À la frontière de l’ouest Algérien: Jeunesse abandonnée en péril

À la frontière de l’ouest Algérien: Jeunesse abandonnée en péril
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Tout le monde est conscient que la contrebande de carburant est un acte illégal qui porte des coups à l’économie nationale. Mais tout le monde pose la même question : que faire pour vivre ?

Akid-Lotfi, Ouled Ziane, Souani, Chebikia, M’ghagha, Sidi-Boujenane et d’autres localités de la commune de Maghnia se meurent dans le silence et l’anonymat. Abandonnés, démunis, leurs habitants n’ont d’autres choix que de verser dans les trafics de cannabis et de carburant. Enfin, jusqu’à ce que les services de sécurité algériens ne se décident à prendre le taureau par les cornes et à durcir la surveillance aux frontières pour stopper cette hémorragie qui a valu à l’économie nationale des pertes sèches considérables (trois milliards de dollars chaque année, selon le ministre de l’Intérieur).

Et depuis que la chute des cours des hydrocarbures s’est mise de la partie, la majorité des jeunes et moins jeunes Tlemcéniens qui vivaient grâce à la contrebande de carburant, les fameux hallabas, se tournent désormais les pouces dans les cafés ou adossés au fragile mur de l’incertitude : “Les jeunes d’ici se meurent. Avant, ils arrivaient quand même à traficoter avec leurs homologues marocains mais là, ils n’ont plus rien et beaucoup risquent de rejoindre le trafic de stupéfiants. Si, seulement, les pouvoirs publics se décidaient à mettre les moyens pour réhabiliter l’agriculture”,  déplore un commerçant de Souani, commune de quelque 10 000 habitants. Le constat est d’autant plus vrai que de très nombreux jeunes originaires des environs de Maghnia se retrouvent au box des accusés des tribunaux criminels pour des faits de trafic de drogue. Et le plus souvent, ils écopent de lourdes peines qui compromettent gravement leur avenir. Ces dernières années, les assises d’Oran ont envoyé en prison des dizaines de jeunes Tlemcéniens, qui, sans instruction et vivant dans des conditions difficiles, se sont révélés être des proies faciles pour les narcotrafiquants.

Temps suspendu

Dans les villages reculés de l’Extrême Ouest algérien, le renforcement de la sécurité a ainsi mis au chômage de nombreux habitants : “Certains se sont convertis dans le transport clandestin, d’autres se sont faits vendeurs de fruits et légumes mais la majorité se retrouve sans activité et beaucoup parlent de s’essayer au trafic de drogue”, confirme le pompiste d’une des stations-services quasi désertes de Maghnia, où seules deux voitures font provision de carburant : “Il fut un temps où c’était beaucoup plus animé”, regrette notre interlocuteur qui, manifestement, préfère l’époque des petits trafics au silence sidéral, lugubre, perceptible dans toute la région. En ce lundi  21 mars, morose et froid, les villages et petites localités de Maghnia sont déserts et il faut se rendre sur les chemins de wilaya pour espérer trouver un semblant d’activité, principalement générée par quelques vendeurs de pommes de terre (cédée à 20 DA le kilogramme) et des commerçants d’articles divers, notamment des produits artisanaux et de vannerie dont la majorité provient du… Maroc.

“Je ne vendrai jamais des produits locaux, jette l’un de ces commerçants. Ils sont de mauvaise qualité et ils ne tiennent pas. Je préfère le produit marocain, c’est assez cher, je le conçois, mais ça vaut la peine. Malheureusement, mes stocks s’épuisent.”

Pour ce commerçant aussi, la situation des jeunes n’est pas enviable : “Depuis le durcissement des mesures de sécurité, ils végètent. Les pouvoirs publics n’offrent rien de concret et les sirènes de la drogue peuvent être irrésistibles”, avertit-il, en pointant l’index en direction de la frontière marocaine, au-delà de laquelle flotte le drapeau rouge du royaume.

Déception et désespoir

À Akid-Lotfi, Ouled Ziane, Souani, Chebikia, M’ghagha, Sidi-Boujenane, Maghnia…, tout le monde est conscient que la contrebande de carburant est un acte illégal qui porte des coups à l’économie nationale. Mais tout le monde pose la même question : que faire pour vivre ? “Il y a bien l’agriculture, qui pourrait générer des postes d’emploi et dynamiser l’économie locale, suggère un commerçant. Mais les autorités ne veulent rien savoir. Le chômage bat son plein et les perspectives sont obstruées. Comment voulez-vous empêcher les jeunes de recourir à n’importe quel expédient pour gagner de l’argent ?” Et comment les convaincre de repousser les offres alléchantes des narcotrafiquants qui proposent parfois des dizaines de millions de centimes pour le convoyage ou le stockage de kif ? “Les jeunes sont abandonnés par ici, ils sont déçus, et le risque est grand de les voir foncer tête baissée dans le trafic de drogue”, s’entendent à avertir les témoins que nous avons interrogés. Peut-être même font-ils eux-mêmes partie d’un de ces multiples réseaux de trafic de drogue qui se lient au quotidien avec le territoire si proche du premier producteur mondial de kif ? Comment savoir ? Lorsque l’être humain est désespéré, rien ne peut l’empêcher de tenter le diable. Et les habitants des régions reculées de l’Ouest algérien semblent si acculés et tellement proches du diable.

S. Ould Ali