68E festival de Cannes, Le bonheur des choses simples

68E festival de Cannes,  Le bonheur des choses simples

La cinéaste Naomi Kawase

Le cinéma asiatique, sans démériter, est en force cette année, notamment avec le film en course pour la Palme d’or, Our little sister de Kore-Eda Hirokazu et le bouleversant An de Naomi Kawase qui a marqué l’ouverture de la section Un certain regard…

Profiter du bonheur même éphémère, se battre sans trop se résigner mais aimer ce qu’on a et même si on ne réussit pas à humer les petites choses de la vie vous donnera sûrement une raison d’exister, un sens à votre vie, ce serait peut-être ça la morale du film An de Naomi Kawase qui après Still the water en compétition officielle revient cette année dans la catégorie Un certain regard où elle a ouvert jeudi cette sélection sous l’émerveillement du public et du jury présidé par Isabella Rosellini, tombés en pamoison devant ce film si beau, si triste, lequel a été très longuement applaudi à la fin de la projection.

Un film de deux heures qui, très méditatif vous plonge dans un état quasi mystique, hypnotique, voire d’apnée même s’il a fallu attendre la seconde partie pour bien accrocher vraiment. Adapté du roman de Tetsuya Akikawa, ce long-métrage s’intéresse aux solitaires, en décrivant une relation d’amitié triangulaire entre trois âmes en peine, un cuisinier malheureux traînant un passé de prisonnier et des regrets, une vieille dame et son passé teinté de maladie et ses conséquences, la lèpre et une jeune fille mal dans sa peau. Un jour cette dame arrive dans la boutique du cuisinier et lui demande du travail. Après une longue hésitation, il accepte. Sa principale tâche consiste à l’aider à préparer de bons haricots confits. Sa recette: les écouter comme on tendrait une grande oreille sur le monde et apprécier ce que l’on a et travailler à le rendre meilleur de tout son coeur.

Si la première partie se veut un peu lente mais bien intrigante l’histoire de cette vieille dame qui vient prendre le dessus est si bouleversante que l’on ne peut que succomber au mystère de la nature qui vient nous donner une belle leçon de destinée, à savoir qu’il faut pouvoir apprécier la vie à sa juste valeur. Car cette vieille dame a passé 50 ans de sa vie dans un sanatorium spécialisé pour les lépreux, dont une loi abolie qu’en 1995 imposait à ces gens de vivre reclus en dehors du reste du monde. Ainsi, ces gens ont vu leur temps s’arrêter et leur âme d’enfant rester intacte d’où les gestes et attitudes attendrissants de cette femme qui rappellent ceux d’un enfant et pourtant, de ces mains enlaidis vont naître des mets des plus délicieux et rejaillir la beauté qui est en chacune de ces personnes. De la sagesse nipponne planera de tout son aura également dans Notre Petite soeur de Koreeda en compétition officielle.

Trois soeurs, Sachi, Yoshino et Chika, vivent ensemble à Kamakura. Par devoir, elles se rendent à l’enterrement de leur père, qui les avait abandonnées une quinzaine d’années auparavant. Elles font alors la connaissance de leur demi-soeur, Suzu, âgée de 14 ans. Impressionnées par la force de son caractère déjà, elles décident alors de l’emmener pour aller vivre ensemble dans leur grande maison bien vieille pourtant.

Les histoires de familles surgissent. Rien n’est simple. Si l’aînée ne parle pas trop à sa mère car l’accusant d’avoir laissé son père partir avec une autre, elle entretient à son tour une relation avec son patron à l’hôpital, qui lui aussi est marié mais finit au bout du compte à la demander en mariage et partir avec elle aux USA. Mais c’est trop tard. Elle préfère rester et s’occuper d’un nouveau rayon de soins palliatifs, dont il lui revient la charge à l’hôpital, en pensant à son père dont elle aurait pu s’occuper si elle avait été à ses côtés. Retrouvera-t-elle dès lors son enfance volée telle sa petite soeur grandie trop vite pour s’occuper des autres?

Le temps est un élément décisif dans les deux longs-métrages car il permet la réflexion avec de fortes touches d’émotion. Deux films basés sur les sensations d’abord et une mise en scène épurée avec de larges plans des plus éthérés et une musique qui se dessine comme un cri tourné vers soi-même. Marqués de sérénité aussi comme des vagues à l’âme.

Dans An, la cuisine est au centre du plaisir et du partage. Idem dans le second film, les soeurs se plaisent à fabriquer elles-mêmes selon une tradition séculaire du jus de prune comme on se lèverait en pleine aube pour mijoter pendant des heures ces haricots dont la réalisatrice en fait presque un personnage à part entière.

