Les citoyens tunisiens ont participé en masse, hier, à l’élection des membres de l’Assemblée constituante. Un événement historique pour un pays qui a subi 55 années de dictature.
Les Tunisiens ont voté, hier, pour élire la première Assemblée constituante du pays. Un scrutin libre et démocratique qui se déroule neuf mois et neuf jours après la fuite du président déchu, Zine El Abidine Ben Ali. Dès l’aube, une véritable déferlante humaine a pris d’assaut les bureaux de vote. «De nombreux citoyens étaient devant les centres électoraux dès 6 heures du matin.
De mémoire de Tunisiens, nous n’avons jamais vu une telle affluence un jour de scrutin», assure Hanène Zbiss, journaliste et observatrice électorale pour le compte de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Selon elle, l’engouement pour ce vote a provoqué, dans de nombreux centres, une forme de désorganisation. «Il semble que les autorités n’avaient pas prévu un tel afflux. De nombreux électeurs n’ont pas trouvé leurs noms sur les listes. D’autres, n’ayant pas jugé utile de s’inscrire dans les délais impartis par la loi, ont finalement décidé d’accomplir leur devoir électoral. Face à eux, les fonctionnaires ont mis du temps à trouver des solutions pour pallier la désorganisation.» Outre le test de la participation — qui devrait dépasser la barre des 70% — les autorités tunisiennes ont également réussi à passer celui de la sécurité du scrutin. Au total, 22 000 policiers et 20 000 militaires ont été chargés de surveiller les centres de vote et les sites sensibles. «Les forces de l’ordre sont visibles partout. Sur le plan de la sécurité, la situation est totalement maîtrisée», assure Hanène Zbiss. Restent, toutefois, quelques «irrégularités» constatées dans quelques circonscriptions électorales. «Des individus ont été vus en train de distribuer de l’argent devant les bureaux de vote afin d’influencer les électeurs à choisir une liste. Par ailleurs, des militants ont continué à coller des affiches électorales alors que cela est totalement interdit par la loi», précise Hanène Zbiss.
Jeux d’alliances
Au-delà des considérations d’ordre pratique, cette élection est, au même titre que la Révolution du Jasmin, un véritable tournant dans l’histoire de la Tunisien contemporaine. Pour les quatre-vingts partis politiques en lice, il s’agira de décrocher la majorité d’une Assemblée constituante composée de 217 sièges. Mais pour atteindre cet objectif, les formations devront former des alliances. Ces derniers mois, deux grandes tendances se sont profilées. La première, moderno-progressiste, est conduite par le Parti des travailleurs tunisiens (PTT), le Parti démocrate progressiste (PDP), le Pôle démocratique moderniste (PDM) et la formation Afek Tounès. Elle est ouvertement opposée à la tendance islamiste-conservatrice représentée par le parti Ennahda. Ce dernier s’appuie sur de petites formations politiques et, également, sur une nuée de listes indépendantes présentes. Une stratégie qui devrait assurer aux islamistes la majorité au sein de l’Assemblée.
T. H.
Rached Ghannouchi hué
Le chef du grand parti islamiste Ennahda, favori des élections, a été hué par la foule à la sortie du bureau de vote dans le quartier résidentiel d’El Menzah, où il s’est rendu hier en famille. Rached Ghannouchi a été accueilli par des quolibets par une foule furieuse de votants criant pour les uns «Dégage!», les autres «Salaud» et «Assassin», alors que son service d’ordre l’accompagnait vers sa voiture. A l’ouverture de ce bureau, l’ambiance était électrique et joyeuse. Rached Ghannouchi avait été rappelé à l’ordre, alors qu’il se dirigeait vers la porte du bureau.
