Un cheminot de grade 1 reçoit 12 480 DA comme salaire de base, avec, en prime, la prison si le train déraille. Virée chez ces hommes du fer qui ne demandent qu’à être alignés sur le SNMG.
Derrière les nouveaux trains pimpants électriques récemment acquis par la SNTF, il y a les hommes de la graisse. Ces hommes responsables de la vie de millions de voyageurs, d’un matériel coûtant une fortune et de la bonne marche d’un bon bout de l’économie nationale. La plupart d’entre eux ne sont pas payés au SNMG. Un cheminot de grade 1 reçoit
12 480 DA comme salaire de base, avec, en prime, la prison si le train déraillait.
Virée chez ces hommes du fer qui ne demandent pas grand-chose, sauf d’être alignés sur le SNMG.
Au commencement, c’était un communiqué. Celui envoyé par la direction aux travailleurs à l’occasion du 1er mai. «Après les félicitations d’usage, la direction a évoqué la situation de l’entreprise, laissant entendre qu’il n’y aura pas d’augmentation de salaires, du moins jusqu’à novembre prochain. Les cheminots étaient à bout. Ils disaient tous basta à l’injustice !» déclare Omar, un cheminot excédé.
La gare Agha, en cette matinée pluvieuse de jeudi, était pleine… de trains. A l’arrêt. Sur un quai, Hedda contemplait un beignet à travers ses grosses lunettes, dont les verres sont probablement obsolètes. Hedda habite ici, sur le quai. «Elle est cheminote à la retraite et n’a rien gagné dans cette vie. Elle n’a même pas un toit, alors elle a élu domicile ici à la gare», nous dit un cheminot, très angoissé à l’idée que son avenir ressemblerait à celui de sa collègue.
Deux poids, deux mesures
L’endroit est scindé en deux compartiments, l’un réservé aux vieux trains ressemblant à des boîtes de sardines, l’autre aux nouveaux trains électriques suisses. D’ailleurs, sur «la rive nord», un hangar aménagé luxueusement a été aménagé pour le suisse Stadler afin qu’il puisse maintenir les trains.
«Ils ont signé un contrat de dix ans de maintenance. Ce hangar, à l’époque où nous l’utilisions, était dans un état dégueulasse. Nous, nous travaillons dehors maintenant, de l’autre côté de la rive !» dit Hocine, un agent de maintenance.
Un cheminot de grade 1 est rémunéré à 12 400 DA de salaire de base, en deçà du SNMG. Un chef-manœuvre, qui dirige toutes les manœuvres du train, est lui à 14 000 DA après 23 ans de service.
«Nous en avons marre des injustices. Le Président nous a augmentés le SNMG, alors nous voulons cette augmentation, c’est tout !» crient des cheminots. «Nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes exclus de toutes ces augmentations de salaires annoncées. Ce sont toutes ces injustices qui nous ont poussés à déclencher ce mouvement de grève», déplore un autre.
Le porte-parole de la cellule de crise est sollicité de partout. «Ecoutez, les choses sont simples. Il faut que l’opinion publique sache que nous avons une seule revendication : nous ne demandons pas la lune, nous voulons uniquement que nous soyons alignés sur tous nos camarades travailleurs algériens payés au SNMG. Nous exigeons l’application pure et simple de l’article 52 de la convention collective», dit-il.
A l’administration, on soutient que le taux de suivi de la grève s’essoufle à 40 %. En bas, la gare est vide. «Aucun train ne fonctionne. La grève est suivie à 100 % et à l’échelle nationale», déclare Saïd, le tableau des horaires des trains où est mentionnée l’annulation de toutes les rotations à la main.
Hypertension artérielle, asthme et hernie discale
L’anecdote est vraie. «Nous avons l’impression, lorsque nous sortons des soutes pleins de graisse et d’huile, d’être des rats d’égout, tellement nous sentons mauvais. Nous n’avons aucun moyen décent pour nous nettoyer correctement», dit Mouloud, agent d’entretien, 20 ans de service et 20 000 DA toute primes comprises. «A cause de la pénibilité de notre travail et du stress, nous avons chopé pas mal de maladies.
Mon collègue a le diabète, un autre une hernie discale et moi-même de l’hypertension artérielle et des varices à trop de nous mettre debout et soulever du matériel hyper lourd. Et on ne veut même pas reconnaître que ces maladies sont dues à la pénibilité de nos tâches.
