Il est temps que l’on s’interroge sur la meilleure manière de gouverner le pays
1- Quelques mots pour conclure
En tout, l’Algérie a eu 8 présidents et chefs d’Etat. Ils sont restés à la tête du pays durant des périodes qui diffèrent (graphe 1) et qui varient entre 4 jours (Benhabylès) et plus de 5170 jours (Bouteflika). Ils n’ont eu ni le même temps, ni les mêmes moyens, ni la même situation sécuritaire pour diriger le pays.
Lorsqu’on dessine la courbe d’évolution du nombre des ministres par gouvernement (graphe 2), on remarque que:
-c’est lors de son troisième gouvernement que Ouyahia a battu le record du nombre de ministres par gouvernement en totalisant 54 ministres, précédant Brahimi qui, lors de son deuxième gouvernement mobilisa 48 ministres.
-c’est Boumediene qui détient le record du plus petit nombre de ministres (son premier gouvernement de 3 ministres)
-si l’on excepte les pics (Boumediene 1, Brahimi 2 et Ouyahia 3), il y a un changement notable dans la manière de former les gouvernements depuis Ouyahia 1. En effet, c’est à partir de là que les gouvernements ont commencé à devenir de plus en plus «lourds» dépassant de manière ininterrompue la moyenne nationale qui est de 32.34 ministres.
Changements à grande vitesse
Qu’est-ce que cela peut signifier? Cela signifie surtout que nos gouvernements se constituent autour de nombres trop élevés de ministres, par rapport à ce qui se faisait, ce qui dénote un manque d’austérité dans le budget de fonctionnement de l’Etat. Pour rappel, le gouvernement Obama, c’est-à-dire celui du pays le plus puissant du monde, ne comporte que 16 ministres et un vice-président, alors que notre moyenne nationale dépasse les 34 ministres.
Sur le plan de la durée, on constate (graphe 3) que les gouvernements changent à grande vitesse, avec une durée de vie moyenne d’une année à peu près par gouvernement. Ceci crée une certaine instabilité gouvernementale, c’est-à-dire une instabilité des gouvernements et des ministres. Les gouvernements ont une durée de vie trop courte et cette situation, due au départ, à la crise que traversait le pays (à partir du gouvernement Merbah), s’est malheureusement perpétuée. Elle continue à ce jour. L’actuel gouvernement (Sellal) n’est là que depuis le 03 septembre 2012 et la rumeur fait état déjà d’un nouveau remaniement!! Par le passé, les gouvernements duraient bien plus longtemps si bien que, en 27 ans de pouvoir, Boumediene et Chadli n’avaient désigné, en tout, que 14 gouvernements. Bouteflika, à lui seul, en a formé autant mais en seulement 14 ans de pouvoir. Cette réduction de la durée de vie des gouvernements ne favorise pas le travail. Elle empêche toute continuité et perturbe l’attention. Lorsqu’on a une instabilité de gouvernement qui débouche sur une durée moyenne nationale de 478 jours (à peine une année et quatre mois), il ne faut pas espérer quelque chose de fiable de la part des ministres car dans ce cas, les ministres ont à peine le temps de préparer leur arrivée à la tête d’un secteur et aussitôt leur départ. Ils ne vivent que dans l’attente des remaniements. Certes, certains ministres restent à la tête de leur secteur après plusieurs remaniements mais ceci n’est pas valable pour tous les secteurs, d’une part et, d’autre part, lorsque c’est le cas, ce n’est pas toujours pour de bons résultats. Il suffit de rappeler que Benbouzid est resté à la tête de l’Education nationale durant 14 gouvernements sans trop de résultats, ou plutôt avec les résultats qu’on connaît: une école ruinée et des réformes qui ont lamentablement échoué. Qu’on regarde aussi Chakib Khelil, resté à la tête de l’énergie et des mines durant douze gouvernements avec le résultat qu’on connaît aussi. Ould Abbès a tenu la Solidarité pendant 11 longues années. Quant à Harraoubia, il est à la tête de l’enseignement supérieur durant 11 gouvernements (c’est-à-dire depuis le 04 juin2002), et l’université ne fait que se détériorer. Le niveau des étudiants a chuté, la sérénité universitaire est perdue, la recherche est absente et, pour compléter le tableau, le nombre de cadres partis à l’étranger durant cette période dépasse sans doute celui de toute la période qui l’a précédée. Barkat a fait neuf gouvernements à la tête de l’agriculture sans rien améliorer, Heureusement que Benaïssa s’en est mêlé.
