À l’initiative de l’architecte lynda ouar et d’autres citoyens : Appel à la sauvegarde du patrimoine architectural del’ex-fort national

À l’initiative de l’architecte lynda ouar et d’autres citoyens : Appel à la sauvegarde du patrimoine architectural del’ex-fort national

Un débat fort intéressant sur la sauvegarde du patrimoine architectural de l’ex-ville de Fort National (Larbaâ Nath Irathen dans la wilaya de Tizi Ouzou)

Un débat fort intéressant sur la sauvegarde du patrimoine architectural de l’ex-ville de Fort National (Larbaâ Nath Irathen dans la wilaya de Tizi Ouzou) a été relancé, samedi dernier, à la faveur d’une journée organisée par l’Entreprise d’organisation de manifestations culturelles, économiques et scientifiques (Emev).

L’urbanisation anarchique suscite l’indignation

Lynda Ouar, architecte originaire de la ville, était la personne la plus attendue à cette rencontre pour une présentation de l’histoire de l’ex-Fort Napoléon depuis son édification en 1857. Un fort construit en 17 jours seulement par des militaires français, mais aussi de nombreux «indigènes» kabyles. C’est que l’architecte a une maîtrise émérite de cette histoire, ayant travaillé (et travaille encore) sur le sujet depuis plusieurs années, se basant sur un travail de recherche dans l’enceinte même de la ville. Sa ville qu’elle revisite au moins deux fois chaque année. Un travail enrichi par des informations, des photos anciennes et des cartes postales, recueillies auprès de proches et d’amis nombreux, tous attachés à la région et à ses origines. Autre facteur ayant aidé à l’accomplissement de ce travail, profond et minutieux, est l’accès de l’architecte aux archives militaires françaises qui contiennent justement des informations et des photos racontant cette histoire.

Très active sur le réseau social Facebook, à travers sa page «De l’ex-Fort National à Larbaâ Nath Irathen», Lynda Ouar, fille d’un grand artiste de la région, Dalil Omar en l’occurrence, décédé il y a quelques années, a réussi à ressusciter l’amour et l’intérêt grandissant pour la ville chez une grande partie de ses habitants. Ceux qui y résident et ceux qui sont installés à l’étranger.

Dans sa conférence, l’architecte a frappé fort. Elle a dénoncé l’urbanisation anarchique de la ville. Une croissance rapide imposée par le besoin de construire des logements et qu’elle rejette avec force comme argument. «Le besoin de construire en urgence ! C’est un argument inadmissible. C’est fatal pour la ville. La ville est un organisme vivant. Elle reflète la société.» Et à voir les habitations d’aujourd’hui, pourtant appréciées par la jeune génération qui y voit «la prospérité», il y a de quoi être inquiet.

L’architecte parle d’aberrations en matière d’urbanisme. Insalubrité. Laideur de la ville. L’ancienne ville, affirme-t-elle, était petite et charmante. Il y avait la caserne et à l’intérieur même de cette caserne, le lieu de pèlerinage «Sidi H’end Aouanou». Un endroit sacré, cher aux habitants. Ils y fêtaient la «Achoura». La caserne de l’ex-Fort National est à l’abandon. Pendant des années, elle était inaccessible aux habitants. Par la suite, durant de courtes années, elle leur a été accessible. «C’est un endroit poétique, inspirant.» En 2001, elle a été récupérée par les militaires, algériens bien sûr. Déjà avant le retour de ces derniers, elle avait perdu une partie de ses campements. Et avec leur nouveau retour, c’est encore une autre partie qui a disparu. Une grande partie qui a été démolie pour des raisons qui sont les leurs.

Des édifices à récupérer en urgence

Les deux portes de l’ex-Fort National, celle d’Alger et celle du Djurdjura ont disparu. La démolition de la porte d’Alger a attristé énormément les habitants de la ville, même les enfants (de l’époque), habitués à s’y rendre, en compagnie des grands-parents, dans le but justement d’apprécier l’image imposante de cette porte et aussi les murailles de la ville. La porte d’Alger a été démolie par les autorités locales après qu’un camion, selon la voix officielle, ait endommagé une partie de cette structure. Il fallait donc achever le reste, d’autant qu’il y avait nécessité, toujours selon la voix officielle, de recourir à ce procédé pour agrandir la route. Le résultat était simplement déplorable : porte enfouie sous terre et la route débordée de voitures. «Dommage que cette porte soit démolie. Ils auraient pu agrandir la route ou trouver une solution au problème de circulation automobile sans la toucher», regrette l’architecte. Les hôtels de la ville sur une rue anciennement touristique et commerciale sont aujourd’hui dans un état regrettable.

Non entretenus et insalubres en partie pour cause de location des chambres (ou des appartements) à des habitants de la ville, sans toutefois les obliger à effectuer les travaux nécessaires, parfois même payer le loyer. Des affaires restent en suspens au niveau de la justice pour récupérer une partie de ces anciennes propriétés privées, mais en vain. Le quartier Jumbo, l’ancien parc à fourrage Chambon, devenu site d’habitation après l’indépendance, est lui aussi dans un état de délabrement avancé. En fait, ce sont pratiquement toutes les constructions qui datent de l’époque coloniale qui se retrouvent dans cet état comme pour dire «un rejet de tout ce qui est colonialisme». Lynda Ouar y voit là une grande erreur : «Je ne suis pas là pour défendre les constructions coloniales, mais j’estime que cela fait partie de notre histoire et nous devrions faire le nécessaire pour la préserver cette histoire. Cela fait partie de notre identité. C’est notre devoir envers les générations futures.»

De ces constructions coloniales, il reste encore à espérer que les autorités locales se penchent sur l’état actuel de l’ancien hôpital militaire, lui aussi chargé d’histoire. Il est dans un état critique. Déplorable. Une situation des plus tristes. Les anciennes élèves du CEM filles (c’était aussi un CEM filles durant quelques années) et celles qui avaient à apprendre les métiers de broderie, tissage…et autres métiers d’artisanat chez les sœurs blanches, ont de quoi avoir très mal au cœur. L’ancien hôpital militaire de l’ex-Fort National crie sa colère. Il crie sa douleur. Il demande à être réhabilité, rétabli dans ses droits à l’entretien, au respect et à la considération pour avoir réussi à se maintenir longtemps et à résister aux nombreuses attaques. D’autres parties du Fort, visibles et cachées, pleurent en silence.

«La Poste» en l’occurrence. Celle-ci a beaucoup moins souffert, mais elle craint pour son avenir. Elle demande protection. Le patrimoine colonial de l’ex-Fort National demande protection pour continuer à témoigner de l’histoire car il s’agit simplement de l’identité de la ville et de ses habitants. Pour ce qui est des nouvelles constructions, l’architecte lance un appel pressant aux concernés pour respecter les règles d’urbanisme et de s’assurer de construire dans l’harmonie et la cohérence. Les autorités publiques sont interpellées à plusieurs titres pour remédier à la situation. Avec elles, toutes les parties intervenant dans l’acte de bâtir.

Artistes et citoyens mis à contribution

À signaler que cette conférence-débat a été précédée le matin par une visite guidée dans la ville. Celle-ci a drainé une grande foule et suscité la curiosité de nombreux citoyens. La journée de samedi était un moment de grande émotion pour tous. La terre et le sang ne sont pas que des mots. C’est toute l’existence d’un être. Autre fait à signaler est que des artistes de renom étaient présents à cette journée : Rabah Ouferhat qui est du village d’Azzouza, Belaïd Tagrawla, Karim Abranis et d’autres. De nombreux citoyens ont été mis à contribution, à leur propre initiative.

K. M.