70E MOSTRA « E la nave va! »

70E MOSTRA « E la nave va! »

Et cette 70e édition de la Mostra, a des airs de navire dont la proue était en train de ne plus servir à grand-chose…

On quitte Venise, la Sérénissime, avec un mixte de sentiments que l’on se garde de les faire se croiser. Tant ils risqueraient de s’inscrire en porte-à-faux, les uns vis-à-vis des autres…

D’un côté, il y a la ville, toujours aussi envoûtante, même pour celui qui s’y rend depuis plus de deux décennies… Et il est aisé de le vérifier, au gré, de ces «écoles buissonnières» faites à la Mostra, pour aller se perdre dans la ville, son marché, sa halle aux poissons, autant de lieux aussi anciens que ses recoins «perdus» où l’on se retrouve, soudainement, dans ces «campo» vénitiens où le linge pend sur des cordes tendues entre deux enfilades de demeures se faisant face. L’utilisation de l’espace est pensée avec beaucoup de goût.

Et vogue le navire…

Aucun débordement, aucune «agression» esthétique. Une cohabitation entre l’homme et la nature qui n’existe nulle part ailleurs que dans ces villes du Nord, de l’Europe, où l’exiguïté des terres habitables incite à faire preuve d’une imagination à toute épreuve, comme à Bruges, en Belgique, et toutes ces villes hollandaises, gagnées à la mer, grâce à ces polders, ces étendues de terre, situées plus bas que le niveau de l’eau. Ceci pour les bons souvenirs.

Les autres, ceux qui pourraient fâcher, se résumeraient en une expression «e la nave va» («et vogue le navire»), comme ce titre du film de Fedérico Fellini, présenté, il y a exactement 30 ans, ici, à la Mostra… Fellini y dépeignait, dans un style baroque, la mise en abîme d’une société mondaine, qui avait l’air d’avoir perdu la page écrite du temps de «La Dolce Vita», par exemple. Et cette 70e édition de la Mostra, a des airs de navire dont la proue était entrain de ne plus servir à grand chose… Depuis le début de la semaine, le Dottore Barbera, le «Capitaine» de cette nef, tente plus d’une explication, pour rassurer, à défaut de redresser la barre. La dernière en date se résume en une explication aussi alambiquée qu’inutile: «Avec les Américains, ça devient un cauchemar! (…) Aujourd’hui, les grands studios, la Fox, la Paramount, etc., alors-même qu’ils venaient encore à Venise dans les années 1990, ne viennent plus dans les grands festivals.» Ceci n’explique pas tout, surtout quand on commet cette grossière erreur de mettre hors-compétition, le film le plus intéressant de cette édition, Locke, de Steven Knight! «Pour des raisons un peu longues à expliquer, je ne l’ai pas fait. C’est une erreur. La vraie surprise de ce festival, c’est lui», concédera Alberto Barbera. Trop tard!

Knight, le réalisateur de cette véritable pépite, était connu, jusque-là, surtout pour ses qualités de scénariste, qui sont grandes, et qu’il a mises entièrement dans ce film qui révèle une autre facette de l’étonnant Tom Hardy, dans le rôle de Locke, qui sera pendant 85 minutes, le seul protagoniste d’une histoire qui se déroule entièrement dans une voiture et en temps réel! Une nuit inoubliable dans tous les sens du terme: marié, père de deux enfants, Locke a «commis» une seule «sortie de route», avec la femme qui est entrain d’accoucher cette nuit-là. Il décide de se rendre à son chevet. En même temps, il doit, toujours au téléphone, persuader son épouse, qu’il l’aime toujours et qu’il reviendra vers elle, le jour d’après. Locke, dont la conscience professionnelle semble chevillée au corps, doit aussi «épauler», son assistant, au bout du fil aussi, qui doit faire couler, cette nuit-là, des tonnes de ciment, nécessaires aux fondations d’un gigantesque gratte-ciel… Un seul protagoniste donc, Locke (Tom Hardy), un seul décor (l’habitacle d’une BMW), des protagonistes qui n’interviendront que par leur seule voie, en off, des dialogues au cordeau. Une tension en crescendo, insoutenable.

Toutes ces situations extrêmes, sont donc gérées, simultanément, par téléphone, par Locke, du volant de sa voiture. S’il n’y avait ce procédé conceptuel visuel, on se serait crû perdu dans une nuit durassienne, celle que la romancière française a si bien décrite dans Navire Night…

Une friture bien fade

«Locke» aurait survolé, avec brio, cette compétition et ravi aussi bien le Lion d’Or que le Prix d’interprétation masculine, au lieu de cela nous avons eu droit à une «frittura mista» des plus fades, en guise de Palmarès, que les plus indulgents vont qualifier de «radicale» (sic)….

A propos de «E la nave va», Serge Daney écrivait au lendemain de sa projection à Venise (septembre 1983): «D’où vient la relative déception devant le film? Ou plutôt: pourquoi la déception, qui est un des grands sujets felliniens, est-elle-même décevante?

Les grands films de Fellini sont en général ceux où il escamote en cours de route et le sujet noble du film et sa matière triviale. Escamoter n’est ni montrer, ni démontrer, mais c’est tout l’art de Fellini. Or dans E la nave va, l’unité de lieu finit par se retourner contre Fellini, l’empêchant de trouver des lignes de fuite, le privant d’ironie. Prestidigitateur sans chapeau et sans sourire, soudain obligé de gérer la lourdeur (en argent et en signification) du film-galère, danseur ankylosé qui, à force de chercher en tout le détail qui tue, filme «tout au détail» et ne surmonte pas la peur de couler avec l’ensemble». Il suffirait de «détourner» cette lumineuse réflexion du génial critique français et de l’adapter à la Mostra, pour comprendre pourquoi le Festival de Venise a fait cette sortie de route si flagrante, malgré les panneaux de signalisation qui annonçaient (comme pour ce film de Fellini) un «festival-galère»…

Lion d’or: Sacro Gra, un documentaire de Gianfranco Rosi (Italie)

Lion d’argent du meilleur réalisateur: Alexandro Avranas, pour Miss Violence (Grèce)

Grand Prix du jury:? Stray Dogs, de Tsai Ming-liang (Chine)

Coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine: Elena Cotta, dans Via Castellana Bandiera (Italie)

Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine: Themis Panou, dans Miss Violence (Italie)

Prix Spécial du jury: Die Frau des Polizisten, de Philip Gröning (Allemagne)

Prix Osella du meilleur scénario: Philomena, de Stephen Frears (scénario de Steve Coogan et Jeff Pope) (Royaume-Uni)

Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune interprète: Tye Sheridan, dans Joe (USA)

Prix Luigi de Laurentiis du 1er film: White Shadow, de Noaz Deshe (USA)

Prix Orizzonti: Eastern Boys, de Robin Canpillo (France)

Prix Fipresci: Tom à la ferme, de Xavier Dolan (Canada)