Le magistrat s’est intéressé, hier, particulièrement au Franco-Libanais Ragheb Chemaâ qui aurait joué un rôle capital dans l’ascension du groupe Khalifa, à l’extérieur du pays. Ragheb Chemaâ aurait présenté Moumen aux émirs saoudiens, aux hommes d’affaires américains, et à deux reprises, il a rendu possible une rencontre avec le président libanais, Amine Lahoud.
Abdelwahab Réda, chargé de la sécurité personnelle de Moumen Khelifa, a été le premier à être interrogé, hier, par le tribunal criminel de la cour de Blida. C’est un ancien officier de l’armée. Au bout de plus de vingt ans de carrière, son dernier salaire au sein de cette institution ne dépassait pas les 60 000 DA contre un salaire de 150 000 DA pour son poste au sein du groupe Khalifa. Réda Abdelwahab était l’homme de confiance de Rafik Moumen Khelifa, au point de détenir les clés de sa villa. Il l’accompagnait aussi lors de ses déplacements à l’étranger. Le président de l’audience a consacré près d’une demi-heure à le questionner sur le pourquoi d’un tel salaire. “À l’époque, je pense qu’un ministre n’était pas payé autant et le salaire d’un député ne dépassait pas les 100 000 DA”, fait remarquer le magistrat qui sait parfaitement qu’un haut salaire n’est pas un délit en soi.
Adelwahab Réda sera le premier à reconnaître depuis le début de ce procès qu’il retirait pour le compte de Khelifa Moumen des sommes d’argent de la caisse principale de Khalifa Bank, sans remettre de documents au caissier. Il se présentait à l’un des guichets disponibles, le directeur de la caisse Akli Youcef sortait et lui remettait des enveloppes cachetées, selon ses dires. Il y a eu deux fois 200 000 DA, une fois 500 000 DA, une fois 10 000 dollars et, enfin, 30 000 euros. Si, à son retour de cette mission un peu particulière, il ne trouvait pas son employeur à la maison, il mettait, suivant ses consignes, le sac dans un tiroir d’un meuble du salon. Il affirme que cet argent a été retiré sans une traçabilité, puis il se rétracte, et précise que lui, personnellement, n’a rien signé à la remise des sommes, mais ignore si les responsables de la caisse ont régularisé la situation de ces retraits. Il ajoute qu’il sait, par sa proximité avec Moumen, que le premier retrait a été consacré au paiement des employés de maison : les femmes de ménage, le chauffeur et le jardinier. Les 10 000 dollars ont été retirés la veille de leur départ au Mali. Ils ont servi au paiement des frais d’atterrissage à Bamako. Il révèle avoir également été chargé par Abdelmoumen de lui ramener une autre enveloppe, toujours de la caisse principale, contenant 30 000 euros, la veille de son voyage aux USA en 2002, pour assister au Forum des hommes d’affaires.
“Je le sais parce que, parfois, je l’entendais parler au téléphone, et parfois, les retraits précédaient des déplacements à l’étranger.” Les avocats de Moumen Khelifa ont réagi en précisant que ces retraits étaient opérés sur le compte personnel du golden boy et régularisés par la suite par l’administration de la caisse principale.
Réda Abdelwahab : “Moumen était contrarié par l’impossibilité de retrait de 5 millions de dinars”
Étonnant, un garde rapproché sans arme. Réda Abdelwahab concède être propriétaire d’un fusil à pompe avec autorisation qu’il garde dans sa maison. Le procureur général lui rappelle qu’il a été envoyé par Moumen pour le retrait de 5 millions de dinars de la caisse principale en 2003, juste après l’interpellation, sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, du DG de Khalifa Airways et deux autres proches collaborateurs en possession de plus de 2 millions d’euros en grosses coupures. Réda Adelwahab soutient qu’Akli Youcef a refusé de lui remettre cette somme. “Khelifa était contrarié quand je l’ai informé de la nouvelle, mais il ne m’a pas manqué de respect comme rapporté dans le dossier de l’instruction.”
Il parle vaguement des personnalités qu’il rencontrait dans le cadre de ces voyages. Il cite un célèbre architecte et le comédien Gérard Depardieu. Mais le procureur général s’intéresse à une personnalité particulière : le Franco-Libanais Ragheb Chemâa et son statut au sein du groupe Khalifa. Ragheb Chemâa est soupçonné d’être derrière l’idée des stations de dessalement de l’eau de mer dont l’achat à une société saoudienne aurait été utilisé, selon le dossier judiciaire, comme subterfuge pour blanchir l’argent.
“Il était directeur de Radio Orient en France. Il était aussi consultant du groupe Khalifa en France, mais n’avait pas de fonction en Algérie”, répond Réda Abdelwahab. Le juge lui demande plus de détails. “Il est connu dans le monde du business européen, américain et au Moyen-Orient. Il a introduit Moumen et prenait des commissions tout en établissant les factures sous le nom de sa société en France qui s’appelle Euromed. C’est lui qui lui a ramené l’opération d’achat de la société allemande de construction.” Ragheb Chemâa aurait présenté Moumen à deux reprises au président libanais Amine Lahoud, aux émirs saoudiens, au monde des affaires américain. Toute l’évolution du groupe à l’étranger a été rendue possible grâce à ses offices.
