Abdelaziz Rahabi : « La publicité est un moyen de pression sur la ligne éditoriale des journaux »

Abdelaziz Rahabi : « La publicité est un moyen de pression sur la ligne éditoriale des journaux »

Ancien ministre de la communication et de la culture et Porte parole du gouvernement (1998-1999), Abdelaziz Rahabi explique dans cet entretien pourquoi la loi sur la publicité qu’il avait proposée en 1999 est encore aujourd’hui bloquée au Sénat. La publicité relevant du secteur public dont le monopole est détenu par l’ANEP continue d’être utilisée comme moyen de pression sur la ligne éditoriale des journaux. Alors que l’avant-projet de loi sur l’information est en débat à l’Assemblée, la gestion de cette manne publicitaire demeure un tabou.

DNA : Vous avez présenté un projet loi sur la publicité qui a été votée par l’Assemblée le 22 juin 1999, mais bloquée au Sénat trois mois plus tard. Que s’est-il passé pour que la chambre haute réagisse de la sorte ? Qu’est-ce qui dérangeait dans ce projet de loi ?

Abdelaziz Rahabi : Cette loi élaborée en 1998 sous le président Zéroual n’était pas un texte isolé mais s’inscrivait dans une perspective stratégique. Outre le fait qu’il devenait urgent de réglementer cette activité en raison de l’ouverture économique, le gouvernement Hamdani avait une préoccupation géopolitique. Nous envisagions et, les contacts étaient assez avancés, d’associer l’ANEP à un grand groupe européen de publicité pour tirer profit de son savoir faire et nous associer à ce même groupe dans ses activités internationales notamment au Maghreb et en Afrique Subsaharienne.

Un projet très ambitieux alors…

Ce modèle de partenariat devait également être appliqué à la téléphonie mobile et aux banques étrangères ce qui aurait pu faire de l’Algérie un des plus grands opérateurs de téléphonie, de service bancaires et de publicité dans la région. Ces trois domaines présentent en effet d’excellentes synergies, sont hautement rentables et constituent un outil performant dans la politique extérieur d’un pays. L’Algérie a raté cette occasion, faute de vision et d’ambitions pour le pays. D’autres l’ont fait à notre place au Maghreb et au Machrek avec les résultats que tout le monde connait.

Le maintien du monopole sur la publicité institutionnelle est dicté par des intérêts fondamentalement politiques, pourquoi ce même pouvoir a-t-il pris le risque de voter une loi pour la bloquer ensuite ?

Elle a été présentée et inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée sous le président Zeroual et bloquée sous l’actuel président. Il est vain de chercher une explication rationnelle d’autant que le Conseil de la nation était dominée par la même majorité qui avait voté cette loi c’est-à-dire le RND et le FLN. Vous remarquerez que c’est la première et unique loi renvoyée pour une deuxième lecture qui d’ailleurs n’a jamais eu lieu. Le Conseil de la nation a été instruit pour le faire et seuls quelques sénateurs s’y sont opposés.

Que prévoyait la loi ?

Cette loi mettait en place pour la première fois un cadre juridique cette activité soumise à ce jour à l’appréciation et au bon vouloir d’un groupe. Elle interdisait toute forme de monopole et faisait de l’Anep un simple opérateur d’édition et de publicité. Le gouvernement auquel j’appartenais a restitué en février 1999 la publicité aux ministères et entreprises publiques pour en faire un usage approprié donc en fonction de leurs objectifs et des cibles recherchées.

Et ce n’est pas le cas…

Il est scandaleux négliger un gros tirage sous prétexte qu’il n’est pas favorable au gouvernement et de publier un avis d’accès à un concours ou à un emploi ou encore un appel d’offres dans un journal qui diffuse moins de 10 000 exemplaires sans violer le principe constitutionnel de l’égalité de chances des Algériens.

En réalité, cela ne va pas dans le sens intérêts de ceux qui sont derrière son blocage. Suivez l’argent et vous trouverez beaucoup de réponses à vos interrogations sur beaucoup de dysfonctionnements en Algérie.

Qui décide de la répartition de la publicité au sein de l’ANEP ? Ses responsables ? Le ministère de la Communication? Le département de l’information du DRS ? Le premier ministre ?

Le problème n’est pas là car en l’absence de cadre légal et d’une autorité de contrôle ou de régulation, il ne peut y avoir ni rigueur ni transparence dans toute la gestion de l’Etat. Vous posez une question de fond qui est celle de la gouvernance. Qui a géré les hydrocarbures pendant 10 ans sans se conformer aux exigences légales de contrôle de gestion ? Qui a accordé des marchés mirobolants de gré à gré ? Qui contrôle la manne publicitaire et surtout qui en profite ? La rente de la publicité institutionnelle et des entreprises publiques, évaluée à 12 milliards de dinarsil y a deux années, est évidemment régie par toutes les autorités chacun à son niveau et en fonction de son pouvoir.

Qui alors ?

Cela va de la petite entreprise communale au sommet de l’Etat et elle se fait sans tenir compte des règles élémentaires d’efficacité ou de commercialité. En somme, une rente entre autres qui font le lit de la corruption politique chez nous. Donc l’ANEP rapporte non seulement des dividendes à ceux qui la commandent, mais elle leur permet également d’en user comme moyen de pression sur la ligne éditoriale des journaux. Du coup au lieu d’être le principal sponsor de la liberté d’expression, elle en est devenue une réelle menace .

Maintenant qu’il y a la promesse, même vague, de mettre en place une loi sur la publicité, pensez-vous qu’il aurait été préférable de l’y intégrer comme chapitre dans la loi organique relative à l’information ?

Plus personne ne réclame la transparence dans la gestion de l’ANEP. Les titres qui bénéficient de ses largesses connaissent la recette. Ceux n’en reçoivent pas une part, en raison de leur liberté de ton, dépendent essentiellement de la publicité des opérateurs de téléphonie mobile étrangers, des concessionnaires auto et des banques étrangères.

Du coup l’ANEP, une agence publique contraint une partie de la presse nationale à recourir à des groupes étrangers ce qui crée un paradoxe tout à fait algérien dans lequel c’est l’Etat qui favorise la dépendance financière et fragilise la ligne éditoriale de ses propres médias. Peut-on avoir d’autres explications à cela à part la corruption ou l’incompétence. J’ose espérer que ce que ce n’est pas tout simplement une opération de sabotage.

Verra-t-on un jour une loi sur la publicité comme tous les Etats modernes ?

La loi existe depuis juin 1999 de même qu’un projet de loi sur le sondage d’opinions déposé en juin de la même année à L’Assemblée Populaire Nationale. Je n’ai pas le sentiment que la volonté politique de construire un Etat de droit soit dominante dans les centres de décision en Algérie. Réglementer cette activité revient à fixer des normes, les respecter et les faire respecter. Dans le cas contraire, le vide juridique actuel arrange certains cercles influents qui imposent les règles qui correspondent à leurs intérêts.