Ancien diplomate et ancien ministre, Abdelaziz Rahabi revient dans cet entretien sur les conséquences des frappes égyptiennes en Libye et les enjeux inhérents à une éventuelle intervention internationale dans ce pays.
Liberté : L’appel de l’Égypte à l’ONU pour une résolution peut-il constituer un prélude à une intervention militaire en Libye ?
Abdelaziz Rahabi : Il ne faut pas l’exclure pour au moins une raison : la menace n’a jamais été aussi proche de l’Europe et peut être portée sur le sol européen. Cette menace est réelle parce qu’elle est de nature militaire, sa source n’est pas clairement identifiée et, surtout, elle ne répond pas aux critères des guerres conventionnelles, classiques. Le monde affronte une nouvelle forme de luttes, les guerres irrégulières auxquelles il n’est pas préparé.
Au-delà de quelques considérations internes, cette décision de l’Égypte ne vient-elle pas conforter la position de l’Italie et de la France favorables à une intervention ?

C’est la quasi-inexistence d’une armée régulière libyenne, comme une émanation d’un gouvernement légitime, qui pose véritablement problème.
On devrait, à mon sens, rappeler aux puissances occidentales leurs obligations en matière de lutte contre le terrorisme international, car ce sont ces mêmes puissances qui instrumentalisent le Conseil de sécurité qui a aussi pour mission le maintien de la paix.
Il se trouve que dans le monde arabe, il a plus appelé à la guerre que réussi
la paix.
Cette attitude ne risque-t-elle pas de torpiller l’initiative des pays voisins de la Libye en faveur d’une solution politique ?
Les voisins de la Libye ont des agendas qui répondent à leurs intérêts nationaux. L’Égypte se bat contre une alliance islamiste entre groupes libyens et égyptiens.
Le Soudan favorise les islamistes.
L’Algérie et la Tunisie n’ont d’autre choix que d’appeler à un accord politique entre toutes les forces sur le terrain pour se prémunir des dommages collatéraux de ce conflit. Le gouvernement algérien était, en 2011, aux antipodes de la société et s’était aligné sur Kadhafi, ce qui a eu pour effet de nous faire perdre la sympathie d’une bonne partie du peuple libyen et d’hypothéquer sérieusement les chances de réussite de notre médiation entre les forces politiques et militaires en présence en Libye. Un des gages de réussite d’une médiation dans un conflit, c’est d’avoir des relations équilibrées avec les parties en conflit.
Nous avons failli à cette règle qui nous a pourtant bien réussi dans notre médiation entre l’Irak et l’Iran en 1975, dans l’affaire des otages US en 1981 et au Mali en 1991.
Quelles seraient, selon vous, les conséquences sur la région, et en particulier sur l’Algérie, d’une éventuelle intervention militaire ?
L’Algérie sera encore une fois soumise aux exigences de sa propre géopolitique. Un pays immense, c’est un atout, mais réclame des obligations à la mesure de sa masse territoriale, et dans notre cas, nous devons le faire, y compris par procuration tacite de nos voisins dont les armées ne sont pas en mesure d’affronter une menace de cette ampleur. C’est pourquoi notre pays devrait appeler à davantage d’engagement de la communauté internationale. La seule chose qui me fait penser que l’Europe va bouger, c’est que la guerre est à ses portes.
L’Algérie serait-elle forcée à y participer ?
Le plus urgent pour l’Algérie est de reconstituer le consensus national en matière de politique extérieure, en informant valablement sur la nature et la réalité des nouvelles menaces, sur nos capacités de défense nationale. Il faudrait également engager des concertations avec la classe politique, les élites, les faiseurs d’opinion pour partager, convaincre et faire porter le message à l’opinion publique qui est désorientée par la multiplication exponentielle des sources d’information. Cela se faisait sous Chadli et Zeroual, et nous avait permis de réduire les divergences des opinions et de développer des éléments de langage en accord avec les intérêts de notre pays.