L’Algérie, qui est cette année à la tête du dernier tiers des pays au niveau de la liberté de presse, semble vouloir s’enfoncer dans le peloton de queue.
Le fait que l’Algérie ait gagné quatre points dans le classement mondial de la liberté de presse 2015 de Reporters sans frontières semble lui avoir monté à la tête. Maintenant au 121e rang sur 180, il est à la tête du peloton de queue. Or, le ministre de la Communication, Hamid Grine, cherche actuellement à professionnaliser la presse en utilisant des moyens pour le moins douteux. Ses récentes actions semblent montrer que cette professionnalisation passe par une diminution de la liberté d’expression. Le retrait de l’accréditation au correspondant du journal londonien Asharq Al Awsat, Boualem Ghomrassa fait croire qu’elle passe aussi par la censure. Abdelaziz Bouteflika est le chef du pays et non le rédacteur en chef de sa télévision. Quand les médias ne peuvent refléter ce qui se passe réellement, ils deviennent des agences de relations publiques au service de l’État et se discréditent totalement.
Les pressions qu’a faites Abdelaziz Bouteflika sur les annonceurs des journaux qui le dénonçaient montrent que le gouvernement a deux standards en ce qui concerne les publications au pays. Si le gouvernement algérien a le droit de ne pas renouveler l’accréditation des correspondants des chaînes et des journaux étrangers, cela ne doit pas lui servir d’excuse pour tenter de cacher la réalité sur le terrain. La profession de journaliste est différente des autres. Elle est reliée directement à la protection des droits de l’Homme. La liberté de presse est le rouage essentiel de toute démocratie. C’est aussi la bête noire de toutes les dictatures. C’est quand le peuple gueule à pleine page dans les médias que le gouvernement se rend compte qu’il fait fausse route et se corrige. La tentation autoritaire est de faire taire les journalistes en espérant qu’en faisant sauter la tête de l’iceberg, tout disparaîtra. Ce n’est naturellement jamais ce qui se produit et de loi en manifestation en emprisonnement, la situation s’envenime.
Le gouvernement algérien n’en est pas à ses premières frasques en matière d’oppression de la liberté de presse. Les lecteurs algériens du magazine Jeune Afrique n’ont pu se procurer l’édition du 22 février dont la diffusion n’a pas été autorisée en Algérie par le ministère de la Communication. Les rédacteurs de ce magazine affirment qu’ils n’ont même pas été notifiés de la raison de cette censure. Ils supposent cependant que la publication d’une enquête de quatre pages intitulée « Bouteflika et les femmes » l’aurait motivé. Jeune Afrique qui peut distribuer son magazine en Algérie depuis 1998, après en avoir été banni pendant une vingtaine d’années a vu depuis ce temps une demi-douzaine de ses numéros y être interdits.

La concrétisation du projet du président de la République sur la professionnalisation de la presse pourrait être à double tranchant pour lui. C’est une chose de bafouer le droit d’expression en sourdine et une autre de créer une règle publique pour légaliser cette situation. Toute réglementation à ce sujet sera comparée à celles de pays qui sont reconnus pour respecter la liberté de presse. L’Algérie pourrait devenir la risée du monde en créant une loi où ce qui est considéré comme professionnalisme serait dans les faits un bâillon pour tous ceux qui ne pensent pas comme les dirigeants du pays. Ce n’est pas au ministère de la Communication de contribuer à donner une meilleure image de l’Algérie dans le monde. Les journalistes montreront une meilleure image de l’Algérie quand elle l’aura.
La liberté d’expression et le pluralisme médiatique ne doivent pas être assimilés à des insultes pour ceux à qui l’opinion publiée ne plaît pas. Si l’éthique de l’information du gouvernement algérien en devient une de la désinformation, elle sera dénoncée comme telle. Retirer les accréditations des journalistes qui ne disent pas comme le gouvernement, c’est tirer sur le messager. Si les journalistes ne peuvent apporter ce message aux dirigeants du pays, ce sera sa population qui se chargera de le lui amener par d’autres moyens. Hamid Grine est ministre de la République et c’est au peuple algérien qu’il doit sa fidélité.
Michel Gourd