«La queue ! La queue ! La démocratie commence par là !», avait crié la foule. Le leader d’Ennahda, souriant, avait alors pris sa place dans la file d’attente, à plus d’un kilomètre de l’entrée du bureau de vote. «Cette affluence démontre la soif du peuple pour la démocratie», avait-il déclaré, assailli par des dizaines de journalistes. Les Tunisiens ont commencé à voter hier pour élire une Assemblée constituante, premier scrutin libre de leur histoire dont les islamistes sont donnés grands favoris, neuf mois après la révolution qui a chassé Ben Ali et donné le coup d’envoi du printemps arabe. Le quartier résidentiel et bourgeois d’El Menzah n’est pas connu pour être un fief d’Ennahda, dont les grands bastions se trouvent dans les banlieues populaires du sud et de l’ouest de Tunis.
Déclarations des chefs de partis et responsables tunisiens
Le président intérimaire Foued Mebazaa, qui a annoncé son retrait de la vie politique après l’installation d’un nouvel exécutif, a voté à Carthage, près de Tunis. «Je ressens beaucoup de fierté. Le peuple tunisien qui a réalisé beaucoup de miracles tout au long de son histoire, va construire une vraie démocratie. »
Le Premier ministre de transition Béji Caïd Essebsi a voté à La Soukra, dans le nord de Tunis. «C’est un jour historique sans pareil. En ce jour, le peuple tunisien exerce sa souveraineté (…) je ne suis qu’un citoyen comme les autres, parmi les autres. Je suis désormais ex-Premier ministre !», dit M. Caïd Essebsi, dont le gouvernement gère le pays depuis huit mois et passera la main à une nouvelle équipe formée par un exécutif désigné par l’Assemblée constituante. Pour qui avez-vous voté, lui demandent les journalistes. «J’ai donné ma voix au peuple tunisien», répondi.
Le fondateur du Parti démocrate progressiste (PDP) Ahmed Néjib Chebbi a voté à La Marsa, banlieue nord résidentielle de Tunis. «C’est une journée exceptionnelle. Je n’ai jamais vu ça. Les files d’attente sont extrêmement longues. C’est la victoire de la Tunisie. On verra qui l’emportera, mais c’est secondaire par rapport à l’importance de cette mobilisation. C’est un bel exemple pour tout le monde arabe.»
Maya Jribi, secrétaire générale du PDP et seule femme à diriger un grand parti, a voté à Ben Arous (banlieue sud de Tunis): «J’ai un sentiment de grande fierté et de dignité. Nous tournons la page de la tyrannie pour entrer dans une nouvelle ère où les citoyens choisissent leurs représentants en toute liberté, sans peur, sans influence et sans clientélisme.»
Le fondateur du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, a accompli son devoir électoral dans le quartier résidentiel d’El Menzah. Arrivé en famille, il a commencé à se diriger vers l’entrée du bureau, avant d’être rappelé à l’ordre par la foule : «La queue ! La queue ! La démocratie commence par là !». Souriant, il a alors pris sa place dans la file d’attente, à plus d’un kilomètre de l’entrée du bureau de vote. «Cette affluence démontre la soif du peuple pour la démocratie », a-t-il déclaré, assailli par des dizaines de journalistes. Il a été hué à sa sortie, plusieurs personnes criant : «Dégage ! Dégage !, «Terroriste !» ou encore «Assassin !»
Abdelfattah Mourou, co-fondateur d’Ennahda qui se présente sur une liste indépendante, a voté à La Marsa. «Ça va très très bien, je suis très fier et très content. La Tunisie renaît pour la première fois depuis l’indépendance. C’est un jour de fierté pour tous les Tunisiens. L’affluence prouve que les Tunisiens ont compris qu’ils sont responsables et que le choix ne s’effectue que par les urnes.»
Yadh Ben Achour, qui a présidé la haute instance chargée de piloter les réformes politiques pendant la période de transition en Tunisie, a voté à La Marsa. «Mes impressions sont très positives et excellentes. Dès le début de l’ouverture des bureaux et même avant, le nombre de votants était impressionnant. Ça dépasse ce que nous attendions. Les Tunisiens sont conscients que ça représente pour eux une page nouvelle de leur histoire. C’est très émouvant.»