La réalité est amère. Près de 20 millions d’Algériens pauvres vivent dans des communes déshéritées sans grandes ressources.
L’impôt local, seule panacée qu’espéraient les pouvoirs publics pour la redistribution des richesses, comme le filet social, n’est pas la solution. Et plus les communes restent pauvres, plus le front social gronde. La solution ? Les experts proposent comme prélude une extension du gisement de la fiscalité locale
Ces recettes pourraient se transformer en projets porteurs qui, subséquemment, atténueraient le fardeau du budget de l’Etat. Plus de 20 millions d’Algériens sont classés actuellement dans la frange sociale des pauvres. Une proportion qui avoisine plus de la moitié de la population.
C’est un constat effarant dressé par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. Pis encore, il existe près de 800 communes pauvres en Algérie qui accusent un grave déficit de budget, au point où la réfection ne serait-ce que d’un trottoir ou d’une route relève presque de la prouesse.
Pourtant, l’Etat qui a institué un fonds spécial pour les collectivités locales devait financer ces communes déshéritées en leur fournissant les aides directes pour ne pas qu’elles succombent dans la faillite.
Cette réalité est contrariée du fait que ces communes dépendent à 90 % des subsides de ces fonds qui mettent parfois du temps pour être ventilées selon les besoins de chaque commune. L’expert économiste Malek Serrai a livré, en novembre 2012, une estimation sur cette situation, soulignant qu’il existe 1 249 communes pauvres.
Un chiffre, selon lui, qui représente 74 % des communes. Pour autant, la fiscalité locale reste l’unique moyen pour renflouer les caisses pour un temps. Lors d’une journée parlementaire consacrée dernièrement à l’impôt local, c’est le directeur de la législation au ministère des Finances, Kaidi Brahim, qui s’est montré critique sur la question du recouvrement de l’impôt local et sa redistribution.
Le fonds d’aide aux communes alimente à hauteur de 70 % les besoins de ces communes, qui n’arrivent pas pourtant à sortir de la zone rouge. Un autre chiffre, selon le même responsable, est révélateur.
En effet, les ressources affectées à l’ensemble des communes s’élève à 712 milliards de dinars et représente, selon les données du FMI, quelque 4,4 % du PIB, ce qui est conséquent vu le volume des enveloppes.
A contrario, l’argent disponible n’arrive pas à situer les bonnes perspectives pour ces communes. Sur 500 habitants, selon une enquête dressée par le Ceneap en 2011, 120 manquent de raccordement au réseau d’électricité et n’ont pas de revenus qui avoisinent le SNMG.
Le ratio d’occupation de logement est dérisoire sur ces 800 communes. Il représente 1,2 % du taux global de l’occupation des logements. Le chômage occupe également des proportions inquiétantes du fait de l’absence d’un pôle économique créateur d’emplois et stabilisateur du front social.
Très souvent, la précarité pousse ces habitants à mettre à profit le marché de l’informel. Selon une autre enquête menée par le même centre, il est indiqué que «le taux de pauvreté dans les communes les plus pauvres se situe à une moyenne de 8 % dans les zones urbaines et 15,1 % dans le milieu rural».
A retenir que ce seuil est celui de 2009 alors que les estimations de certaines institutions revoient les chiffres un peu à la hausse. 60 % du budget des pauvres pour l’alimentaire Les pauvres en Algérie ont une singularité. 60 % de leur budget sont consacrés exclusivement à l’alimentaire.
Le centre des études sur la population révèle quelques détails sur la gestion du portefeuille des familles pauvres dans les communes les plus enclavées. Sur les 60 % de ce budget d’une famille de 4 personnes, le quart est destiné à l’achat de céréales, 14 % pour le lait, 13,5 % pour les légumes secs et 11,5 % pour les fruits.
Ces indices sont plus minutieux lorsque la même famille consomme 8 000 DA de produits alimentaires de base (lait, oeufs, pain, légumes secs), d’autant que le revenu maximal ne dépasserait pas les 15 000 DA.
Cela sans compter les dépenses pour la scolarité des enfants et les charges locatives dans les cas rares. Car près de la moitié de ces familles vivent dans des logements de fortune (un F2 pour 5 personnes).
Sur les 1 541 communes que compte l’Algérie, les disparités entre pauvres et ceux des classes moyennes ne cessent de se creuser. «Les dépenses alimentaires bloquent toute initiative d’améliorer le niveau des revenus», estime un sociologue du Cread, regrettant que le filet social accordé aux couches précaires ne dépasse pas les 3 000 DA.
Il reste certain, selon d’autres sources, que les 800 communes les plus pauvres ne disposent que de très peu de foncier destiné au bâti pour les nouveaux logements.
