68e festival de cannes : Les caricaturistes font leur cinéma

68e festival de cannes : Les caricaturistes font leur cinéma

Notre dessinateur Slim a fait la montée des marches à Cannes, car accompagnant un film documentaire d’une importance capitale sur la liberté d’expression qui sonde le degré de démocratie dans le monde.

Le Festival de Cannes s’intéresse de plus en plus ces dernières années à la liberté d’expression. On se demande pourquoi. Le cinéma y garde une place de choix certes, mais le monde des médias a son importance d’où cet intérêt peut-être pour cet instrument qui sert à informer le monde. Une production franco-italo-belge coordonnée par Plantu et l’Association Cartooning for peace/dessins pour la paix, créée en 2006, suite à l’affaire des «caricatures de Mahomet» a été réalisée et montrée à Cannes cette semaine. Le film documentaire est coécrit par Radu Mihaileanu. Il sortira le 28 mai dans les salles.

L’Association a été impulsée par le dessinateur Plantu et Kofi Annan (ancien secrétaire général de l’ONU). Voilà comment est présenté le projet filmique dans le dossier de presse « 12 fous formidables, drôles et tragiques, des quatre coins du monde, des caricaturistes, défendent la démocratie en s’amusant, avec, comme seule arme, un crayon, au risque de leur vie. Ils sont: français, tunisienne, russe, mexicain, américain, burkinabé, chinois, algériens, ivoirien, vénézuélienne, israélien et palestinien.» L’Algérien n’est autre que le père de Zina et Bouzid, Slim qui a fait la montée des marches lundi dernier avec ses comparses dessinateurs, à la suite de la projection du film en hors compétition à Cannes dimanche matin.

Un film coup de poing qui a suivi chacun de ces artistes dans leurs pays respectifs pour sonder le pouls de la société et le degré de sa tolérance à partir de ces petits dessins croqués, pas comme les autres. Un documentaire qui se veut ne pas tracer des portraits, mais plutôt des artistes par pays et continent afin de donner à voir un état des lieux de ce «dessin» dans le monde. Cela a été fait par thématique aussi, dont la religion, l’économie, la politique, le narcotrafic au Mexique etc. Une suite dans les sujets afin de construire des passerelles lors du montage entre ces fantassins «de la plume».

Rencontrée, en aparté, lors d’une table ronde organisée à l’adresse de la presse internationale, la réalisatrice de ce documentaire, Stephanie Valloatto, nous parlera d’emblée de l’affaire de Charlie Hebdo et de ce dessin de Mahomet qui a provoqué un tollé dans le monde. Une réponse suscitée suite à notre question insistante sur cette affaire qui a défrayé la chronique l’an dernier. «La réalisation de ce film n’est pas liée directement avec ce qui s’est passé avec Charlie Hebdo. Les caricatures de Mahomet ne nous intéressaient pas fondamentalement dans notre film, c’est pour cela d’ailleurs que c’est placé, stratégiquement, dans le film, au milieu.

On en parle juste parce que cela fait partie de l’histoire des caricatures, car cette histoire existe et cela a été un choc pour tout le monde. Il y a du politiquement correct dans toutes les sociétés y compris européennes et dans certains pays c’est une vraie atteinte à la démocratie. Ce qui nous intéressait était de faire passer ce message, à savoir il faut se battre chaque jour pour la liberté d’expression et les dessinateurs sont les témoins principaux de ça. Il y a aussi beaucoup d’humour dans le film. Je ne pense pas qu’on rentre dans la polémique. Il y en a qui peuvent aller très loin effectivement et ce n’est pas du goût de tout le monde, en effet.

Encore une fois, attention à ne pas confondre lorsqu’on dénonce un extrémisme et une religion! J’ai eu souvent des réflexions raccourcies dans ce sens. Je réponds que musulman et islamiste fondamentaliste n’est pas la même chose. C’est très important de le répéter.» Ce film, Fantassins de la démocratie ne pourra jamais sortir en Russie car il est encore impossible aujourd’hui de faire des dessins sur Poutine.

Les dessins du caricaturiste russe le plus connu du pays, Zlatakovsky, ayant reçu de nombreux prix internationaux sont interdit de publication. Pour survivre, il a même été jusqu’à exercer le métier de chauffeur de taxi illégal la nuit. En France, la censure, nous dit notre interlocutrice, s’exerce différemment. Elle évoque Plantu qui bénéficie d’un succès énorme et d’une grande liberté d’expression dans ses dessins sur Sarkozy, mais qui pourrait souffrir de pression qui s’exercerait via des atteintes politiques. «Il pourrait recevoir des lettres et des pressions.

Celles-ci ne se feront par le conseil d’administration du journal Le Monde qui, parce qu’il y a des politiques dedans qui vont essayer de jouer ce rôle, il y a aussi les groupes économiques qui financent le journal, c’est comme cela que ça se passe.» Il est bon aussi de savoir que les dessins qui figurent dans ce film ont été réunis grâce à l’effort de l’association Cartooning For Peace dans un livre qui sortira incessamment en France. Un livre qu’une maison d’édition française a refusé de publier. «On reprend tous les dessins qui sont dans le film d’après les interviews que j’ai réalisées. Le texte du livre raconte leur histoire. Le groupe Bayard a refusé d’éditer le livre à cause du dessin de Benoît XVI en pédophile, donc cela a été repris par Acte Sud. On n’allait pas se faire censurer alors qu’on fait un livre sur la liberté d’expression!», conclut-elle.