Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, à “Liberté” “Les Occidentaux prennent conscience d’une vieille réalité”

Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, à “Liberté”  “Les Occidentaux prennent conscience d’une vieille réalité”

Dans cet entretien, le diplomate restitue le contexte dans lequel évolue aujourd’hui le dossier palestinien et évoque une prise de conscience des élites européennes quant à une reconnaissance de l’État de Palestine qui le rétablira dans ses droits historiques et contribuera à la paix dans la région.

Liberté : La Suède et les Parlements de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et de la France appellent leurs gouvernements respectifs à reconnaître l’État palestinien. Peut-on parler d’une avancée de la cause palestinienne ?

Abdelaziz Rahabi : Même si ces votes ne sont pas contraignants pour les gouvernements de ces pays, ils représentent un indicateur probant de la volonté des pouvoirs exécutifs de ces pays. Les Suédois ont été plus courageux, ils l’ont fait par décret, ce qui a pour effet immédiat l’établissement de relations diplomatiques avec  l’État de Palestine. En fait, c’est une disposition des accords d’Oslo qui conditionnait la reconnaissance d’un État palestinien à l’aboutissement du processus de négociations qui a servi d’argument aux amis occidentaux d’Israël pour différer cette reconnaissance. Dans tous les cas, aucun État, si puissant soit-il, ne peut se prévaloir d’une capacité de faire avancer le processus de paix s’il n’entretient pas des relations, les plus équilibrées possibles, entre les

Palestiniens et les Israéliens. Cette reconnaissance peut être considérée comme un pas positif pour les Palestiniens et pour la paix dans la région.

Un État palestinien aujourd’hui, est-ce réaliste ?

Bien sûr que cela l’est, car c’est d’abord le rétablissement des Palestiniens dans leurs droits historiques, ensuite cela confère des capacités de représentation et de négociations de rang diplomatique. Ce n’est pas une question de pure forme. Je regrette qu’on passe officiellement sous silence — parce que c’est antérieur à 1999 — le fait que cet État a été proclamé à Alger en novembre 1988 et que notre pays a été le premier à le reconnaître. En dépit des pressions occidentales et de quelques réticences internes — on venait de sortir de la douloureuse épreuve des événements d’Octobre 88, Chadli Bendjedid avait maintenu la réunion du Conseil national palestinien qui a signé l’acte fondateur de l’État palestinien reconnu aujourd’hui par 135 pays, c’est-à-dire plus des deux tiers des États membres de l’ONU.

La France prépare une résolution au Conseil de sécurité onusien pour la reconnaissance internationale de l’État palestinien. Ce projet a-t-il une chance d’aboutir sachant que Washington a toujours usé de son veto quand il s’agit

d’Israël ?  

En fait, cette question n’est pas nouvelle dans la diplomatie française, le président François

Mitterrand avait déjà évoqué cette question de la reconnaissance devant la Knesset en 1982 en précisant, toutefois, qu’elle se ferait “le moment venu”. Je pense que le projet évoqué est celui de tous les Occidentaux qui commencent à prendre conscience d’une vieille réalité dans le monde arabo-musulman, dans lequel le sentiment antioccidental et parfois antichrétien est souvent justifié par le soutien inconditionnel des puissances

occidentales à Israël. Les élites occidentales sont conscientes de cet état de fait, les classes politiques moins bien et j’en veux pour preuve le nombre élevé — 151 députés français sur 490 — qui ont voté contre la reconnaissance de l’État de Palestine, alors que la même résolution a été votée à l’unanimité en Espagne deux semaines plus tôt. Enfin, pour les USA, tout comme pour l’Allemagne d’ailleurs, et pour des raisons historiques évidentes, ces pays le feront le jour où Israël considérera que c’est dans son intérêt que cela se fasse.