« Les bijoutiers prennent de l’or, le fabriquent de l’autre côté de nos frontières et le réimportent sans payer un centime de droits de douane. En plus clair, ils exportent de l’or de manière officielle et ils importent du verre. Cela, avec la complicité de l’Etat mais aussi des Douanes italiennes qui ont laissé sortir la marchandise », Benkortbi, assume ses dires et est décidé à ne pas se taire.
L’Eco : vous êtes passé devant la onzième chambre dans une affaire qui vous oppose à des importateurs d’or italiens…
Abdelatif Benkortbi : non, l’affaire m’oppose à l’Association algérienne des bijoutiers. Je suis dépositaire de marques depuis 1976. Nous créons des modèles, nous les dessinons et nous les déposons par la suite au niveau de l’Inapi pour les protéger. Je suis fabricant de bijoux en Italie, en Suisse. Je l’ai été au Canada. A ma grande surprise, l’association me poursuit en justice en commercial arguant que ces modèles ne m’appartiennent pas mais à d’autres fabricants. Comme je suis le seul qui dépose mes modèles à l’Inapi, je me retrouve attaqué par une association qui est censée protéger ses bijoutiers. Je suis passé devant un juge d’instruction. Il y a eu une expertise. Tronquée, au demeurant, et qui n’a duré que deux heures de temps. Et qui de surcroît était manuscrite.
Vous avez été accusé de contrefaçon ?
Oui. J’ai été accusé de contrefaçon. Sauf que lorsqu’on accuse les gens de contrefaçon, il faut d’abord vérifier que les modèles concernés aient déjà été déposés auprès de l’Inapi. Ce qui n’est pas le cas dans l’affaire qui me concerne. Je précise que c’est l’association qui m’a attaqué et non pas les bijoutiers. Et cette association travaille pour les Italiens. Parce qu’elle est gérée par deux ou trois mafieux qui sont connus et ont même été arrêtés à l’étranger pour trafic de drogue, d’or et blanchiment d’argent. Cela a d’ailleurs été rapporté par les journaux italiens.
Il se trouve que les Italiens ne peuvent plus vendre leurs bijoux en Algérie dès lors que j’ai protégé mes modèles. Comme le marché parallèle est très important, ils copient les modèles. Ces mêmes modèles se retrouvent dans les vitrines des bijoutiers, ici en Algérie. J’ai lancé un appel à toute la clientèle pour l’avertir que les bijoux qu’elle achète en mon nom sont contrefaits. J’ai donné les noms et prénoms de ces contrefacteurs et leur adresse commerciale. Mais ce ne sont pas ces gens qui m’ont attaqué. C’est plutôt l’association qui m’a poursuivi en justice, alors qu’elle n’a pas qualité pour le faire.
Quand vous avez déposé vos modèles à l’Inapi, y a-t-il eu contestation ?
Jamais. C’est depuis le jour où ils ont saisi la marchandise des Italiens aux Douanes algériennes que j’ai commencé à avoir des problèmes. En fait, il y a une association de malfaiteurs composée d’Algériens et d’Italiens que nous avons réussi à épingler. Il faut savoir aussi que je n’ai pas une seule société, mais plusieurs. Nous avons constaté que leurs bijoux ne sont pas conformes. Ils sont pleins de pierres en verre qui n’ont aucune valeur qu’ils revendent au prix et au poids de l’or. Et puis, ils ne sont pas poinçonnés c’est-à-dire qu’ils ne sont pas passés par les services du fisc. Nous avons donc adressé une requête au magistrat qui nous a délégué un huissier de justice pour venir avec nous afin d’acheter ces bijoux et prouver qu’ils sont faux. Ce sont pour nous des pièces à conviction.
En outre, le même magistrat a ordonné aux services de la répression des fraudes et de la garantie de nous accompagner, mais ils ont refusé de s’exécuter. Et c’est consigné sur un procès-verbal. C’est une véritable mafia que j’ai commencé à dénoncer à partir de 2006 à la Gendarmerie nationale, à la brigade économique et aux services des impôts. Personne n’a bougé.
Avez-vous fait des écrits officiels ?
Mieux. J’ai été auditionné par eux sur procès-verbal. J’ai déposé une plainte à la douane et une autre contre le directeur général des Douanes, Sid-Ali Lebib et sais toutes les instances officiels y compris la présidence de la république et je garde toutes les copies.
Vous avez des noms ?
Il s’agit de Berkiche Saïd de Boumerdès qui activait dans l’aviculture avant de devenir bijoutier. Il y a aussi la société Fadibi représentée par Badaoui Djamel. C’est lui qui achète les bijoux chez la mafia italienne, avec factures de surcroît. C’est d’ailleurs la marchandise qui a été saisie à la douane algérienne. Et donc, c’est cette mafia qui voulait déposer plainte contre la société El-Ihsène qui nous appartient, à mon frère et moi, mon frère étant le gérant. C’est la première société qui exporte les bijoux. Cette société a également déposé ses modèles au niveau de l’Inapi. Et la société italienne qui l’a attaquée en justice a été déboutée parce qu’elle n’avait pas qualité pour le faire. Car il n’est pas bijoutier, n’a pas de registre de commerce en Algérie.
Et en quelle qualité a-t-il agi ?
