“Depuis cette date, l’opération se poursuit tantôt bien, tantôt sous des contraintes”, reconnaît M. Foughali, directeur de la culture de la ville de Constantine. “Devant une wilaya qui a pris trop de retard et qui se retrouve depuis peu dans un état de chantier rendant le quotidien du citoyen à la limite de l’acceptable…
L’événement, que les autorités locales et centrales présentent comme un grand acquis pour le développement de la ville, consomme, dans sa phase Aussi, l’absence de communication pour la préparation de la population avant le lancement de ces travaux a eu un impact négatif”, corrobore le Dr Omar Mehsas, commissaire adjoint de la manifestation. Les autorités publiques, conscientes de la situation, gèrent tant bien que mal le malaise, avançant l’argument que la ville et sa population profiteront pleinement, a posteriori, des retombées de l’événement.
Le Vieux rocher se doit de se parer de ses plus beaux atours pour abriter le statut que lui a dévolu l’organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (Alesco). “C’est une aubaine pour le développement de la wilaya au-delà de 2015… Cette manifestation peut redonner espoir aux citoyens dans tous les segments de la vie… toilettage des villes, des routes, du bâti, de la sécurité, des loisirs…, et aussi par les retombées économiques directes et indirectes”, poursuit notre interlocuteur.
Du chaos naît l’ordre, dira-t-on dans l’absolu. Il n’en demeure pas moins qu’avant de percevoir les bienfaits potentiels d’une année de festivités culturelles et cultuelles, le projet suscite mécontentement, conflits et quelques embrouilles. Du côté officiel, on parle “d’embûches dans la constitution des dossiers, la recherche des bureaux d’études et des entreprises réalisatrices des projets. Après huit ou neuf mois, les choses se sont normalisées”, pour reprendre les explications de M. Foughali.

Dans un cadre moins formel, on évoque le désistement de plusieurs sociétés, retenues pour la réalisation des nouveaux équipements et la restauration des édifices anciens, ainsi que l’écartement, au milieu du parcours, de certains organismes gouvernementaux, tels que l’Agence nationale des grands projets culturels. L’on dénonce surtout des choix inappropriés. “Nommer ‘Constantine, capitale de la culture arabe’ pendant une année n’est pas une démarche fortuite.
C’est l’une des plus vieilles au monde — trois fois millénaire — et elle a enfanté des personnalités qui ont marqué son histoire. Elle n’est pas stérile. Malheureusement, ce cumul civilisationnel a été ignoré parce qu’on n’a pas associé les gens de la ville dans la préparation de l’événement. Le choix des projets et des exécutants a été décidé à une échelle centrale”, relève M. Khelfi, architecte et président de l’association A25. Le programme retenu par les autorités compétentes se décline en quelques projets nouveaux et la restauration de 18 édifices et sites anciens. Il a été ainsi décidé de réaliser une salle de spectacle — le Zénith de Constantine — de plus de 3 000 places à proximité de l’aéroport de la ville.
Dans le même périmètre est implanté le Palais des expositions réalisé par un groupement algéro-espagnol sur une superficie de 7 000 m2. La structure sera livrée, selon les prévisions, au mois de mars prochain. À quelques encablures se dresse l’hôtel Marriott, d’investissement public à 100%, mais dont la gestion est confiée à la chaîne hôtelière internationale. Le nouveau pont suspendu, baptisé au nom de l’écrivain natif de la région, Malek Haddad, est déjà réceptionné. Il a été conçu et réalisé par des Cubains.
À partir de ces projets, localisés en périphérie de la vieille ville (à l’exception de l’ouvrage d’art), commence le parcours des 18 édifices inscrits dans le plan de rénovation et restauration. Il s’agit notamment du Palais de la culture
Malek-Haddad qui sera transformé en galerie d’art, le théâtre régional, les grandes mosquées, le tombeau de Massinissa, la maison d’Ibn Badis, des hammams, des zaouïas, des ruelles anciennes… Des travaux sont également entrepris sur l’ancien siège de la wilaya, construit dans le style néo-mauresque. Le bâtiment, niché en contrebas de la Souika, est cédé au ministère de la Culture, qui veut en faire un centre des arts. La mise en valeur du palais Ahmed-Bey est en cours.
Sa reconversion est à l’ordre du jour au même titre que le palais de la culture Al-Khalifa. Les directions de wilaya et les particuliers, qui ont été délocalisés pour raison de travaux entrepris sur le palais de la culture Al-Khalifa, ne retrouveront pas de domiciliation dans l’enceinte de l’édifice, assure M. Foughali.
