C’est ce que l’on appelle « un quartier nouveau » : des immeubles de brique habités avant d’être achevés ; des rues que l’on a oublié de goudronner. Bienvenue à Boussareh 1, la « Chinatown » d’Alger.
L’appellation est un peu usurpée. Ici, à une demi-heure du centre-ville de la capitale, pas de corniches en bois multicolore, de cuisine chinoise au menu des gargotes ou de lampions. Seuls quelques idéogrammes accrochés aux pylônes évoquent une présence chinoise. Elle est pourtant bien réelle. Les dizaines d’échoppes du quartier sont presque toutes entre les mains, depuis cinq ans, de commerçants originaires du sud de la Chine.
Largement ouvertes sur la rue, elles n’ont rien de luxueux et les magasins, tous identiques, tiennent davantage de l’entrepôt que de la boutique de luxe. Des chemisiers, des pantalons et des sacs à main « made in China » pendent aux murs. Chaussures et couvertures s’empilent sur les côtés.
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Au fond, s’entassent des ballots de textile. Tout est à vendre, en gros ou au détail. Les prix ne sont pas affichés, mais ils sont bas. « On vient de loin, d’Oran, de Constantine, de Ghardaïa (une ville du sud) « , assure Djamel, un jeune qui, à l’occasion, donne un coup de main aux Chinois. Les commerçants, hommes ou femmes, souvent jeunes, ne parlent ni le français ni l’arabe dialectal. Lorsqu’un client pénètre dans le magasin, la conversation se résume à peu de chose. L’un désigne le produit qui l’intéresse ; l’autre annonce le prix. Eventuellement, le dialogue se poursuit par le biais d’une calculatrice. Le paiement se fait en liquide. Sans facture.
« Français cassé »
Lorsqu’il est question d’achat en gros, un interprète intervient qui connaît le « français cassé », qui ne se parle qu’à Boussareh 1. C’est une langue approximative et malléable. Quelques minutes suffisent pour la maîtriser.
Son vocabulaire se limite à une poignée de mots et elle ignore la grammaire. En français cassé, « Où habites-tu ? » se dira « Toi la maison où ? » ; on ne dira pas « Je ne connais pas », mais « Pas connais « …
La pauvreté de cet espéranto parlé par une poignée de Chinois et d’Algériens ne facilite pas les échanges. Les deux communautés s’ignorent, même si des idylles se sont nouées à l’occasion à Boussareh 1.
Lorsqu’ils parlent des Algériens, les Chinois évoquent leur lenteur. « Ils font tout très doucement », dit Mme Liu, une quinquagénaire installée à Alger depuis quatre ans pour suivre son fils étudiant de français à l’université. « Je ne comprends pas que les femmes comme moi ne puissent pas entrer dans les mosquées », ajoute-t-elle.
Les Algériens sont autrement plus sévères. Les Chinois ? « Ils mangent les chiens. Ils sont H24 (traduire toute la journée) devant Internet à regarder la télé de leur pays où à jouer. Ils passent toute la semaine au magasin, mais quand un fonctionnaire des finances débarque dans le quartier, ils baissent le rideau pour ne pas payer de taxes », résume Frial, une jeune algérienne, artiste du français cassé et petite main d’un commerçant.
A l’écouter, les Chinois sont de plus en plus nombreux dans le quartier. « Lorsqu’ils reviennent de vacances, c’est avec des oncles, des tantes, des cousins », affirme-t-elle.
Les statistiques ne disent pas si la communauté chinoise de Boussareh 1 augmente. Plus de 30 000 Chinois sont installés en Algérie, contre moins d’un millier il y a dix ans. Ils forment plus de la moitié de la communauté étrangère de l’ancienne colonie française.
« C’est avant le résultat de l’implantation de nos entreprises, fait valoir l’ambassadeur de Chine en Algérie, Yuhe Liu. Actuellement, 10 000 de mes compatriotes travaillent à la construction d’une autoroute. Le chantier terminé, ils retourneront dans leur pays. »
Probablement pas tous. Certains resteront en Algérie. Et, parmi eux, quelques-uns viendront s’installer à Boussareh 1.
Jean-Pierre Tuquoi LeMonde.fr