L’ancien diplomate pointe du doigt des dysfonctionnements dans la gestion et le contrôle des deniers publics. Il préconise des mesures pertinentes pour réduire le train de vie de l’Etat.
Liberté : Comment expliquez- vous que le président russe Vladimir Poutine ait décidé de baisser son salaire et qu’aucun haut responsable algérien en poste ne l’ait imité au nom de l’exemple, voire aucune véritable mesure de réduction du train de vie de l’État n’ait été prise jusqu’ici ?
Abdelaziz Rahabi : Il est courant de par le monde que, dans une situation de crise, les chefs d’État ou des personnes de notoriété publique donnent l’exemple dans la participation symbolique à l’effort d’austérité. C’est également une forme de solidarité avec ceux qui sont les plus affectés par une crise, un drame ou une catastrophe. C’est une culture, cela ne s’improvise pas, cela se construit. Notre pays passe par des moments de grande confusion, l’élan de solidarité s’est émoussé et l’esprit réformateur, historiquement faible ne s’est pas consolidé ces dernières années. Nous assistons plutôt à un exhibitionnisme malsain de signes extérieurs de richesses tant chez l’État que chez les particuliers qui reproduisent tous les travers de l’État.
Comment peut-on qualifier le train de vie de l’État aujourd’hui ?
L’État vit au dessus des moyens de l’Algérie mais ceci n’est pas nouveau, c’est une caractéristique des pays sous-développés où la dépense publique relève du pouvoir discrétionnaire du gouvernement qui est en fait un levier de sa gestion de la vie de la nation. Il y a une confusion bien entretenue entre bien public et bien de l’État qui considère encore que ses prérogatives de puissance publique ne sont accomplies que si l’administration montre des signes matériels extérieurs de puissance. C’est d’ailleurs cette perception qui est dominante dans notre société et qui lui fait craindre que l’austérité réclamée par le gouvernement ne soit supportée que par les couches les plus défavorisées.
À quelles dépenses publiques faut-il toucher pour réduire le train de vie de l’État en ce contexte de déficit de nos finances publiques ?
Incontestablement les dépenses de fonctionnement. Pour la première fois depuis l’indépendance, elles ne sont pas totalement couvertes par la fiscalité ordinaire mais également pétrolière réservée jusque là exclusivement au budget d’équipement c’est-à-dire au développement. Ceci est un indicateur alarmant que les pouvoirs publics passent sciemment sous silence. C’est dans les budgets des ministères et des collectivités locales qu’il faudrait commencer par rationnaliser les dépenses. La Fonction publique dont les effectifs ont presque doublé en quinze ans avec plus de deux millions de fonctionnaires, est budgétivore et a besoin d’être réformée pour stabiliser les effectifs, mieux organiser et planifier les missions et les carrières et favoriser l’éducation, la justice et la santé. L’accès à la Fonction publique devrait être soumis systématiquement au passage par le concours national, car c’est la seule façon d’assurer l’équité entre tous les Algériens, d’élever la qualité des fonctionnaires et de gagner la confiance des citoyens.
Que préconisez-vous pour réduire le train de vie de l’Etat et contribuer ainsi à l’adhésion des citoyens à des mesures d’austérité qui seraient prises en cas de détérioration plu grave de notre situation financière ?
Tout le monde reconnaît que la dépense publique est caractérisée par l’opacité et le déficit de rationalité et qu’il est urgent de réactiver et de moderniser tous les outils institutionnels de contrôle de l‘usage de l’argent public. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusions car rien ne peut être engagé sans une volonté politique concrète et accompagnée d’une transparence dans l’exécution de la dépense publique. Le contrôle n’intervenant évidemment qu’a posteriori pour éviter de bloquer le fonctionnement de l’État. Les organes constitutionnels comme par exemple la Cour des comptes ou le Conseil national de l’énergie sont gelés depuis 2000.
Le premier qui devait être une sorte de tribunal des comptes publics végète pour une seule raison, celle d’avoir condamné l’actuel président de la République pour sa gestion des deniers publics en sa qualité de ministres des Affaires étrangères. Le second n’a pas joué son rôle dans la définition, l’orientation et le contrôle de la politique énergétique du pays, avec les premières conséquences que tout le monde connaît.
La culture de la transparence est très peu ancrée dans notre histoire, c’est un processus long et laborieux qui ne s’imposera que si le pays s’engage sérieusement dans la réforme de son organisation politique et met en place un véritable système indépendant de contrôle de la richesse publique.