«C’est un film sur le bonheur et comment le vivre et l’apercevoir» dira Naomi Kawase en préambule de la projection. Un film qui rappelle quelque peu les

oeuvres de Terence Malik et ses arbres de la vie tant la nature est omniprésente et sa délicatesse humaine quasi palpable.

La plénitude est bien là. Toute une culture qui nous est offerte comme un conte enchanté mi doux mi amer. Somme toute comme la vie qu’on devrait prendre et relativiser avec philosophie. Savoir faire le deuil de l’absent, sans trop renoncer à son bonheur est le mot de la fin de ces deux films même si le second est encore plus remuant par l’histoire tragique de cette vieille dame dont il est fort à parier qu’elle recevra un prix!

Un autre film qui vous en donne plein la gueule dans un registre cependant totalement différent est Il raconto del raconti de Matteo Garone qui est revenu cette année dans la course de la Palme d’or avec un film qui se décline tel un conte avec de grosses têtes d’affiches. Doublement sacré par le Prix du jury au festival de Cannes – la première fois pour sa fresque brutale sur la mafia napolitaine (Gomorra, 2008) et la seconde, quatre ans plus tard, pour sa comédie sur la télé-réalité (Reality, 2012), le réalisateur italien revient avec un film fantastique qui met en scène trois fables qui finissent par se croiser. La première est celle d’un prince né d’un sacrifice d’une mère, à savoir Selma Hayek, la seconde d’une princesse mariée de force à un ogre dont elle finit par trancher la tête et celle d’un roi, campé par Vincent Cassel, obsédé sexuel qui finit à son tour par être trompé sur la «marchandise»….

Si le film emballe par son côté flamboyant fantastique et ses jolis clins d’oeil aux fabuleux tableaux qui rappellent bien des contes de Grimm, mais aussi Alice aux pays des merveilles et autres oeuvres tels 20.000 lieux sous les mers de Jules Vernes ou encore des chefs-d’oeuvre de la peinture classique européenne, tel ce fabuleux tableau de Vermeer, La laitière le film dénonce en contre-pied l’obsession justement de l’apparence et de la beauté.

L’esthétisme outrancier et le lifting auxquels beaucoup de femmes ont recours pour rajeunir en rêvant d’un nouveau bain de jouvence qui leur redonnera force et vitalité, pouvoir et richesse est le thème sur lequel jouera notre réalisateur. Un film qui réussit son pari du clinquant sans trop marquer les esprits au final car loin d’être brillantissime. Un film que l’on oublie vite dès lors la porte du palais franchie. Paradoxe des temps modernes où la matière prime sur la spiritualité et la beauté sur les valeurs. Un film qui en dit vrai pourtant et dénonce la frivolité de notre époque.

Marché du film

Promotion du cinéma arabe

Le festival de Cannes ce ne sont pas que des films et des starlettes qui montrent leurs culottes sur le tapis rouge c’est aussi beaucoup d’affaires et de contrats qui se signent au sous-sol du Palais du festival où un rayon gigantesque est consacré aux cinémas du monde. Au milieu de tout cela, nous avons pu distinguer celui qui depuis deux ans maintenant, tente de promouvoir le cinéma arabe en Occident. En effet, Mad Solutions a lancé le centre arabe qui réunit à la fois plusieurs institutions, festivals, boîte de production, de distribution, voire même des fondations qui ont rassemblé leurs efforts pour donner de la visibilité aux films arabes dans des festivals et même de prestigieuses manifestations dont Berlin et Cannes. Comme nous l’a assuré le directeur artistique du Festival oriental de Genève (le Fifog) Tahar Houchi, qui affirme que le centre Arab Cinéma «a pour objectif de promotion du cinéma arabe en Occident car on a constaté que les films arabes avaient de la peine à se faire une place honorable dans les festivals internationaux par manque de marketing, de lobbying, et de promotion. Ce centre vient combler ce vide…» Pas loin, nous tombons dans un autre pavillon, sur Philippe Diaz le producteur du fameux projet de film sur l’Emir Abdelkader dont beaucoup d’encre a coulé l’an dernier. Un projet gelé pour une histoire d’argent détourné. Le producteur français n’a pipé mot sur cette affaire préférant ne rien dire, arguant avoir été sommé en Algérie, de ne rien dire, encore moins sur les dessous de son contrat qui le liait au ministère de la Culture sans cesser de dire qu’il n’a pas eu de suite depuis presque un an et qu’il ne sait pas ce qui se passe. Difficile de le croire…