La police a brutalement dispersé lundi des manifestants sur l’avenue Bourguiba, interdite aux rassemblements.
Centre névralgique des contestataires de tous poils, l’avenue Bourguiba est interdite aux rassemblements depuis le 28 mars, suite à l’agression d’artistes par des manifestants salafistes. Arbitraire, selon les uns, prise au nom du maintien de l’ordre, selon les autres, cette mesure n’a réussi qu’à exacerber les tensions. La brutalité policière a consterné la plupart des observateurs. «Nous sommes pacifiques et ils nous interdisent l’avenue Bourguiba alors qu’ils l’ont livrée aux salafistes», déplorait une manifestante.
La décision d’Ennahda de ne pas faire référence à la charia dans la future Constitution n’a visiblement pas réussi à tempérer les accusations de partialité à l’encontre du parti au pouvoir, plus prompt à condamner les «modernistes» que les apologistes de la charia. La bataille qui oppose les deux camps a gagné Internet. Un groupe se réclamant du collectif Anonymous a publié dimanche quelque 2700 mails piratés sur les sites des principaux dirigeants islamistes, dont ceux du premier ministre Hamadi Jebali. Des courriels au contenu plutôt anodin, mais qui s’accompagnent d’une mise en garde: «Gouvernement tunisien, nous avons gardé secrète une très grande partie de vos données. Si vous ne voulez pas les voir publiées, nous vous demandons d’éviter la censure sur Internet, de respecter les droits de l’homme et la liberté d’expression.»
Ce n’est pas le premier coup d’éclat d’Anonymous en Tunisie. À la mi-mars, le groupe avait piraté plusieurs pages Facebook islamistes dont celle des radicaux du parti Hizb Ettahrir. Quelques jours plus tard, les hackeurs s’en étaient pris au site du ministère de la Justice.
Atteintes à la morale
De fait, si le gouvernement tend à minimiser l’agressivité des islamistes radicaux, notamment les appels à la violence ou au meurtre de certains d’entre eux, il ne badine pas avec les «dérapages» des modernistes. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ennahda, les poursuites judiciaires pour «atteinte à la morale ou aux valeurs du sacré» se multiplient. Le directeur de la télévision privée Nessma est poursuivi pour avoir diffusé le film Persepolis , dont une scène est jugée blasphématoire. Son procès doit reprendre la semaine prochaine. Début mars, le quotidien Ettounsiaa été condamné à 500 euros d’amende pour avoir publié une photo de nu.
Enfin, la semaine dernière, deux internautes ont été condamnés à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur Facebook des caricatures du prophète Mahomet. Même si certains blogueurs eux-mêmes ont jugé ces dessins «violents», la peine infligée à Ghazi Béji et Jabeur Mejri est sans précédent dans ce genre d’affaires. L’un des deux accusés s’est réfugié à l’étranger, l’autre est en prison. Aucun avocat n’aurait accepté de les défendre.