La ville des Ponts suspendus connaît, actuellement, de gros chantiers afin de se préparer à l’événement. ©Louiza/Liberté
La médersa Émir-Abdelkader, qui fait actuellement office de l’une des universités de la ville, est rétrocédée par le ministère de l’Enseignement supérieur au secteur de la culture, destine ses espaces pour les hommages qui seront rendus aux personnalités ayant marqué la ville, tout au long de son histoire (Yughurta, Massinissa, Ibn Badis, Malek Haddad, Ahlem Mostaghanmi…). “Nous accusons des retards dans l’exécution des projets, mais il n’y a pas de quoi nous inquiéter. L’État a mis tout son poids pour atteindre les objectifs assignés à la manifestation. Le wali inspecte les chantiers chaque mardi pour pouvoir prendre les décisions en temps réel et régler d’éventuels problèmes”, rassure M. Foughali.
Les travaux vont bon train à Constantine. ©Louiza/Liberté
Indépendamment des désagréments subis par la population locale à cause des travaux, des experts en architecture interpellent l’opinion publique sur la menace qui pèse sur la préservation des sites et monuments anciens. “L’intervention sur le tissu ancien coûte très cher et exige une grande technicité. Vu la manière avec laquelle l’opération est menée, il y a risque sur l’édifice. Les travaux anarchiques menacent les fondations des habitations de la rue Aouati-Mustapha (dans les quartiers anciens, ndlr)”, alerte M. Khelfi.
Il dénonce, notamment, la destruction des escaliers publics du Coudiat Aty, en pierre bleue, vieille de plus de 130 ans, ainsi que les bordures des trottoirs des rues Aouati-Mustapha, Didouche-Mourad, Zaâmouche et St-Jean, également en pierre ancienne, et leur remplacement par un matériau poreux qui s’effrite dès la pose, de surcroît moins esthétique, mais plus cher (22 000 DA le mètre carré). Des citoyens ont stoppé par la force, au mois de novembre dernier, l’action du marteau-piqueur sur les trottoirs, puis se sont rendus, en délégation, chez le wali. Ils ont été reçus par son chef de cabinet qui a promis de mettre fin à l’opération.
Lors de l’une de ses sorties sur le terrain, l’administrateur de la collectivité locale de Constantine a constaté, par lui-même, la mauvaise qualité du matériau par lequel a été remplacée la pierre bleue formant les bordures des trottoirs dans les vieux quartiers. “Nous avons envoyé des correspondances au wali de Constantine pour l’avertir de ce qui se passe, par acquis de conscience. Nous ne pouvons nous taire devant le massacre de la ville”, rapporte notre interlocuteur.
Dans cette lettre, dont des copies ont été adressées au Premier ministre, au ministre de la Culture et aux élus locaux, M. Khelfi, au nom de l’Association des architectes qu’il représente, a noté que “Constantine est victime de choix inappropriés, suivis de mauvaises décisions, exécutées par des gens qui n’ont pas le niveau avec la marginalisation des personnes qui connaissent bien les trésors de la ville. Constantine a perdu, ainsi, une occasion en or pour sa mise en valeur”. Désabusé, l’homme estime que “l’échec est déjà consommé”. D’autant que les sommes allouées aux différentes opérations sont importantes.
Quelques exemples de répartition des programmes d’exécution : la restauration des hôtels Panoramique et Cirta consommera 500 et 700 milliards de centimes. 105 milliards de centimes sont attribués à la rénovation du palais de la culture Al-Khalifa et 1 100 milliards de centimes sont réservés pour le Zénith. Le budget global accordé à la préparation de Constantine à l’événement de 2015 serait de 60 milliards de dinars. Un chiffre qui attire inévitablement des convoitises.
Le cas du conflit entre l’architecte lumière français, Alain Guilhot, et son hypothétique associé algérien est parfaitement édifiant en la matière. Les deux hommes ont convenu de conclure un partenariat pour postuler au projet de mise en lumière des édifices de Constantine. S’en suivra un imbroglio dans lequel les deux parties s’auto-accusent.
L’Algérien soupçonne le Lyonnais de l’avoir court-circuité en se liant à un autre intermédiaire pour conclure le contrat avec la wilaya de Constantine. Il intente un procès contre son ex-futur associé. Selon ses proches, M. Guilhot n’a rien à se reprocher et que c’est plutôt son partenaire algérien qui a manœuvré pour faire échouer la démarche entreprise avec les autorités locales de Constantine. L’affaire est pendante devant les instances judiciaires.
S. H.