Imaginez que la tomate atteingne les 70 ou 80 DA comme chaque Ramadhan?
Certaines familles restent attachées aux traditions ancestrales, tandis que d’autres ont modernisé leur approche de ce mois sacré. Mais l’esprit est toujours le même…
Les années passent, les habitudes changent, les traditions disparaissent…mais le charme du mois de Ramadhan est toujours le même. Malgré la flambée des prix qui est enregistrée durant ce mois dit de la piété, les familles algériennes sont toujours aussi excitées et impatientes de l’accueillir. Mais la question qui nous vient à l’esprit est: comment ces familles préparent-elles la venue de «Sidna Ramadhan», comme l’ont toujours appelé nos arrière-grands-parents? «Les Algériens se préparent à tout, sauf à pratiquer leur foi…», résume Boussaâd, retraité.
«J’ai remarqué que ces dernières années, la préparation de ce mois sacré de Ramadhan, ne se limitait qu’à la bouffe, la bouffe et la bouffe», s’indigne-t-il. «Je me souviens quand on était jeunes, la période qui précédait le Ramadhan, avait une saveur particulière que je ne retrouve plus maintenant. On s’entraidait pour nettoyer le quartier, repeindre nos maisons ce qui créait un esprit de solidarité entre les voisins et contribuait à préserver l’esprit de famille», dit-il sur un ton nostalgique.
Pour Samira, par contre, une femme au foyer, les préparatifs de Ramadhan se limitent à congeler à l’avance, quand les prix sont au plus bas, des fruits et légumes dont elle est sûre que les prix décolleront pendant le mois de Ramadhan. «Je congèle de la tomate dans des petits gobelets en plastique, du citron en boule…même le poulet et la viande, enfin tout ce qui peut l’être pour parer à toute mauvaise surprise», nous avoue-t-elle.
«Vous imaginez si la tomate atteint les 70 ou 80 DA, comme chaque Ramadhan, comment voulez-vous que je m’en sorte? C’est donc devenu pour moi une tradition qui me permet de passer le mois plus ou moins à l’aise…», soutient-elle. Pour Ilyas, jeune père de famille, la flambée des prix et les soucis de la vie quotidienne nous ont fait oublier les vraies valeurs de la vie. «Pour nous, la nouvelle génération, contrairement à nos parents, la période du Ramadhan, est malheureusement devenue un mois comme les 11 autres mois de l’année sauf que l’on jeûne», déplore-t-il. Ilyas pense que le fait que ces dernières années le mois de Ramadhan est intercalé entre les vacances et la rentrée sociale, a augmenté l’indifférence de la population pour les préparatifs de ce mois sacré. «L’été et toutes les dépenses qui vont avec, les mariages qui sont nombreux durant cette période, le Ramadhan et son budget nourriture, l’Aïd et encore ses dépenses, la rentrée scolaire sont autant de frais qui font mal à nos porte- monnaie et nous préoccupent», révèle-t-il. «Les prix cassent notre foi», ironise-t-il.
L’avis de nos deux compères n’est pas partagé par Lala Aouicha, une «Mémé» algéroise rencontrée au marché Ali-Mellah d’Alger. «Le mois de Ramadhan, on commence à le préparer un mois à l’avance c’est-à-dire à partir du mois de Chaâbane», nous confie-t-elle. «Ma famille prépare le mois de Ramadhan, comme du temps de mes aïeux. Tant que je serais de ce monde cela se fera selon les traditions et pas autrement. C’est un moyen pour moi de préserver l’esprit du Ramadhan», ajoute-t-elle. Comme chaque année, Lala Aouicha fait venir un peintre pour «blanchir» la demeure familiale.
Elle réunit également sa descendance autour d’elle pour qu’elle l’aide à faire le grand nettoyage, mais aussi pour préparer les traditionnelles pâtes comme la douida, un genre de vermicelle fait à la main, la rachta et le couscous…«Non pas que je ne peux pas faire cela toute seule, mais partager cette activité avec mes enfants et mes petits- enfants c’est la véritable vie de famille. Et c’est aussi un moyen pour moi de contribuer à la préservation de nos traditions», assure-t-elle toute émue. «En plus, comme on dit, voir la douida sur le tamis, c’est ce qui donne plaisir à déguster la bonne chorba», plaisante-t-elle. Pour ce qui est du Ramadhan, Lala Aouicha dit le passer depuis plus de quarante ans chez elle: «Non, je refuse d’aller chez mes enfants. Ce sont eux qui viennent chez moi pour dîner tous ensemble», atteste-t-elle. «Les choses simples de la vie sont les meilleures», affirme pour sa part El Hadj M’hamed. Et par choses simples de la vie, El Hadj M’hamed parle des moments privilégiés que représentent les préparatifs de Ramadhan et le mois sacré en lui-même. «Nos arrière-grands-parents étaient conscients de l’importance de ces moments si particuliers qui rapprochent les parents de leurs enfants.
Ces préparatifs étaient aussi pour eux un moyen pour que la baraka du Ramadhan entre dans leurs modestes demeures et protège les leurs…», témoigne-t-il. Au marché Dubaï ou El Djorf à Bab Ezzouar, célèbre surtout pour la vaisselle et les ustensiles de cuisine qui y sont vendus, on rencontre un grand nombre de femmes, tous âges confondus et même des couples venus perpétuer la tradition en achetant de la nouvelle vaisselle et toutes sortes de rideaux et ustensiles de cuisine pour disent-ils, la baraka pénètre leur foyer.
«On ne sait pas pourquoi on fait cela, cela a toujours été ainsi. C’est la tradition», nous confie la majorité des personnes interrogées. Malgré les difficultés de la vie, le mois de Ramadhan reste une période où la foi du croyant est toujours aussi forte et les préparatifs qui se perpétuent de génération en génération sont là pour le confirmer…