaires.
Sur le plan international, le parti pourra occuper une place importante à travers ses activités. Au sein de l’Internationale Socialiste, il y a des structures qui fonctionnent entre les congrès et qui s’occupent de l’actualité internationale. Je souhaite que le FLN soit présent au sein de ces structures de travail. Par ailleurs, il faut préciser que ceux qui vont représenter le FLN auprès de cette organisation ne peuvent être que des universitaires.
A travers leurs contributions, nos cadres vont essayer d’imposer et de défendre avant tout les positions de l’Algérie, ensuite celles du parti, au plan international. Je suis optimiste, sauf que, je vous le dis, on doit travailler plus pour la revalorisation de l’acte militant, car, on ne peut pas former un parti avec des fonctionnaires.
Le FFS, membre de l’Internationale Socialiste depuis plusieurs années, s’est à maintes fois opposé à votre adhésion à cette organisation. En 2013, il n’a pas affiché une opposition. Pourquoi à votre avis ?
Ce que je conteste au sein de l’Internationale Socialiste, c’est ce procédé de consensus auquel elle a recours dans la prise de toute forme de décision. Dans le Conseil, composé de 160 partis, même si 159 sont avec vous et qu’un seul est contre vous, vous êtes bloqués. Toutes les décisions sont prises à l’unanimité. Cette mesure est contraignante. C’est un système qui n’est pas vraiment démocratique et c’est ce qui fait que le FLN a été à chaque fois bloqué. Pour ce qui est du FFS, il convient de souligner que nous avons beaucoup de similitudes dans le programme, dans les visions, etc. Le FLN était un parti-Etat, mais à partir de1990, il est devenu comme tous les autres. Le FFS, jusqu’à très récemment, avait cette idée que le FLN était un parti-Etat. Donc, dès lors qu’on est contre une certaine politique de l’Etat, on doit être contre le FLN.
L’Internationale Socialiste a marché dans cette combine.
Tout le monde accuse le FLN, même quand c’est Ouyahia, en sa qualité de secrétaire général du RND, qui échoue. Il est temps que les gens comprennent que le FLN, c’est un acteur politique au même titre que tous les autres et que, aujourd’hui, nous évoluons dans un système pluraliste.
Au fil des années, le FFS a compris ceci. C’est l’évolution naturelle des choses. De plus, il convient également de le souligner, lors des élections locales récentes, nous avons eu des alliances au sein des APC et des APW. Pourquoi pas alors une alliance au plan international ?
Vous comptez donc faire front avec le FFS au sein de l’Internationale Socialiste ?
Pour l’intérêt du pays, pour la démocratie, pour le multipartisme, pour les droits de l’Homme, pour les libertés, oui.
L’adhésion du FLN à l’Internationale Socialiste n’a pas eu un grand écho auprès de la rue, voire de la presse. Ne pensez-vous pas que c’est la crise qui secoue le parti qui a occulté cet « événement » ?
Vous en avez l’impression, c’est tout. Le lendemain de notre adhésion, l’information a été rapportée par les chaînes satellitaires.
Je suis moi-même passé dans plusieurs chaînes pour participer à des émissions sur ce sujet. Globalement, il y a un accueil favorable. Il n’y a que certains partis islamistes qui ont lu ceci comme étant une normalisation des relations avec Israël.
Cette vision, je dirais qu’elle est étriquée d’autant plus qu’il y a deux partis palestiniens, dont FETH, qui sont membres de l’Internationale Socialiste. Suivant cette logique, nous devons quitter toutes les organisations dont Israël est membre, à commencer par l’ONU et l’UNESCO, ce qui va nous isoler complètement sur le plan international.
Ça, c’est le jeu d’Israël. Quant à la crise que vit le parti, elle est interne et elle ne peut pas avoir un quelconque incident sur sa vie. Le FLN est toujours en mutation. Actuellement, il est en train de vivre une période qui va le conduire à mieux se situer sur le plan national et international, notamment pour ce qui est de l’exigence de la bonne gouvernance et de la démocratie. Ce qui se passe au sein du FLN est positif. Il est évocateur de cette soif d’aller vers plus de démocratie et de transparence. Il y a ceux qui sont contre et ceux qui sont pour le rajeunissement du parti. Cette mutation, nous allons la surpasser comme nous l’avions fait déjà par le passé.
Entretien réalisé par INGRACHEN Amar