Ce samedi est un jour de mobilisation en Algérie. A Paris, les Franco-Algériens, eux, malgré le soutien pour leurs proches restés au pays, confient les tabous auxquels ils sont confrontés.
Partir loin, très loin », des rues pauvres d’Oran. C’est le seul rêve que s’autorisait Bachir Kerroumi dès l’âge de 9 ans. De cette culture de l’exil, il a tiré un livre: Le voile rouge. D’une autre génération, Yasmine, elle, a suivi les conseils insistants de ses parents et a quitté son quartier de Bab el-Oued, « là où la jeunesse est désoeuvrée », pour venir étudier à Paris.
L’un et l’autre ont laissé derrière eux leurs proches, pour « trouver un meilleur ailleurs ». D’autres n’auront pas eu cette chance. Face à la détresse et à la souffrance, des Algériens ont préféré s’immoler.
Une prison à ciel ouvert
Pour protester contre cette misère et la corruption, les jeunes internautes, grâce à Facebook, appellent à une marche sur tout le territoire ce samedi 12 février. « Je soutiens tous les mouvements en faveur de la démocratie et j’en comprends les revendications. Il y a une grave crise sociale et politique », explique Bekkouche Adda qui enseigne les relations euro-méditerranéennes à l’université de Paris I.
De nombreux Franco-Algériens estiment, eux, que les hausses des prix ne sont qu’un prétexte. « On dit que c’est lié à la nourriture, mais c’est faux, c’est la haine des gouvernants », s’exclame Yasmine avec colère. Des dirigeants qui « ont les moyens d’améliorer les conditions de vie de la population, souligne Bekkouche Adda. La réserve monétaire n’est pas bien utilisée et les richesses pétrolières sont mal redistribuées ».
Ce samedi aussi, la nouvelle Coordination nationale pour le changement et la démocratie, regroupant des mouvements de l’opposition tels que le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) et des ONG, appelle également à manifester.
La date n’est pas choisie au hasard et correspond à l’instauration de l’état d’urgence il y a dix-neuf ans. En France, le syndicat Solidaire se mobilise également: « On se bat avec eux pour la levée de l’état d’urgence, dit Stéphane Enjalran, militant de ce syndicat mandaté à l’international. Il était justifié sur un temps court [lors de la guerre civile]. Maintenant, il porte atteinte aux droits fondamentaux ».
« Le budget du ministère de l’Intérieur représente ceux de cinq ministères réunis. De ce fait, chaque personne peut être surveillée par un policier », explique Yasmine. Bachir Kerroumi, lui aussi, ne croit pas à une contagion des manifestations tunisiennes: « Le jour où l’Algérie sera touchée ce sera grave. Les militaires ont beaucoup à perdre. Ils possèdent le pouvoir et l’économie. C’est le président Bouteflika qui demandera à ne pas tirer sur la foule ».
Les mobilisations de la jeunesse sont spontanées et ne feront pas avancer les choses
Cette terreur, suscitée par les forces armées héritières de la guerre d’Algérie et le spectre d’un retour de la violence de la décennie noire, hante encore les plus âgés et l’emporte sur les revendications. Pourtant, Bachir Kerroumi, président du mouvement pour une citoyenneté active, en a la certitude, « à force d’être brimés, les Algériens vont exploser ».
La jeunesse sans avenir perd patience: « J’ai ma famille à Oran, reprend Bachir Kerroumi. Il y a 6 mois, des jeunes désoeuvrés ont provoqué une émeute, se rappelle-t-il. Les militaires ont déployé la force et même des adolescents de 14 à 18 ans ont été mitraillés ».
Jusqu’à présent, les soulèvements de ce genre ont tous échoués. « Ce sont des mouvements solitaires et il n’y a pas d’unité entre les partis de l’opposition. Les mobilisations de la jeunesse sont spontanées et ne feront pas avancer les choses », explique Bekkouche Adda. Depuis début janvier, les manifestations ont redoublé d’intensité.
Par crainte de sembler souffler sur les braises, peu de manifestations sont organisées en France: « On a un devoir de réserve et l’affaire concerne d’abord les Algériens vivant au pays », confie Abdel Kader, demandeur d’emploi. Un rassemblement de soutien se tiendra toutefois à Paris, sur la place de la République, samedi 12 février à 14h.
La position ambiguë de la France
« Les évènements en Algérie sont des sujets tabous ici, explique Bachir Kerroumi. C’est lié à au passé colonial de la France. Les autorités françaises et les médias ne savent pas comment se positionner, ils prendront le train marche ». Pour Yasmine, « les dirigeants français sont complices du pouvoir algérien. Ils sont liés entre eux par des contrats de vente des hydrocarbures ». De son côté, Stéphane Enjalran tient à préciser que pour les dirigeants français, « Bouteflika maintient l’ordre et il est un rempart contre l’islamisme ».
Certaines associations en France affichent une proximité avec le gouvernement algérien. Reda Maadi, membre du RND (Rassemblement National Démocratique, l’un des partis au pouvoir à Alger) et vice-président de l’Union de la communauté algérienne à Paris, ne s’en cache pas: « C’est quoi une dictature? Ce n’est pas Bouteflika. En Algérie, vous pouvez vivre dignement. On peut critiquer le pays mais pas à l’intérieur de nos locaux qui sont mis à notre disposition par l’ambassade ».
Face à ses positions ambiguës, « les Algériens vivant en France n’ont aucune confiance dans les associations et les syndicats, qui sont corrompus et infiltrés », affirme Yasmine. Pour sa part, elle préfère les rencontres informelles lors de concerts, celui de El Gafla, par exemple. La musique tient une place importante dans la contestation tout comme les réseaux sociaux, Facebook en tête.