Abdelaziz Bouteflika a-t-il vraiment retrouvé toutes ses forces pour envisager de reprendre ses fonctions présidentielles ? En tout cas, il s’apprête à présider, mercredi prochain, le Conseil des ministres au cours duquel de nombreuses mesures seraient annoncées.
J’hésite à comparer la situation que vit l’Algérie, depuis que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, est tombé sérieusement malade, officiellement en 2005, au tout début de « son second mandat », à « En attendant Godot » de Samuel Beckett ou au roman de Janusz Korczak « Le roi Mathias 1er ». Dans la pièce de Beckett, deux vagabonds attendent un homme, sans que l’on sache vraiment pourquoi ils l’attendent. Un homme qui ne viendra, d’ailleurs, pas. Dans le roman que Korczak destiné aux enfants, le roi est gravement malade, et s’il ne guérissait pas dans les trois jours tout finira mal, dit son médecin, profession de l’auteur. Tout le monde comprit que « le roi était condamné ». Inquiet, le Premier ministre convoque « tous les ministres en Conseil » et propose de prendre une décision puisque le roi ne peut plus gouverner.
L’incapacité de Abdelaziz Bouteflika à gouverner n’a pas été constitutionnellement établie. Mais, malgré les images diffusées le montrant en compagnie du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, puis du chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, et celles qui le seront mercredi prochain à la suite de la tenue du Conseil des ministres qu’il présidera, selon l’information qui circule, les Algériens continuent de penser, d’autant qu’aucun bulletin de santé du chef de l’Etat n’a été publié, que Abdelaziz Bouteflika n’est plus en mesure d’assumer, dans toute son intégrité physique et intellectuelle, ses lourdes fonctions présidentielles.
Des chefs d’Etat étrangers plus jeunes, sportifs, ne souffrant d’aucune pathologie invalidante, reconnaissent que la responsabilité de diriger l’Etat est épuisante physiquement, a fortiori pour un homme âgé que ses forces abandonnent. Le pape Benoît XVI le déclarait humblement en février dernier en présentant sa démission qu’en « raison de l’avancement de [son] âge, [ses] forces [n’étaient] plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. »

La reprise des « activités » du président de la République après quatre mois d’hospitalisation, de rééducation et de convalescence, avec la réunion du Conseil des ministres, mercredi, obéit à une conjoncture politique qui sent la déliquescence du clan présidentiel en guerre pour la succession. En reprenant ses fonctions, Abdelaziz Bouteflika tient, d’abord, à montrer au peuple algérien que sa santé s’est améliorée, et, ensuite, à son entourage et à ses adversaires, qu’il reprenait les rênes du pouvoir, lui ayant, qu’on le veuille ou non, échappé durant toute sa maladie.
La guerre ouverte au sein du FLN n’est certainement pas étrangère à cette décision « subite » du chef de l’Etat de se remettre au « travail ». D’après les informations qui transpirent, le président de la République serait très en colère contre son gouvernement, notamment son Premier ministre auquel il est reproché de n’avoir pas été à la hauteur de la responsabilité qu’il lui a confiée. Selon les mêmes milieux, il serait prêt à trancher dans le vif pour faire voir – il a déjà utilisé une expression bien familière chez nous pour menacer ses adversaires – qu’il n’est ni échec ni mat, restant le maître du jeu dans le pays.
Mépris ou indifférence pour ses ministres ? A l’exception du premier d’entre eux et de quelques autres, notamment le ministre de l’Intérieur, la majorité des membres du gouvernement n’avait pas été mise au courant de la tenue de ce Conseil des ministres.
La réunion de mercredi prochain ne peut être une réunion ordinaire de rentrée d’un chef de l’Etat revenu de vacances, comme si, pendant les quatre mois d’absence totale de Abdelaziz Bouteflika, rien de grave ne s’était passé dans le pays, en particulier les affaires de corruption touchant ses plus proches amis et collaborateurs, y compris son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, dont la fille serait impliquée dans le scandale Saipem/Sonatrach.
Des décisions seraient déjà prises quant au remaniement ministériel attendu de longue date et au mouvement des magistrats, des walis et des ambassadeurs dont une première liste avait fuité, il y a quelques semaines. Mais le peuple algérien attend du chef de l’Etat qu’il informe les Algériens sur ses intentions d’abréger son mandat, de rester jusqu’au bout ou de se porter, pour la quatrième fois, candidat à sa propre succession.
Brahim Younessi