A la veille de l’élection de l’Assemblée constituante : «Happy birthday Tunisie»…

A la veille de l’élection de l’Assemblée constituante : «Happy birthday Tunisie»…
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«Une seconde indépendance », qui vient après une révolution, inespérée, sur laquelle personne n’aurait osé parier il y a un an, et qui a sonné l’heure de ce qu’on appelle aujourd’hui « le réveil arabe » ou le «printemps arabe».

De nos envoyés spéciaux à Tunis : Fouad Irnatene et Tahar Rouabah

«Happy birthday Tunisie»…C’est avec des couleurs chamarrées que des citoyens tunisiens l’écrivent sur les murs pendant que d’autres, de tous âges et de générations différentes, le scandent à tue-tête et le répètent tel un leitmotiv. Il s’agira, pour le peuple tunisien, d’élire les membres d’une Assemblée nationale constituante qui seront chargés d’élaborer une nouvelle loi fondamentale qui déterminera le cadre général de la vie politique, économique, sociale, culturelle,…du pays au lendemain de la révolution.

Il est 9 heures à Tunis. L’avenue Habib-Bourguiba grouille de monde en cette matinée fraîche. Des drapeaux en rouge et blanc «enveloppent» la capitale. Klaxons et youyous de jeunes filles voulant «faire la fête», fusent de partout. Elections obligent, les écoles sont fermées et les compétitions sportives de la semaine annulées.

LG Algérie

« J’espère qu’un jour enfin deviendra fausse cette formule de Machiavel, encore vraie hélas : « Gouverner, c’est faire croire», témoigne Chahra, charmante étudiante inscrite en 2e année histoire. Les Tunisois, comme l’ensemble des Tunisiens pour ainsi dire, croient à «une nouvelle ère, celle de la démocratie, des libertés et ne se prêteront plus au jeu des marionnettes».

En « prenant note », comme on dit dans le jargon journalistique, des filles et des garçons nous bousculent et nous invitent à clamer la Tunisie nouvelle. « C’est aussi votre Tunisie», nous dit gentiment Leila, elle « qui attend la renaissance de son pays ».

Rendez-vous avec le destin

Quelques minutes plus tard, on rejoigne le boulevard Mohammed-V. Une ambiance bon enfant y règne. Si le langage des uns et des autres diffère, tous s’accordent sur un seul fait : aujourd’hui, le pays a rendez- vous avec son destin. Après avoir mis fin à plus de deux décennies de dictature et d’injustice, le moment est venu à présent pour le peuple tunisien de définir les conditions pour l’instauration définitive d’une société libre et démocratique. De ce fait, les élections d’aujourd’hui ont une valeur de test grandeur nature.

Défilant comme ses pairs, Hosni, enseignant universitaire, croit dur comme fer qu’« il sera question de prouver au monde entier que la preuve est faite qu’un peuple arabo-musulman peut tout à fait vivre et fonctionner démocratiquement. Une démocratie arabe tout à fait semblable à toutes les autres démocraties, et qui ne pourra, comme notre révolution pacifique, que faire tache d’huile».

A quelques heures des élections qui vont couronner le processus démocratique, tous les indices laissent croire que la partie est gagnée, et que la Tunisie s’est vraiment engagée sur la voie de la démocratie républicaine, du pluralisme et des droits de l’homme.

La Tunisie triomphera

Même les petits enfants s’invitent à la partie. «Inchallah N’rabhou», dit d’une voix angélique Salim accompagnant sa maman, dépêchée pour l’Instance supérieure indépendante des élections. Lui emboîtant le pas, Meriem s’étonne des propos de son fils.

«Il s’agit réellement de gagner pour oublier un passé entaché de restrictions de libertés et j’en passe… ». Phrase inachevée, gorge nouée et yeux larmoyants, la maman ne peut en dire plus.

Après avoir été à la découverte decertains endroits de ce beau pays, la Tunisie en l’occurrence, on s’est retrouvé devant les sièges des partis qui ne désemplissent pas. Une fois au siège du parti Ennahda, l’un des grands favoris, un militant qui se réfère à une sentence connue et selon laquelle «le pouvoir absolu corrompt absolument», ne voit pas une troisième solution pour que les Tunisiens puissent aspirer à des lendemains meilleurs. Concis mais précis, il souligne que le pouvoir doit être dilué pour ne pas tomber aux mains d’un seul. « C’est pourquoi je ne crois qu’en la République, qu’à la force des lois républicaines et qu’en l’équilibre des pouvoirs pour empêcher un pouvoir de prendre le pas sur les autres », enchaîne notre interlocuteur. Pour lui, quel que soit le «vainqueur », c’est la « Tunisie qui doit gagner ».

Appelés à voter massivement, les Tunisiens sont-ils vraiment bien outillés pour qu’ils fassent leur choix de manière raisonnable, sans qu’ils soient influencés ? En fait, « les électeurs choisiront à leur aise et c’est une première pour notre pays. On n’a qu’à être fiers», nous répond Sihem D. publiciste spécialisé en droit constitutionnel et en sociologie politique à la Faculté de droit et des sciences économiques.