C’est un grand point d’interrogation pour moi. Mais une fois l’affaire introduite en appel devant la Cour, notre avocat de l’époque s’est retourné contre nous. Il a proposé la somme de 50 milliards de centimes de dommages et intérêts à la partie adverse. En fait, cet avocat a été constitué par Berkiche, le parrain du trafic d’or. Puis ce fut le patron de la société Fadibi de surgir pour s’introduire en tierce opposition avec l’Italien contre notre société. C’est une véritable association qui s’est liguée contre moi, avec la société Duel et IGAR. La juge, apparemment corrompue, a annulé tous nos modèles sans preuve. La partie adverse n’a fourni ni registre de commerce, ni modèle, ni facture.
Cela en dépit du fait que vous ayez déposé vos modèles à l’Inapi…
Oui la juge m’a dénié le droit sur mes modèles bien qu’ils soient déposés. Et Lorsque j’ai demandé la tierce opposition pour la société El-Ihsène dans laquelle je suis actionnaire à 50%, la justice me l’a refusée. Alors que c’est mon droit le plus absolu. Tout cela s’est déroulé sans que mon avocat, maître Fetnassi, soit mis au courant. Il ne savait même pas que l’affaire était enrôlée et jugée. D’ailleurs, j’ai déposé plainte contre l’avocat constitué par Berkiche.
En fait, la société El-Ihsène dérange les Italiens, les Turcs… Par ailleurs, les services des impôts nous ont refusé, par écrit, le remboursement de la TVA à l’export. Ce qui est illégal. Car nous achetons de l’or en Algérie, nous fabriquons des bijoux en Algérie et nous les exportons. Pourquoi nous refuse-t-on le remboursement ? Cela veut dire que c’est la faillite pour l’entreprise. Paradoxalement, nous apprenons que des importateurs ramènent de la marchandise finie de Dubaï sans payer les droits de douane et sans paiement de TVA.
Parlez-nous de l’or italien, de ces pierres qui sont considérées comme grammage alors que ce n’est pas de l’or…
En Italie, il y a une loi selon laquelle on doit peser les bijoux avec les pierres de 100 carats (1 g = 5 carats) à part et l’or à part. Il est interdit de les peser ensemble. Compte tenu de la qualité. Car ce n’est pas normal que pour les diamants, le poids soit donné et pas celui du verre. C’est de l’escroquerie. Il se trouve qu’on importe officiellement des bijoux auxquels on rajoute jusqu’à 40% de pierres et on les pèse comme étant de l’or. Je suis le seul en Algérie à avoir dénoncé ces pratiques. Les Douanes algériennes ont saisi cette marchandise et convoqué son propriétaire pour contrôler la conformité des bijoux. Parce qu’il s’agit du régime passif.
Les bijoutiers prennent de l’or, le fabriquent de l’autre côté de nos frontières et le réimportent sans payer un centime de droits de douane. En plus clair, ils exportent de l’or de manière officielle et ils importent du verre. Cela, avec la complicité de l’Etat mais aussi des Douanes italiennes qui ont laissé sortir la marchandise. Tout cela, je l’ai dénoncé en présence de l’officier des Douanes M. Benmerad, du directeur des fraudes M. Zitouni et du directeur du contentieux.
Cette marchandise vendue aux bijoutiers n’est pas passée par les services de garantie ?
Si. Sauf que tout le monde est complice. Et c’est ce que j’ai dénoncé. Partout, y compris dans les journaux. Il faut signaler que personne n’a voulu délivrer un document pour libérer la marchandise saisie en douane. La solution trouvée était de licencier le directeur de l’association des Douanes, ils l’ont muté à Tamanrasset ; le directeur des fraudes a été remplacé par un intérimaire. Et c’est ce dernier qui a ordonné la libération de la marchandise alors que l’affaire était pendante devant la justice.
Parlez-nous de l’authenticité des pierres. Comment le consommateur peut-il reconnaître les vraies des fausses ?
Nous sommes les seuls en Algérie à délivrer un certificat international après avoir fait l’expertise. En revanche, aucun bijoutier ne délivre de certificat officiel. De plus, il faut savoir qu’aujourd’hui, n’importe qui peut s’improviser bijoutier. Et cela avec l’argent de la drogue. On utilise des prête-noms, on les finance et on ouvre des bijouteries partout. Cela n’est un secret pour personne. Pis, ces vitrines ne sont pas contrôlées par l’Etat..
Mais il y a une loi sur le poinçon…
Il faut savoir que le bijoutier doit acheter chez le fabricant. Lequel fabriquant s’approvisionne en or obligatoirement chez l’Etat. Car depuis 2002, il nous est interdit d’acheter de l’or cassé en raison de la TVA.
Qu’en est-il de l’or non conforme ? Est-il détectable ?
Non. Et les bijoutiers actuels sont incapables de le savoir. En principe, on prend de l’or, on le coupe on met de l’acide avec du plomb et on pèse pour connaître le carat. Il se trouve que l’appareil de pesée des services de l’Etat est défectueux. Ils ne peuvent donc pas établir le titre de l’or. D’où la fraude. Cela parce que l’Etat ne veut pas se donner les moyens d’intervenir contre cela. Surtout que 95% d’or en vitrine n’est pas conforme. Ce sont les statistiques qui le disent, pas moi. Quand il n’y a pas de poinçon, cela veut dire que ce n’est pas de l’or à 18 carats.
In L’Eco Mag n°68
Par Faouzia Ababsa