Dans le café en face du rond-point à l’entrée de la petite bourgade, Imad Abidi, le gérant devenu jeune politicien déçu continue de faire ce qu’il peut pour aider : « Si je ferme boutique, chaque jour ressemblerait à un vendredi ici ».
Ici, c’est Chaabet Ouled Chelih à Batna. Comme toutes les communes d’Algérie, « Chaaba » s’apprête à organiser les élections locales le 23 novembre prochain. Les élus actuels ne sont pas là pour en parler, mais à l’entrée de l’annexe locale de l’APC, les panneaux d’affichage électoral sont déjà accrochés et prêts à recevoir les posters le 29 octobre, date du début de la campagne.


M. Abidi, 27 ans et titulaire d’un master en marketing, ne verra pas sa photo accrochée. Attablé, il jette un coup d’œil sur les quelques clients présents dans son commerce et raconte. Il affirme avoir fait partie de la liste du FLN approuvée par le parti…jusqu’à ce qu’elle change au dernier moment.
« Nous n’avons rien compris », affirme-t-il.
Pour arriver ici, il faut faire 18 km depuis Batna. Dès la sortie ouest de la ville, des centaines et des centaines de nouveaux immeubles dévorent peu à peu ce qu’étaient autrefois de vastes pâturages au pied du massif de Belezma. Les montagnes semblent rejeter comme une mauvaise greffe la « nouvelle ville » de Hamla, une des nombreuses khrouchtchevkas du pays. Les dizaines de milliers d’habitants, eux, y résident faute de choix. En cet octobre 2017 les travaux de construction au bout de la cité Hamla 3 ont presque atteint Djebel Bou Kezzez qui cache de l’autre côté Chaabet Ouled Chelih.

On n’est pas vendredi, le jour où la vie ralentit dans la ville, mais c’est tout comme. Chaaba, le village assis sur une dépression entre les montagnes, séduit le visiteur avec son calme assourdissant, ses petites maisons rurales et les vergers qui les entourent.
Mais le fantasme du citadin d’une vie paisible loin du cauchemar urbain, pourtant juste derrière les montagnes, est vite balayé quand on parle aux habitants. Leur parler des élections locales suscite des reproches aux élus actuels et des revendications. Qu’est-ce qui manque ici ? « Qu’est ce qui ne manque pas ? », répondent-ils.

La localité, qui compte près de 1500 habitants selon des chiffres de 2008, a vu naître des héros de la région comme le chahid Touhami Benflis, père d’Ali Benflis, ou le moudjahid Mohamed Abidi, dit Hadj Lakhdar et parent d’Imad. Le CHU de Batna porte le nom du premier, la plus grande université de la ville celui du deuxième, mais « Chaaba » ne connait ni clinique, ni CEM, ni lycée. Il y a juste une école primaire et un dispensaire où ne vient le médecin qu’un jour par semaine.
Des buses d’assainissement posées depuis dix ans sans que le projet ne décolle. Un seul câble suspendu au-dessus de la route principale relie la localité au réseau téléphonique, dès qu’un camion hors gabarit le coupe, il n’y a plus d’internet à Chaaba pendant des jours et des jours. Une maison de jeunes fermée depuis des années. Pas de cash à la poste. Des coupures fréquentes d’électricité. 40 élèves par classe. La liste est longue.

Même les services qui relèvent du privé manquent. La pharmacie du village a ouvert cet été. Avant, il fallait acheter les médicaments à Batna. Il n’y a pas de boucherie, pas de boulangerie, pas de marché, pas de marchands de journaux, le transport est rare.
« Je dois faire mes courses dans la ville. Ce n’est pas évident car je travaille ici toute la semaine », affirme Fatima, une enseignante à l’école de Chaaba.
« Il y a deux bus par jour vers Batna, c’est tout. Si tu n’as pas de voiture et tu tardes dans la ville le soir, tu dois faire du stop », affirme Amine, 24 ans.
Ce plombier de formation et co-fondateur de l’association locale « Bab Errahma » pointe une anomalie. Chaaba donne son nom à la commune dont elle dépend mais dont elle n’est pas le chef-lieu. Ce dernier, Lambiridi, est situé à 7 km.
« Il faut voir ce que sont devenus Lambiridi et Condorcet (Hamla, ndlr) alors que rien n’a changé à Chaaba depuis 15 ans », affirme-t-il.
Pour Imad Abidi, ces 15 ans correspondent à la gestion des élus actuels du FLN. Ces derniers ont remplacé, selon lui, la liste dont il faisait partie. Il affirme qu’ils utilisent tous les moyens pour ne pas être remplacés afin d’éviter que « leurs magouilles n’éclatent au grand jour ».
La corruption étant devenue presque banale, M. Abidi raconte sur un ton anecdotique qu’un ancien élu a payé 10 milliards de centimes pour se présenter sur la liste du FLN.
Amine, lui, indique que les membres de son association font souvent le travail que l’APC est censée accomplir. Il affirme avoir réparé gracieusement la conduite qui relie la fontaine de la mosquée, indispensable aux habitants lors des coupures d’eau.
« Bab Errahma » mène aussi des campagnes de nettoyage et distribue aux nécessiteux des moutons pour l’aïd et des couffins de denrées alimentaires durant le ramadan. Tout cela, grâce aux cotisations et aux dons, mais l’association active avec un agrément expiré car l’APC rend difficile son renouvellement.
« A chaque fois qu’on veut déposer le dossier qu’ils ont demandé, on nous sort un nouveau document à ramener », explique Amine.

Le FLN, le RND, El Mostakbal, Talaie El Houriat et une liste de candidats libres mèneront la campagne électorale pour tenter de décrocher les sièges de l’APC. Y aura-t-il des meetings ? Des débats et des échanges sur les problèmes de la localité? Pas si sûr.
« La dernière fois (législatives de mai 2017, ndlr), ils ont ramené Rahaba et ont invité les gens à danser. A la fin, ils leur ont dit : « n’oubliez pas de voter pour nous ». Ils nous prennent pour des cons », assène Amine.
Mais pour lui, les habitants voteront quand-même : « Les gens ici sont niya (crédules) ».
Si beaucoup confient effectivement qu’ils vont voter, d’autres habitants ont un avis différent. L’enseignante raconte que lors des dernières législatives, elle est partie au bureau de vote vers 18h avec sa sœur pour trouver qu’on avait déjà signé à leur place : « Nous avons fait un tapage, nous nous sommes disputées avec le personnel ».
« J’avais toujours voté avant cette date. Je ne voterai plus jamais », déclare-t-elle.
Hocine, la soixantaine bien entamée, indique qu’il ne votera pas non plus. « Ils feront ce qu’ils veulent de toute façon », affirme-t-il devant l’annexe de l’APC en montrant du doigt l’immeuble.
Au café, Imad Abidi, pense que cette liste du FLN ne passera pas cette fois. « Les habitants en ont marre d’eux, karhouhoum ! », selon lui, « une autre liste va gagner cette fois ».
« Le RND donc ? », demande Amine. « Ki sidi ki lalla (c’est du pareil au même) », ironise le patron, « non, je pense que ça sera un autre parti ».
Et de regretter une dernière fois de ne pas pouvoir travailler pour son village : « Nous avions un vrai programme. Le dernier sur notre liste détient un master, certains sur la leur possèdent un niveau de 8e année ».