70E Mostra de Venise,Ana Arabia… ou l’histoire d’un cri

70E Mostra de Venise,Ana Arabia… ou l’histoire d’un cri

Le film d’Amos Gitaï a scotché les festivaliers

C’est l’histoire de Leïla Djebarine, née juive polonaise, rescapée du camp d’Auschwitz et qui se convertira à l’Islam pour épouser un Arabe.

Leïla Djebarine est toujours en vie, elle vit du côté de Jaffa. C’est elle qui inspirera à Amos Gitaï son dernier film Ana Arabia. Pourquoi elle, justement, et pas une autre? La réponse se trouve dans la filmographie de Amos qui s’est distingué du lot des cinéastes de la région, en 30 ans de pratique sans concession aucune!

Il y a de cela quelque 30 ans, lors d’un entretien autour de son documentaire, House (1981), le deuxième d’une carrière prolifique et dérangeante pour les va-t-en-guerre de la région et qui se recrutaient dans le triangle de feu d’alors: Tel-Aviv / Jérusalem / Jéricho…, Amos Gitaï nous relata, entre deux rires, l’échange qu’il a eu avec un journaliste israélien qui, tout en lui reprochant avec véhémence, d’avoir fait un documentaire pro-palestinien (House-El Beït) lui demandait: «Est-ce que tu n’as pas fait ce film pour Yasser Arafat?». La réponse du cinéaste a été cinglante: «J’ignore si Arafat aime le noir et blanc, mais pourquoi pas?».

House est un documentaire qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque et continue de faire réagir chaque fois qu’il est programmé quelque part. Amos Gitaï y montre un médecin palestinien devant son ancienne maison à Jérusalem, Ouest, qu’il a dû abandonner lors de la Nekba de 1948. Les Israéliens l’avaient réquisitionnée en vertu d’une loi (dite loi sur les «absents») que seul un occupant indu peut concocter… Louée à un couple de Juifs algériens, puis revendue, achetée par un professeur d’université qui entreprend de la transformer… Sur le chantier se succèdent les anciens habitants, les ouvriers, le nouveau propriétaire, les voisins. Le film fut censuré par la télévision israélienne.

«Gitaï veut que cette maison devienne, à la fois quelque chose de très symbolique, et de très concret, qu’elle devienne un personnage de cinéma. Il arrive l’une des plus belles choses qu’une caméra puisse enregistrer en direct: des gens qui regardent la même chose et qui voient des choses différentes. Et que cette vision émeut. Dans la maison à moitié éboulée, des hallucinations vraies prennent corps. L’idée du film est simple et le film a la force de cette idée. Ni plus ni moins.´´ avait écrit Serge Daney (Libération, 1er mars 1982). Un film, un «simple» documentaire (qui dit mieux?) a résumé en une bonne poignée de minutes, l’histoire de la dépossession d’un peuple (le Palestinien) et les différentes occupations de cet espace qui était à l’origine une partie de la Palestine par des colonisations successives qui l’ont réduit en un volet du projet sioniste, fondé essentiellement sur la politique du fait accompli…. C’est ça aussi House de Gitaï, qui est revenu cette année à Venise avec le film qui a scotché les festivaliers présents lors de la première de Ana Arabia (Je suis Arabe), une phrase que lancera la fille du vieux Youssef à la journaliste israélienne venue enquêter sur l’histoire de ce couple mixte (une juive et un musulman), ou du moins ce qu’il en restait de cette histoire qui avait défrayé la chronique, il y a de cela 30 ans! En fait, c’est l’histoire de Leïla Djebarine, cette dame évoquée au tout début de cet article, en réalité, née juive polonaise, rescapée du camp d’Auschwitz et qui se convertira à l’Islam pour épouser un Arabe de Oum El-Fahem… Gitaï en avait parlé dans un autre de ses documentaires Wadi.

Pour les besoins de la fiction, le film commencera après la mort de cette femme, dans ce quartier délabré (un haouch), avec l’arrivée de Yaël, la journaliste venue rencontrer Youssef, veuf de sa femme Hannah Klibanov, devenue Siam Hassan. Yaël dévidera la quenouille de cette tragédie humaine qui a pour cadre une terre, décrétée sainte pourtant, mais qui déborde de sang et de douleur… Elle veut tout savoir: «Elle est comme nous, comme le spectateur qui entre dans cette enclave. Elle pose les questions que nous nous posons», estime Gitaï. En guise de préambule, et comme pour expliquer le secret de cet amour sous le temps de l’occupation, pour rester sur un ton «marquezien», le vieux Youssef racontera en deux mots la légende de Antar qui défendit l’honneur de la tribu de Abla, et vint à bout de l’escouade de guerriers venus les piller: «Savez-vous pourquoi Antar sortit vainqueur?… Parce qu’il était noir et Abla, blanche… Et qu’il l’aimait»…

Yaël va donc découvrir que cette enclave, entourée d’habitations modernes, a été en quelque sorte une oasis, celle où l’on se réfugie et où l’on étanche une soif devenue inextinguible, par ailleurs à cause de la folie des hommes, de leur lâcheté et de leur culte de l’injustice érigée en lois du plus fort. La fille de Siam/Hannah est aussi douce dans son propos que désenchantée, mais elle n’a aucune colère en bandoulière comme celle que porteraient les mâles de la région, pour pérorer inutilement (enfin presque).

Elle n’est en aucune façon pour la victimisation, mais dans une réalité, la sienne qu’elle a érigée, en évidence, sans acrimonie aucune et qu’elle affirmera avec douceur en une seule phrase: «Ana Arabia» dite à Yaël, juste avant la fin de ce plan-séquence de 86 minutes, la longueur du film, en fait: «Avec Ana Arabia nous voulions relever le défi de créer un plan-séquence de 81 minutes. Ça signifie qu’il n’y a pas de coupes parce que je ne veux pas qu’il y ait une coupure des relations entre les juifs et les Arabes, entre les Palestiniens et les Israéliens» (…) «Il faut qu’on trouve une façon de coexister. Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme, nous sommes tous des contradictions (…) mais pour moi, la paix n’est pas une équation parfaite, c’est un choix personnel de gens qui veulent régler des conflits normaux sans tuer». A l’heure où les Arabes, enfants, femmes, hommes et vieillards, tombent par centaines chaque jour sous des balles arabes, en attendant qu’inévitablement Netanyahu trouve un autre «prétexte» pour larguer ses bombes sur Ghaza, ou ce qu’il en reste, ce cri «Ana Arabia», entendu à la Mostra de Venise, résonne comme un rappel nécessaire que pendant les massacres, la tragédie palestinienne continue…