A El Alia, sa tombe est fermée aux visiteurs : «On nous confisque Boudiaf même après sa mort»

A El Alia, sa tombe est fermée aux visiteurs : «On nous confisque Boudiaf même après sa mort»
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Les balles ont pris quelques secondes pour l’atteindre. Et un soupir ne s’évade guère qu’après un bref instant. Tout aura été bref pour Mohamed Boudiaf, président assassiné samedi 29 juin 1992. Sa mission à la tête du Haut comité d’Etat, sa mort et aujourd’hui sa commémoration à El Alia. Il est vrai que la pudeur, après 19 ans, impose la sobriété mais n’empêche pas l’épanchement. Ni l’émotion. Palpable parmi les proches qui s’attendaient à voir foule, le cérémonial aura été de courte durée. Notre reporter est était au cimetière dEl Alia. Reportage.

On a ouvert les portes qui mènent à la tombe de Boudiaf puis on les a aussitôt refermées. Cee mercredi 29 juin, la cérémonie de recueillement devait débuter à 9 h 00. Des invitations avaient été diffusées via les réseaux sociaux. Ce 29 juin 2011, on appelait à se souvenir, à commémorer, à s’arrêter sur la vie et sur la mort de celui qui rejoignit le pays au moment le plus trouble.

Le cadenas

La Fondation des Moudjahidines ont fixé une autre date de recueillement : le vendredi 1 juillet. Pourquoi ? « Une commémoration ne se célèbre-t-elle pas le jour même », interroge un proche ami de Nacer Boudiaf, le fils du président.

L’assemblée présente aujourd’hui sent souffler le vent de la discorde et l’amertume refait surface. Les agents de sécurité du cimetière El Alia, là où reposent les héros de l’Algérie, ouvrent le portail qui mène aux tombes. Celle de Mohamed Boudiaf est la première dans ce carré de martyrs, à l’ombre d’une allée de casuarinas.

Une couronne de fleurs est déposée contre la stèle. On procède à la lecture de la « Fatiha ». Le temps est chargé d’humidité. Une chape de brouillard s’est déposée sur la ville d’Alger. Et le cimetière qui n’a que des vergers à enjamber pour toucher la mer n’est pas épargné par le voile brumeux. Le ciel et blanc et les contrastes peu nuancés.

Les acacias qui bordent la route principale apportent leur soutien de fraicheur et d’ombre. Le temps de floraison est passé, seules les branches aux feuilles rondes et légères rythment le vent. La porte grillagée qui mène à la tombe se referme.

Les agents de sécurité ne la laisseront pas ouverte. La famille s’est retirée et discutent à l’ombre des arbres. Et pour s’assurer que la porte ne s’ouvrira pas, un autre agent récupère la chaine métallique qui cliquette contre le portail. Le cadenas est verrouillé. Les proches ont déjà tourné le dos comme habitué d’avoir été confisqué du défunt.

Des roses pour annoncer le printemps

Un anonyme, les cheveux grisonnants, une sacoche en bandoulière, se fraie un chemin derrière les mélias. Il longe la clôture et cherche l’ouverture. Le portail est fermé. Il voit la tombe de Boudiaf, la couronne de fleurs. Il a à sa main cinq roses rouges. Il est venu se recueillir, seul. Il est 10 h30 et n’a pas entendu parler de l’appel sur les réseaux sociaux. Il cherche un moyen de déposer les roses et m’en offre une.

Comme pour partager sa frustration de ne pouvoir accéder à la tombe. « Ils auraient pu laisser le portail ouvert et s’ils craignent quoi que ce soit, ils auraient pu planter des agents pour la journée. Au moins pour la journée. On nous a confisqué Boudiaf après la révolution, et ensuite après son retour. On nous le confisque même après sa mort ».

Mais peut-être pas tout à fait. Puisque l’espoir insufflé par Tayeb El Watani a persisté au temps. Mieux, cet espoir se nourrit d’année en année. On décide de balancer les roses (qu’il a cueillit de son jardin) à travers la barrière en montant sur le petit muret. Elles tomberont pas loin de la tombe, étrangement alignées.

L’anonyme ne s’attarde pas davantage. Il partira en regardant les acacias. « Vivement le printemps », dit-il en se retournant. Arabe, inévitablement.