Il y a des conflits que même le temps ne parvient pas à trancher. C’est le cas au FLN où le prochain congrès se tiendra sous le signe de la fracture entre pro et adversaires de la direction actuelle. Enquête.
Le FLN prépare activement et en rangs dispersés son 9e congrès dans un contexte de tension. Tension en son sein, entretenue depuis le 8e congrès-bis censé être celui du rassemblement de “toute la famille” et qui a vite débordé vers la purge pure et simple.
La nouvelle direction à plusieurs têtes issue du congrès n’a pas réussi à effacer “le regrettable intermède” de 2004. Bien au contraire ! Bon nombre de militants et de députés font remarquer : “Où est le FLN, première formation politique du pays ? C’est devenu un simple comité de soutien au programme du président.”
Cette tension s’est exacerbée davantage avec le scrutin pour le renouvellement de la moitié des sièges du Conseil de la nation. Dans plusieurs wilayas, le parti a présenté des candidats officiels et des candidats de “taghenant” pour avoir été exclus. Et dans la majorité des cas, il a essuyé un échec. Le linge sale de la dissension est étalé au grand jour.
Les dissidents qui activent sous l’étiquette de “cellule de suivi” accusent la direction du parti de favoriser une gestion au “mercato” en faisant appel à des candidats extra-FLN pour élaborer ses listes.
De son côté, la direction qui a repris en main les structures locales a imposé des coordinateurs pour isoler ceux qui ont soutenu et continuent de soutenir Ali Benflis, les accusant de désobéissance à la ligne du parti.
Au bout d’un mandat, le fossé s’est creusé davantage, les deux parties se situant de chaque bord de la faille, une grande partie des kasmates fermées, des sit-in réguliers sont organisés au niveau des mouhafadates ou du siège central à Alger.
Le parapluie présidentiel
La direction brandira souvent “le parapluie” présidentiel pour parer à toute action de déstabilisation. “Est-ce être anti-Bouteflika lorsqu’on demande le retour aux statuts et du règlement intérieur du parti ?” clame Abbas Mekhalif, tête de file de la cellule de suivi.
Celui-ci énumère toutes les infractions aux statuts, règlement intérieur et directives de Belkhadem. “Ils n’appliquent même pas les directives du SG qui les a désignés à la tête des mouhafadates”, dit-il en s’interrogeant sur le sort de la dernière concernant l’élection des délégués au congrès.
Le représentant d’Illizi, ancien député, abonde dans le même sens, mais avec un accent sur les sénatoriales dont la liste dans sa wilaya a vu le parachutage de deux transfuges d’un autre parti pour prendre la tête de liste.
Celui de Souk Ahras est dans la même position. Il a fustigé les responsables locaux désignés (qui ne sont pas élus), la gestion de la mouhafada et le silence de la direction du parti qui est restée insensible aux sollicitations de la base. Cette organisation parallèle regroupant les déçus qui font tout, selon eux, pour rendre le parti à ses militants.
Toutefois, reconnaît Mekhalif, une seule rencontre, il y a plus d’une année, a réuni des membres de la cellule avec Belkhadem.
À l’approche du 9e congrès dont la cellule a demandé le report, les décombres du parti ont nourri de nouveaux appétits. Tout en refusant les doléances de la cellule de suivi, la direction du parti a non seulement maintenu la tenue du congrès, mais entamé les procédures, la dernière étape a été la réunion du conseil la semaine dernière pour l’adoption des projets de résolutions.
Et la cellule de monter au créneau pour dénoncer un hold-up de la démocratie. Selon de nombreux membres de la cellule, il n’y a pas d’assemblées générales au niveau local. Les P.-V. ont été “fabriqués” par les coordinateurs qui ont fait appel à leurs proches et amis. “Aucun militant authentique n’a assisté à ces assemblées générales qui n’ont en vérité pas eu lieu”, disent-ils. Ce qui n’a pas été l’avis de la commission de préparation et du conseil national qui a eu à en débattre et à les adopter.
Les changements apportés, le retour au comité central, bureau politique… sont salués, mais les opposants réclament plus de transparence en soumettant tous les postes de responsabilité au verdict de l’urne.
Belkhadem a considéré que le congrès est une étape cruciale pour donner une autre dimension au FLN qui, malgré les turbulences, a réussi à garder ses majorités dans les instances élues. Avis que partage le conseil national, même s’il a eu à écouter les vives critiques de Belkhadem sur l’indiscipline des militants dont la conséquence a été la perte de quatre sièges au Conseil de la nation, reconnaissant par ailleurs l’intrusion de l’argent dans la maison. Les autres évoquent un pourrissement et une privatisation déguisée du parti.
Les membres de la direction reconnaissent, pour leur part, des lacunes et certaines défaillances que le congrès et la promesse de Belkhadem de sévir vont rectifier. Se place-t-il ainsi dans la position de sa propre succession alors que la question du SG n’est jamais évoquée ? Celui-ci sera désigné par les membres du futur comité central, selon un projet de résolution.