Les Tunisiens ne peuvent pas rater ce moment historique. Pour être le témoin de ce moment privilégié où un pays, libéré enfin du joug d’une dictature qui l’a tenu en tenailles pendant vingt-trois ans, retrouve sa liberté. «Une seconde indépendance », qui vient après une révolution, inespérée, sur laquelle personne n’aurait osé parier il y a un an, et qui a sonné l’heure de ce qu’on appelle aujourd’hui « le réveil arabe », ou le « printemps arabe ».

F. I.

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Les jeunes, nouveau cheval de bataille des partis

Les partis, quel que soit leur obédience, ont finalement compris qu’il faut établir, voire rétablir le contact avec les jeunes qui sont garants de l’avenir. Aidés par Internet qui est un véritable outil de butinage, cette jeunesse se tourne souvent vers la politique pour des causes ponctuelles. Les formations politiques ont saisi l’écart qui les sépare des jeunes. Il suffit alors de les impliquer dans la vie politique du pays surtout que selon le dernier sondage publié, 77% de nos jeunes n’ont jamais assisté à des meetings politiques. Raison ? Ils ne se sentent pas représentés ou entendus. Mais pourquoi cette désaffection? Faut-il les impliquer et comment? «Nos jeunes ont soif de participation et d’engagement dans la nouvelle vie démocratique en Tunisie.Ils veulent poser les bases d’un vrai changement », a fait savoir D. Harrar, chef d’une entreprise de communication. Ils sont les premiers à aller manifester pour les problèmes liés au chômage, aux réformes après la révolution. Pourtant malgré une relative dépolitisation des jeunes, « on remarque que fleurissent dans le champ politique des branches jeunes des partis politiques tunisiens » explique notre interlocutrice.

F.I.

Khraifi Chérif, représentant administratif du parti communiste des travailleurs tunisiens

«Le peuple qui a déchu Ben Ali ne mérite que du bien»

«La démocratie doit inévitablement être construite au détriment de l’ère Ben Ali. Le peuple par qui la destitution de ce dernier serait aujourd’hui une chimère. Après des décennies de souffrances sans précédent, les Tunisiens ont décidé de renverser le régime en place et ils l’ont fait. Ce qu’on fera pour eux dans l’avenir, ne sera qu’une reconnaissance de leur bravoure et insistance pour le départ du clan de Ben Ali. Demain (aujourd’hui NDLR), sera le jour de la Tunisie, son anniversaire bien entendu ».

F.I.

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Nourredine Behiri, Président du bureau politique d’Ennahda : « Notre parti ne constitue pas une menace pour la Tunisie nouvelle »

Quelques heures nous séparent du rendez-vous historique pour élire une Assemblée constituante en Tunisie. Comment se présente cet événement pour votre parti ?

«On espère qu’elles seront d’abord transparentes et libres et qu’elles permettent au peuple tunisien d’être le maître de la situation. Pour le parti Ennahda, que je représente d’ailleurs, on veut que cet événement, désormais planétaire, se transforme en une fête grandiose. Pour les conquérants, j’espère qu’ils respecteront l’éthi-que de la concurrence. Tout cela a un seul et unique objectif : faire entrer la Tunisie dans l’ère de la démocratie et construire des institutions légales qui préservent le multipartisme. »

Beaucoup d’observateurs et de citoyens vous donnent comme favoris. Comment gérez-vous cette situation ?

« Comme toute formation politique, on compte gagner le maximum de voix. En tous les cas, on ne peut pas parler de prévisions qui ne sont pas notre souci majeur. Durant toute la période de campagne, on a encouragé et mobilisé les gens pour se rendre massivement aux urnes le jour des élections en leur proposant notre programme. On a beau insisté à ce qu’ils votent pour des programmes et pas pour des personnes. »

Pour certains, le parti Ennahda représenterait un danger pour la Tunisie qui se veut plus démocrate. Qu’en pensez-vous ?

« Les craintes sont multiples mais le degré est inférieur pour le parti Ennahda. On ne constitue pas une menace mais chacun est libre de dire ce que bon lui semble. La preuve, nos meetings ont été les plus suivis de tous les partis qui se présenteront demain (aujourd’hui, NDLR). Certes on est un parti à mouvance islamiste, mais la démocratie, les libertés individuelles et collectives seront notre cheval de bataille. Je vous assure que même à 50% de voix en notre faveur, le prochain gouvernement sera composé de responsables des autres partis.

Etes-vous optimiste pour ce grand rendez- vous ?

« Sans optimisme, on ne serait pas là. Il sera surtout question d’éviter à la Tunisie de vivre encore dans le transitoire et le provisoire. L’Assemblée constituante tiendra au maximum une année pour organiser les élections présidentielles. Cette assemblée est importante car elle va nous permettre de mettre fin définitivement à la corruption. C’est une étape préparatoire qui connaîtra l’élaboration de la nouvelle Constitution. Pour les défis majeurs, ils sont trois : sécuritaire, socioéconomique et politique. Aussi, on doit développer nos relations bilatérales avec les pays voisins, notamment l’Algérie.

Entretien réalisé par Fouad I.