Une précampagne tardive, à quelques mois de la date butoir d’avril 2014, et l’expectative qui fige les positions des uns et des autres.
Toute la classe politique est suspendue, en ce début d’année, à la décision de Bouteflika de briguer ou non un nouveau mandat après 15 années à la tête de la magistrature suprême, le plus long règne d’un président algérien.
Bien malin celui qui peut prédire de quoi sera fait l’après-avril 2014 tant le pouvoir en Algérie échappe aux schémas classiques d’analyse. Quelques candidats habitués à ces joutes électorales et des nouveaux sont déjà partants.
De nouvelles têtes sont attendues. La carte politique est de prime abord coupée en deux : il y a ceux qui se réclament de l’opposition — ils sont beaucoup — le quartet ou coalition gouvernementale et les courtisans tout aussi nombreux. Mais il se trouve que les lignes de démarcation entre les «partis à disposition» non officiellement acquis au pouvoir sont ténues.
Pourtant, le compte à rebours pour le renouvellement de l’instance dirigeante suprême a commencé sinon dans les faits, du moins dans l’état d’esprit dominant aussi bien chez les décideurs que dans l’opinion publique. Et pour ne pas faillir à la tradition, chaque élection présidentielle s’inscrit dans un contexte spécifique. Dans le cas présent, il s’agit de l’hypothèse d’un 4e mandat confrontée à l’incapacité physique (l’on parle même d’un autre type de séquelle) du premier prétendant.
Le boum des recettes financières générées par les hydrocarbures ces dernières années, qui attisent bien des convoitises, est une donnée qu’il faut prendre en compte. La course pour la présidentielle 2014 ne peut occulter cette donnée. Les acteurs de la scène politique ne l’ignorent pas.
LE PAYS PRIS EN OTAGE ?
Mais cette compétition électorale risque de prendre en otage un pays qui a besoin de bien plus que de discours aussi pompeux soient-ils. «Que ceux qui se portent candidats comprennent qu’il s’agit du sort d’un pays en danger à plusieurs niveaux», nous dit le professeur Zoubir Arous de l’université de Bouzaréah.
Pour lui, «il règne un climat désolant autour du scrutin présidentiel qui porte plus sur la critique du président actuel, sur sa personne que sur un projet politique. C’est tout à fait improductif d’autant plus que ce type de discours porte atteinte à la crédibilité de la fonction de président de la République et la dévalorise». Visiblement, nous ne sommes pas encore entrés dans la confrontation des programmes des uns et des autres.
Pour certains partis, le programme électoral est en cours d’élaboration tandis que pour d’autres, notamment les indépendants, il s’agit beaucoup plus d’une somme d’idées et de lignes politiques générales. Bien évidemment, les anciens partis peuvent se targuer de ne pas accuser ce déficit, mais les principaux, en l’occurrence le FLN et le RND, en crise ne voient pas le bout du tunnel. Acquis au pouvoir sans aucune condition, le MPA de Amara Benyounès et TAJ de Amar Ghoul rivalisent de zèle quant à leur fidélité au programme du président.
Cette allégeance qui défie la pudeur contraste toutefois avec une réalité économique et sociale morose. Le décollage qui ferait de l’Algérie un pays émergent et qui rejoindrait les BRICS n’est pas pour demain. Qui des politiques s’en s’offusquent ? Les mises en garde répétées, parfois pathétiques restent sans écho.
EN ATTENDANT LE DÉCLIC SALUTAIRE ?
Cette panne d’imagination est ainsi fort préjudiciable à une population majoritairement jeune et pleine de fougue et aux redoutables défis que représentent le logement, le chômage et l’indigence d’un enseignement qui n’arrive pas à sortir de l’ornière de la médiocrité, situation qui va en s’aggravant avec l’explosion démographique dans les campus.
Réalité nouvelle, le chômage des diplômés de l’université se greffe sur celui des autres catégories de jeunes sans formation. La crise de l’emploi se pose dans toute son ampleur provoquant des tensions sociales récurrentes.
En effet, 50 000 jeunes diplômés arrivent sur le marché de l’emploi chaque année et ne trouvent pas de débouchés. Le taux de chômage de 12% de la population active frappe de plein fouet la jeunesse (70%). Cela s’explique par une pyramide des âges où prédominent les moins de 20 ans (taux de natalité à 20%) et sa conséquence logique la pression sur le logement que nous connaissons car étant à moyen terme demandeurs.