À la place, la rumeur a comblé le vide en donnant comme candidats au poste, Belkhadem, Benflis, Benhamouda et en prêtant des intentions à l’actuel ministre des Transports, Amar Tou. Reste la menace des membres de la cellule d’organiser un congrès parallèle si la direction du parti continue dans sa politique de fuite en avant. “Pour nous, il ne s’agit pas d’être ou de ne pas être présents au congrès, nous voulons que de véritables délégués, élus par la base, soient présents”, ajoute M. Mekhalif qui qualifie la procédure suivie d’une véritable “opération de mercato”.
Opération mercato
Au siège du parti, il n’y a pas foule. Elle est dans la rue, devant l’entrée. Dernier groupe en date, des militants venus d’El Oued contester le coordinateur désigné qui les a exclus et mené le parti à l’échec. Un chapelet de reproches est résumé dans une déclaration remise aux membres de la direction alors que Belkhadem a choisi de s’éclipser.
Des banderoles sont accrochées à l’entrée du palais du FLN et une délégation est appelée à rencontrer des membres du comité exécutif. Avec des sourires froids, des cadres quittent le bâtiment devant ce groupe composé de jeunes et de vieux militants décidés à “reprendre leurs droits”. “S’ils ne veulent pas nous recevoir, nous reviendrons la semaine prochaine”, déclare leur chef de file.
À l’intérieur, il règne une atmosphère de sérénité feinte. Mais, avec sa disposition, Saïd Bouhedja, chargé de la communication, arrive à créer une autre ambiance. Fax et téléphone constamment actifs, il répond à toutes les questions, reconnaît quelques ratages et échecs, mais il reste optimiste quant à l’issue du congrès et à l’avenir du parti qui connaîtra, selon lui, un nouveau départ. L’optique est pour la reconstruction du parti.
Il a relevé qu’il y a eu manquement depuis le congrès “rassembleur” (8e-bis) qui s’est déroulé dans un contexte de désordre. “Des coordinateurs n’ont pas appliqué les directives, mais il est difficile de tous les contrôler”, a-t-il indiqué. Toutefois, a-t-il précisé, ce phénomène n’est pas relevé dans toutes les wilayas.
Et la formule proposée pour l’élection des délégués ne semble pas trop plaire à certains qui se voient déjà exclus par le procédé. En plus des coordinateurs désignés d’en haut, le mode électoral choisi peut ne pas refléter la véritable base du parti. Des représentants de M’sila font remarquer à haute voix cette anomalie. Dans certains cas, l’application des principes démocratiques risque de mettre à l’écart de bons cadres. Solution : gestion des sensibilités et des équilibres tribaux. Dans ces cas, la direction aurait pu imposer d’autres choix. Elle ne l’a pas fait, avoue M. Bouhedja.
Les échos de la base annoncent un horizon incertain. Partout, la protestation a gagné du terrain. On ne veut plus de ces coordinateurs imposés. D’ailleurs, on est allé jusqu’à les chasser de force. Jeudi dernier, le coordinateur de Blida a été débarqué. Belkhadem a réagi en demandant d’éviter le désordre.
Malgré la sincérité qu’on lui reconnaît, il semble que Belkhadem ne dispose plus de pouvoir pour s’imposer et imposer ses décisions.
L’option pour une direction collégiale de transition n’a fait que diluer les responsabilités. D’où certainement la décision de revenir aux anciennes instances du parti, mais avec cette fois un chèque en blanc pour le SG qui restera intouchable et libre de prendre des décisions sans consultation durant ses cinq ans de mandat.
Dans ce climat de dissension, de suspicion et de divergences, le congrès risque d’être fatal pour le FLN.
“Dégradation, pourrissement, désordre, perturbation, ‘chekara’, privatisation, absence de démocratie… ”, sombre terminologie par laquelle est qualifié l’état du parti qui survit, selon les opposants à la ligne actuelle, grâce au “burnous de Bouteflika”.
Tout le reste n’est que bricolage et tentative, selon eux, de sauver la face.
Même la proposition des députés FLN d’une loi sur la colonisation ne semble pas avoir convaincu. Elle risque de ne pas voir le jour, même si sa portée symbolique risque de porter atteinte aux relations déjà tumultueuses avec la France puisqu’elle est censée servir de moyen de pression, celle-ci finira bien au fond d’un tiroir. “C’est juste un moyen pour faire pression sur Paris”, a expliqué Bouhedja qui ne semble pas très convaincu de cette démarche. Risque-t-elle aussi de contrarier la démarche diplomatique concernant ces relations ?
Paradoxalement, les autres membres de la direction refusent de discuter, surtout pas des problèmes internes du parti, quand bien même ils sont étalés sur la place publique.
Et le FLN est ainsi devenu comme les autres partis et s’achemine, comme le prédisent certains observateurs, s’il poursuit cette décadence, vers sa mise au musée. Ce qui ne laisse pas une grande marge de manœuvre pour ses responsables. Le 9e congrès sera un indicateur.
Djilali Benyoub