Au contraire, on veut nous prolonger la période de cotisation à 40 ans ! Vous savez, vous ne pourrez pas tenir plus de 20 ans dans ces conditions, c’est inhumain. Vous savez, un collègue a été récemment victime d’un AVC.
Nous l’avons transporté nous-mêmes dans la voiture de l’un de nos collègues à l’hôpital. Ils nous ont supprimé l’ambulance. C’est grâce à une quête entre nous que le malheureux a pu recevoir un peu d’argent pour survivre.»
«Un os et un demi verre de sang»
Ami Lakhdar a 30 ans de service à la SNTF. Cigarette à la main, il discute avec ses collègues sur la situation. Ils sont assis dans le bureau du chef de gare, un endroit complètement délabré. «Jadis, mon fils, nous fonctionnions comme une véritable entreprise professionnelle.
Nous étions l’une des boîtes les plus prospères du pays. Nous avions notre propre imprimerie, notre atelier mécanique et de tôlerie, notre service de plomberie, notre menuiserie… Il y avait même la CNAN qui nous sollicitait pour qu’on lui fasse des pièces !» La cigarette de ami Lakhdar n’était pas consumée qu’il en allume une autre. «Mon fils, quand j’ai intégré la SNTF, dans les années 1970, j’étais kil poupoune (beau, ndlr) et j’avais toute ma santé.
Maintenant, je suis devenu aâdma w’kasse dem (un os et un demi verre de sang, ndlr)», ajoute ami Lakhdar en nous montrant ses deux photos d’avant et après son intégration de l’entreprise.
Saïd, un chef-manœuvre un peu plus jeune que lui dans l’entreprise, réagit. «Nous risquons notre vie et la prison à chaque seconde. Nous sommes responsables des trains dès leur démarrage. Toute cette responsabilité, et même pas une prime.
Alors qu’on ne vienne pas nous bourrer les oreilles avec tout leur baratin d’administrateurs. Ils ne savent rien de ce que nous faisons ou de ce que nous vivons. Je crois qu’ils veulent vendre notre entreprise au privé comme ils l’ont fait pour notre imprimerie et autres !» Des agents chargés de la sécurité du matériel arrivent.
L’un d’eux nous prend par la main et nous emmène sur les rails. «Regardez où nous sommes obligés de travailler !, en nous montrant une bouche d’égout à ciel ouvert. Vous savez, en nous mettant ici pour pouvoir relier les trains entre eux, nous risquons de tomber à tout moment dans l’égout, si ce n’est pas une taupe qui vous tombe dessus. Cela sans parler du manque d’éclairage. La nuit, nous travaillons dans l’obscurité.»
Mohammed était un sportif de premier plan. Il était même entraîneur de karaté. «Hélas, je suis devenu un fumeur invétéré. Après quelques années passées ici, j’ai complètement changé de comportement, tellement la pression au travail est forte. Ma femme, le soir, ne peut pas m’adresser la parole sans que je m’énerve contre elle. Je suis devenu irritable.»
«L’argent de la SNTF va dans des futilités»
Il est vrai que la SNTF était l’un des fleurons de l’économie algérienne. Elle était, par exemple, la première à avoir introduit l’informatique dans son administration, bien avant Sonatrach. Elle avait même la capacité de devenir prestataire de services pour diverses entreprises et dans divers domaines.
Cela grâce à son tissu d’ateliers allant de l’imprimerie jusqu’à la plomberie. Que s’est-il passé donc pour qu’une entreprise de cette envergure continentale devienne «incapable» de payer ses employés au SNMG ? «Ecoutez, n’y allez pas loin.
Vous voyez ce parking attenant à la gare Agha ? Eh ben, il est donné au privé ! Imaginez un seul instant qu’on voulant garer votre véhicule dans le parking de l’entreprise où vous travaillez, on vous demande de payer ! C’est aberrant.
L’administration a installé un scanner aux guichets alors que la gare est ouverte à tous les vents. Notre argent va dans des futilités. Ils ont privatisé toutes les sections de l’entreprise, et maintenant ils nous ramènent un privé pour nettoyer les voitures des trains.
En quittant la gare Agha, fait inhabituel pour ce cinquième jour de grève des cheminots. Les quais grouillaient de monde. Mais, c’étaient des syndicalistes qui élisaient refuge sur les quais pour tenir une réunion d’évaluation. Le mot d’ordre était le même, la mobilisation continue.
Youcef Kaced