Et nous serons 42 millions en 2020 dans une dynamique d’urbanisation accélérée qui atteint 60% du territoire. Il apparaît donc, compte tenu des politiques de logement suivies jusque-là, 2 millions de logements à réaliser par an, c’est vraisemblablement une gageure.
Dos au mur, le gouvernement se contente de gérer une pression sur le logement avec la même démarche qui prévaut depuis des décennies à défaut de proposer une rupture dans l’occupation de l’espace et donc des terres agricoles en grave diminution d’où l’insoutenable facture alimentaire en nette progression.
Malgré une politique volontariste et des investissements massifs, les céréales avec 128,8% (semoule et farine) sont en augmentation continue pour atteindre 278,42 millions de dollars. Quant aux produits laitiers très sensibles, compte tenu de notre modèle de consommation les achats ont également enregistré une hausse de 1,89% et cela représente 111,66 millions de dollars toujours selon le CNIS.
En conséquence, la démarche des gouvernements successifs s’apparente beaucoup plus au souci d’acheter la paix sociale à n’importe quel prix. Si l’on assure que les équilibres macroéconomiques se portent plutôt bien, il n’en demeure pas moins que le recours sans retenue à la rente pétrolière crée une pression accentuée sur la production des hydrocarbures d’où le recours à leur surexploitation, une façon de faire que dénoncent nombre de spécialistes et d’acteurs de la scène politique.
En effet, indexer la paix sociale à la pompe pétrolière comporte des risques que signale déjà un récent rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur les perspectives économiques de l’Algérie jugées modestes par rapport aux attentes en développement économique et sociale et la compétitivité espérée de son outil de production.
Les données économiques pour l’année 2013 incitent à plus de prudence en matières de dépenses et donc de gestion des revenus pétroliers afin de parer à un choc né d’une dépression dans les pays qui sont la locomotive de l’économie mondiale.
Après une période faste, les premiers signes d’un essoufflement de nos exportations de pétrole et de gaz affichent une baisse du volume des ventes tandis que le prix du baril n’est pas épargné par les fluctuations du marché mondial. «Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse», dit un adage.Voici donc planté le décor de la présidentielle de 2014 dans lequel il faudra introduire d’autres pressions encore plus dangereuses relatives aux tensions à nos frontières — toutes nos frontières.
Les dépenses en ressources humaines et matérielles sont énormes et nous entraînent dans un engrenage duquel on n’est pas prêts d’en sortir. Selon certaines sources, depuis mai 2013, 80 points de contrôle ont été installés sur les 956 kilomètres de frontières communes, 20 zones militaires fermées ont été créées et 60 000 hommes déployés depuis mai 2013.
Dès 2011, l’Algérie avait défensivement positionné 7 000 gendarmes, des GGF (gendarmes gardes-frontières), sur la frontière avec la Libye, et 20 000 hommes dans les 4e et 6e Régions militaires (respectivement Ouargla et Tamanrasset).
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, souligne : «Nous partageons près de 7 000 km avec sept Etats dont la plupart connaissent de sérieux problèmes de stabilité interne.
Un conflit armé chez un voisin, comme le cas du Mali ou de la Libye implique une mobilisation coûteuse en hommes et en moyens qui nous mettent dans une sorte de guerre d’usure qui peut affaiblir le pays qui a également d’autres défis socioéconomiques internes à relever».
PRESSIONS AUX FRONTIÈRES, TENSIONS RÉCURRENTES SUR LE FRONT SOCIAL
Les candidats en course, qui s’engagent dans la prochaine élection présidentielle, ont l’obligation majeure de ne pas occulter ces multiples défis en basant leur démarche sur le discours idéologique ou à référence religieuse. Nous ne sommes plus dans l’Algérie des années 1990, et celle d’aujourd’hui veut se projeter dans l’avenir.
Présents à chaque compétition électorale, certains partis donnent la fâcheuse impression d’être dans la même configuration d’il y a quelques années. Leur rhétorique et leur diatribe stérile anti-pouvoir ne projettent pas la société dans une dynamique de rupture par rapport au système à tel enseigne qu’ils détonnent par leur archaïsme.
C’est le cas des islamistes qui ne sont guère trop éloignés des partis conservateurs, à l’image du FLN, du RND ou du Taj de Amar Ghoul. Création artificielle, le MPA de Amara Benyounès est bien plus un parti faire-valoir parce que censé représenter la Kabylie en l’absence du RCD (qui le qualifie de renégat) ou du FFS qui eux peuvent au moins se prévaloir d’un encrage populaire.