Cherif Rahmani a dirigé l’aménagement du territoire pendant 12 gouvernements, et nos villes sont toujours incroyablement sales, détériorées, mal conçues, mal aérées alors que nos grandes villes (Alger, Constantine, Oran) sont devenues tout simplement invivables. Le choix de ces ministres ne s’est certainement pas effectué sur la base de critères sérieux. On est loin du slogan lancé par Boumediene «compétence, d’engagement et d’intégrité» qui aurait sans doute aidé l’Algérie s’il était respecté. Après cinquante et un ans d’indépendance, et à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie de gouvernement par l’instabilité, nous ne savons toujours pas gouverner. Nous continuons à nommer et à dégommer les gouvernements et les hommes, sans trop leur donner le temps nécessaire pour faire quelque chose et sans même prendre en considération la nécessité de la continuité pour le bien du pays et pour le bien-être des citoyens.
En cinquante et un ans d’indépendance, nous avons eu 39 gouvernements. 9 furent dirigés par un seul et même chef de gouvernement (Ouyahia) alors que 14 furent nommés par un même président (Bouteflika). Cela donne une idée sur la vitesse à laquelle se remanient les gouvernements et c’est à croire que nous sommes en crise depuis toujours, ce qui n’est pas vrai pourtant. Par ailleurs, il y a lieu de remarquer que, malgré tout, certains ont bien collé à ces remaniements tels Cherif Rahmani qui fut ministre 20 fois, Ghlamallah qui a été ministre dans 16 gouvernements, Saïd Barkat nommé ministre dans 13 gouvernements, Amar Tou, 12 fois ministre et la liste est longue, bien longue!
Il est peut-être temps…
Après cinquante et un ans, et malgré tout, si nous continuons à faire les longues chaines devant les guichets de poste et des banques pour retirer nos salaires, si nous nous entassons devant les guichets Sonelgaz pour payer nos factures, si nos routes sont toujours aussi dangereuses, si les inondations continuent à tuer chez nous, tout comme les écroulements du vieux bâti, si les pauvres continuent à s’appauvrir, si les entreprises demeurent toujours incapables de relever le défi de la productivité et de la compétitivité, si notre école ne cesse de dégringoler, si nos enfants continuent à fuir le pays quitte à servir de nourriture aux poissons, c’est finalement peut-être parce que tout cela a quelque chose à voir avec la manière dont nous avons été gouvernés jusque-là.
Si les préposés aux guichets ne savent toujours pas qu’ils sont là parce que c’est leur travail et non un service qu’ils nous rendent, si les chefs de service ignorent qu’on peut mieux gérer que par l’anarchie dans les couloirs, si les directeurs continuent à ignorer comment motiver les subordonnés, si le client est toujours méprisé, si le citoyen continue à être simplement ignoré, c’est sans doute parce que cela doit avoir quelque chose avec la manière dont nous avons été gouvernés jusque-là. Si la veille de chaque Ramadhan, on continue à se réunir pour annoncer au peuple qu’il y aura de la bouffe, si à la place d’une économie de marché, nous avons érigé une économie de souk, si une partie de notre opposition croit que son rôle consiste à applaudir sans jamais s’arrêter, cela doit certainement être lié à la manière dont nous avons été gouvernés jusque-là.
Après cinquante et un ans d’indépendance, il est peut-être temps que l’on comprenne pourquoi rien ou presque ne va chez nous et il est temps aussi que l’on s’interroge sur la meilleure manière de gouverner le pays.
Graphe 1 : durée des présidents algériens à la tête du pays (en jours)
Graphe 2 : le nombre de ministres par gouvernement
Graphe 3 : la durée des gouvernements (en jours)