Il est questionné sur la soirée cannoise. Réda Abdelwahab affirme n’y avoir pas assisté. Mais il dit avoir été convié à celle de Paris, à laquelle Ragheb Chemâa était présent. Il ajoute que les voyages qu’effectuait Moumen Khelifa étaient majoritairement destinés à redorer l’image de l’Algérie à l’étranger. À l’instar de sa participation au Forum des hommes d’affaires tenu à Philadelphie, aux États-Unis. En France, les amis de Khelifa, aujourd’hui très discrets, se nommaient, notamment, Gérard Depardieu, Hervé Bourges, Karl Zéro… Pour s’en convaincre, il suffit d’énumérer les invités présents lors de la soirée cannoise donnée le 3 septembre 2002 pour le lancement en France de KTV : Pamela Anderson, Naomi Campbell, le chanteur Sting… En tout 300 VIP se promenant dans les allées d’une propriété payée 45 millions d’euros.
Le directeur général adjoint de la comptabilité et du budget qui ne sait rien
Le deuxième accusé à passer à la barre est Toudjane Mouloud, directeur général-adjoint. Cet ancien cadre de la BNA était chargé de la comptabilité à Khalifa Bank à partir de l’année 2000. Il constituait une sorte de doublant avec Nekkache Hamou qui occupait le même poste.
Inculpé dans le cadre de cette affaire, ce dernier est mort il y a cinq ans. Pourquoi deux directeurs-adjoints chargés de la comptabilité et du budget ? La question intrigue le tribunal criminel. Lors de son audition, Moumen Khelifa l’explique par la politique “des four eyes”. C’est-à-dire que c’était voulu pour que chacun surveille l’autre. Toudjane affirme que Nekkache et lui “ont essayé au début de former une sorte de tandem et partager le travail”. Mais cette situation a fini par ne plus arranger Toudjane qui a rédigé une lettre de protestation, suivie d’une démission en 2002. “La direction générale m’a demandé de faire un préavis de 6 mois et je suis resté jusqu’à l’arrivée de l’ex-administrateur de Khalifa Bank, Mohamed Djellab, et le liquidateur”. Le juge lui demande si Djellab était étonné de voir deux DG adjoints de la comptabilité et du budget. Il répond : “Oui. D’ailleurs, il a procédé à la réorganisation des directions de la banque et m’a laissé seul chargé de la direction de la comptabilité.”
À la question de savoir s’il a entendu parler des retraits opérés par les proches de Moumen Khelifa de la caisse principale de Chéraga, il répond qu’il n’a eu ces données que lors du procès de 2007. Il endosse tout à Hamou Nekkache, qui était, selon lui, chargé de gérer les bons de caisse et les écritures entre sièges. Il commence par soutenir qu’il n’était pas au courant des 11 écritures entre sièges qui devaient servir à régulariser le trou de 3,5 milliards de dinars, constaté par les inspecteurs de l’IGF, et qui ont été à l’origine de l’éclatement du scandale de Khalifa Bank en 2003. Mouloud Toujane concède, par la suite, que Nekkache lui a bien parlé de ces 11 écritures entre sièges et qu’il lui a conseillé de ne pas signer les PV de régularisation. Le président d’audience brandit les deux expertises effectuées durant l’instruction, le rendant responsable des anomalies financières dans la comptabilité de Khalifa Bank au même titre de Hamou Nekkache. “Je ne m’occupais pas des écritures entre sièges. C’était la tâche de Nekkache”, réaffirme Toudjane. Il déclare n’avoir pas non plus assisté à la réunion des cadres de Khalifa Bank chargés, selon l’arrêt de renvoi, par Moumen Khelifa, de trouver une solution au trou financier de 3,5 milliards de dinars.
Le troisième inculpé interrogé est Dallal Ouahab, ancien inspecteur de police, comptabilisant 8 ans de carrière. Au sein de Khalifa Bank, il occupait le poste de responsable de la sécurité et de la prévention. Sa mission consistait en la sécurisation du transport de fonds, protection des personnalités et inspection des agents de sécurité. Il avoue que Chachoua Adelhafid, P-DG de la société de sécurité et prévention, l’a envoyé à deux reprises chercher de l’argent à la caisse principale de Khalifa Bank. “Chachoua m’a dit : tu es en mission et tu dois aller à la caisse principale pour récupérer quelque chose. Akli Youcef m’a remis deux scellés, l’un contenant de l’argent et l’autre une clé. Je les ai remis à Chachoua au siège de la direction de Khalifa Bank.” “Durant l’instruction, vous avez déclaré que vous aviez été envoyé 5 à 6 fois”, dit le magistrat. “Non, deux fois seulement. Je suis catégorique”, réplique Dalal Ouahab.
N.H.