Les distorsions sur les revenus restent aussi importantes qu’il y a une dizaine d’années. Malgré l’augmentation du SNMG, les habitants des 55 communes les plus pauvres indiquent qu’ils ne disposent d’aucune source pécuniaire et touchent le maigre filet social accordé par les services de la DAS.
Pis, le PIB par habitant a régressé en l’espace de 10 ans (1999-2010). De 700 dollars, il ne dépasse pas aujourd’hui les 300 dollars, soit moins du tiers de ce que gagne un Européen moyen et 10 fois moins que le revenu moyen d’un citoyen de Malaisie.
Au mieux, le PIB d’un habitant algérien prenant en compte la parité pouvoir d’achat et revenu est relativement stable par rapport à ses voisins, où le taux de pauvreté dans les zones urbaines est plus important. Mais les experts jugent la question sous un autre angle.
L’économiste Naji Benhassine, qui fait partie du comité de réflexion «Nabni», nuance plutôt la question : «Le taux de pauvreté ainsi que les inégalités ont tous deux baissé. Mis à part la période de la décennie noire des années 1990, le revenu par habitant n’a cessé de croître depuis l’indépendance, pour atteindre plus de 700 dollars par tête en parité des pouvoirs d’achat en 2011».
Toutefois, le spécialiste relativise : «Cependant, en comparant l’Algérie à la fois à des pays partis du même point il y a 50 ans et a d’autre à revenu intermédiaire, malgré une rente importante, notre pays n’a pas connu la trajectoire de développement qu’il aurait pu atteindre compte tenu de son immense potentiel.»
Etendre le gisement fiscal : une solution de compensation Les économistes, dans leurs différentes interventions, soulignent qu’enrayer la pauvreté des communes ne peut se faire qu’avec une amélioration de la fiscalité locale.
On apprend que les collectivités locales ne disposent pas encore d’un pouvoir local, et ce malgré un code communal dont l’un des chapitres promulgués parle d’une «institution fiscale locale autonome».
Des experts juristes et fonctionnaires des impôts l’ont signalé précédemment lors d’un débat à l’APN organisé par la commission des finances de l’Assemblée, où il est indiqué que «l’article 122 de la Constitution ne leur donne pas de prérogatives en matière d’instauration d’une taxe ou d’un impôt. Leur création est dévolue au Parlement qui doit légiférer dans ce sens, selon l’alinéa 13 dudit article.
Dès lors, les collectivités locales sont totalement tributaires de la redistribution de la fiscalité ordinaire, soit un taux de 20 %». M. Kerri, directeur des finances locales au ministère de l’Intérieur, regrette «les inadéquations entre la redistribution des impôts et les missions attribuées aux communes».
Cela se traduit, souligne-t-il, par des «difficultés à financer des projets ou prendre en charge l’entretien des établissements scolaires ou centres de santé». Toutefois, les mairies disposent d’un impôt de taille qui est la taxe de l’assainissement et la taxe foncière. Selon une source du ministère de l’Intérieur, ces impôts ne sont pas recouvrés par le Trésor public.
«Depuis le changement des prérogatives des services extérieurs du Trésor, les impôts ne recouvrent pas les redevances qui ne leur sont pas directement dues ou qui ne constituent pas des recettes pour le budget de l’Etat», explique un cadre du même ministère.
Seulement 10 % de la taxe foncière sont recouvrés. Ce qui ne constitue pas une grande recette pour le budget communal et sa redistribution pour le filet social. Les mairies sont donc dépourvues de prérogatives qui leur permettraient d’étendre leurs gisements fiscaux, au-delà des impôts directs qu’ils perçoivent.
«Les communes les plus riches n’ont pas ce problème mais les plus pauvres sont surtout à vocation agricole et en situation de déficit constant». Et de là, l’amélioration du sort des classes pauvres s’en trouve hypothéqué.
La solution qui s’offre est dans le renforcement des ressources du fonds des collectivités locales qui, selon une source du ministère des Finances, va accroître ses dotations pour les communes pauvres, étant donné que celles-ci ont été épongées de dettes colossales l’année dernière.
D’autres proposent carrément une «banque des pauvres» qui, à l’image de certains pays du Sud, accorderait des crédits à taux d’intérêts bonifiés pour la seule catégorie des pauvres n’ayant d’autres subsistances que la force de leurs bras.
Ce projet est à l’étude, mais les sceptiques doutent de son efficacité. Du reste, c’est encore le budget de l’Etat qui est vu comme ultime recours pour sauver les communes de leurs misérables ressources. Il n’y a pas, pour l’heure, point d’autres voies.