Plutôt dans la forme que dans le fond, cette présidentielle peut mettre au-devant de la scène des têtes nouvelles, à l’image de l’économiste Kamel Benkoussa, 41 ans, qui revendique une «alternative radicalement différente du système actuel, un nouveau projet de société à travers une réforme des institutions et une refonte radicale du fonctionnement de l’Etat». Nombre de quadragénaires expatriés lui emboitent le pas.
Il en est ainsi de Rachid Nekkaz qui déclame : «La cible numéro un de ma campagne électorale ce sont les jeunes», dit-il. «L’essentiel de mon programme est axé sur les problèmes de la jeunesse à tous les niveaux, que ce soit l’emploi, l’éducation, le logement, le service militaire ou la santé.» Il ne dit pas avec qui et comment. D’autres personnalités tout aussi inconnues se posent comme candidats déclarés, et parfois leur profil peut sembler insolite.
L’écrivain Yasmina Khadra (Mohamed Moulessehoul, un ancien officier de l’armée à la retraite) est de ceuxlà. Il met dans la balance son prestige d’écrivain. Il ne s’offusque pas pour autant que les gens ne comprennent pas sa décision de se porter candidat, mais il y croit dur comme fer, et dit : «Je suis Algérien, je n’ai qu’une seule patrie et je voudrais y vivre dans les meilleures conditions possibles.» Tout un programme !
Autre candidat inattendu, Chaâbane Boudemagh, ex-officier du DRS. La présidentielle de 2014 portera-telle le sceau d’une diversité de candidatures issues de la communauté émigrée en même temps que d’autres sur le plan interne ? Mais ils devront alors franchir l’obstacle des 75 000 signatures dans au moins 46 wilayas ainsi que leur officialisation par le Conseil constitutionnel.
Pléthore de candidats ou pas, pour Moussa Touati, chaque Algérien a le droit de postuler à la présidence au nom du multipartisme, tandis que Kassa Aïssa, ex-membre du bureau politique du FLN et porte-parole y voit une manifestation d’un «folklore de mauvais goût».
Cette présidentielle introduitelle par ailleurs l’hypothèse d’un changement de génération ? Zoubir Arous se dit «prudent par rapport à une rupture par l’âge, le système a généré justement une relève jeune qui lui assure sa pérennité. Prenez le cas de Sellal, il en est un».
La rupture viendra d’un président «qui rompt avec les anciennes pratiques à tous les niveaux, qu’il soit à l’écoute des préoccupations des citoyens pas uniquement matérielles, qu’il ait un discours qui mette à nue nos faiblesses, un président qu’il ne caresse pas dans le sens du poil».
«GHALBOUNA»
En vieux routier de la politique, le président du FNA, qui concourt pour la troisième fois, voit quant à lui cette élection sous un autre angle, celui du scepticisme : «On n’a jamais eu un président issu du suffrage populaire.» Dans les cercles diplomatiques à Alger, 4 noms reviennent : Ali Benflis, Mouloud Hamrouche, Ahmed Ouyahia et enfin Abdelmalek Sellal.
Pour Rachid Grim, politologue : «Le possible candidat le plus proche de ce profil est sans conteste l’actuel Premier ministre, Abdelmalek Sellal, dont l’activisme délirant depuis sa nomination au poste ne répond qu’à cet unique objectif : se donner une image d’homme d’Etat, sérieux, travailleur, à l’écoute du peuple et… généreux.»
Passé maître dans l’art de sorties médiatiques tapageuses, Moussa Touati n’hésite pas à brocarder certaines officines étrangères sans la «tezkia» (plébiscite) desquelles aucun candidat ne pourra gravir les marches du Palais d’El Mouradia. Il se fait véhément à l’endroit de la France qui, «depuis Ben Bella, a toujours décidé celui qui sera notre président».
Dans le clair obscure et le calme de son siège sise à la rue Tanger, il rappelle l’épisode d’une rivalité entre les Etats-Unis et la France de Chirac lorsque l’Algérie a acheté pour 102 milliards de dollars en bons de Trésor à 2% d’intérêts. Selon lui, c’est Bouteflika qui a fait le voyage à Paris pour remettre 48 milliards de dollars à la France en crise et rentrer ainsi dans ses bonnes faveurs. «Ghalbouna», lâche-t-il dans un souffle et nous dit ne pas croire à un 4e mandat de Bouteflika.
«Tout le tapage fait autour de cette question sert à détourner l’attention des médias et des citoyens pour permettre au groupe d’intérêt de préparer quelqu’un d’autre», affirme-t-il. Le président du FNA en appelle à une 3e République ! Il s’explique : «Nous sommes passés de la légitimité révolutionnaire à la légitimité militaire et administrative ; aujourd’hui, nous allons vers un pourvoir financier où l’enjeu est l’argent sale.»
Il fut pourtant le premier à faire payer ses militants pour les inscrire sur les listes électorales ouvrant la voie à la «ch’kara» pratiquée depuis à grande échelle, plus grave au vu et au su de tous ! Le sociologue Zoubir Arous lui aussi partage cet avis : «Beaucoup veulent prendre une part de l’argent sale qui s’empare des hautes sphères.» Cette dérive a tôt été dénoncée par l’impopulaire Ahmed Ouyahia, encore en poste, parlant des pressions de la maffia financière.
«L’argent maffieux gouverne le pays», disait-il en juin 2012. Et d’ajouter : «Je dérange ceux qui n’apprécient pas que je ne sois pas un homme à compromissions dans ma gestion des affaires publiques.» C’était dans le contexte de la fameuse affaire des transactions obligatoires de plus de 500 000 DA par chèque, une recommandation abandonnée depuis !
FANTASMES…
A défaut d’affûter leurs armes, nombre de prétendants au fauteuil présidentiel nourrissent leurs fantasmes. Kassa Aïssa n’y va pas avec le dos de la cuillère, et va jusqu’à s’insurger sur cette «pléthore» de candidatures qui n’ont pas lieu d’être, selon lui, et cela renseigne sur l’état d’esprit de cadre du plus vieux parti du pays. «Ils sont tous mus par des intérêts immédiats ou se faire un nom.» Pour lui, Ali Bounouari, 62 ans (installé depuis 27 ans en Suisse, et cerise sur le gâteau, il est membre du Parti radical suisse), est de ceux-là.
Comble des candidats, Ali Zeghdoud du Rassemblement algérien qui ne se manifeste qu’à la faveur d’élections. Il y a aussi les partis clés en main, à l’image du Taj, selon notre interlocuteur. Bref, cette présidentielle nous réservera encore bien des surprises. Sur ce chapitre des motivations des uns et des autres, il y a beaucoup à dire. «Surenchère» est sans doute l’appréciation qui revient le plus.
Pour compenser le déficit de légitimité au sein de leur formation politique ou à défaut d’une assise populaire, certains chefs de parti y ont recours. Bien que étant d’un tout autre gabarit, Ahmed Benbitour, 67 ans, plusieurs fois ministre, ancien chef de gouvernement, intrigue par son engagement : il est le premier à se porter candidat.
Ce général sans armée compte pour fait d’arme son désaccord avec Bouteflika dans une lettre de démission rendue publique, alors, chose inhabituelle dans les us et coutumes de politique algérienne. A la recherche de soutiens, il fait cause commune dans l’opposition au président sortant. On ne connaît pas vraiment ses motivations, car il reste très secret sur cette question.
Cela n’est pas le cas pour Soufiane Djilali, également candidat, qui nous confie : «En 1990, j’ai abandonné mon laboratoire de biologie en France pour rentrer au pays. Je voulais faire quelque chose dans mon pays.» Il serait fastidieux de revenir sur le profil de tous les candidats dont le nombre ressemblerait à une liste de signataires d’une pétition !
Il est visible que l’élection prochaine portera la marque de la diversité dans les motivations. Jeunes loups (Jil Jadid), lièvres (Louisa Hanoune, Moussa Touati, Fawzi Rebaïne pour ne citer que ceux-là) ou courtisans zélés (FLN toutes tendances confondues, RND, Taj et bien sûr MPA).
Toutefois, il reste la question de fond : qui émergera dans ce magma ? Quatre tendances se dégageraient : les conservateurs, les démocrates, les islamistes et les indépendants ? Un consensus autour d’un candidat jouissant d’une autorité morale serait la meilleure porte de sortie de crise, dit-on.
Pour Rachid Grim : «Tous ceux – et ils sont nombreux — qui croient que la présidentielle d’avril 2014 sera différente des autres ; qu’elle sera honnête et transparente ; qu’elle mettra en concurrence des candidats de poids appartenant à des courants politiques différents et représentatif du champ social ; tous ceux-là comprendront qu’une fois encore, ils auront été les victimes de leur naïveté politique». A suivre absolument…
B. T.