50 ans après l’Indépendance, elles ne sont pas baptisées ,40 000 rues sans nom à Alger

50 ans après l’Indépendance, elles ne sont pas baptisées ,40 000 rues sans nom à Alger

À titre d’exemple, l’on cite la ville de Londres qui dispose de plus d’un million de noms de rue, alors qu’en Chine, l’on enregistre chaque année la création de 20 000 nouveaux toponymes.

Brahim Atoui, chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) à Oran et membre d’une unité de recherche sur les systèmes des dénominations en Algérie (Rasyd), a révélé, mercredi, devant les participants au Colloque national sur “la toponymie et anthroponymie en Algérie : politiques et pratiques ; 50 après l’Indépendance”, que “l’Algérie, non seulement n’a pas eu de politique toponymique mais surtout, elle n’a pas nommé son espace à ce jour”.

Pour lui, tout ce qui a été construit post-indépendance est resté sans dénomination. “Des villes entières ont été construites sans qu’aucune de leur rue soit nommée”, affirme le communicant. À Bachdjarah, Bab-Ezzouar, Aïn Naâdja à Alger, à la ville dite nouvelle Ali-Mendjelli à Constantine, en passant par Es-Sénia et Bir El- Djir à Oran, par exemple, quasiment aucune rue ne porte de nom. “Les deux tiers des rues de l’agglomération d’Oran sont dépourvues de dénomination, soit environ plus de 3 000 voies de communication (…) Pour les nommer, il nous faut autant de noms”, précise Brahim Atoui. Selon lui, et rien qu’a Alger, les rues qui ne sont pas nommées sont estimées, d’après les services du ministère de l’Habitat (2006), à plus de 40 000 toponymes. “Le nombre de rue portant un nom à Alger est d’environ 2 800, celui d’Oran, environ 1 684, presque autant que durant la période coloniale”, ajoute-t-on. À titre illustratif, il cite l’exemple de la ville de Londres qui dispose de plus de un million de noms. Alors qu’en Chine, chaque année, il y a la création de 20 000 nouveaux toponymes. Cette situation est mise en exergue par le conférencier qui en situe les causes. “C’est ce qui s’est passé pour la tentative de 1981, car il n’y avait pas d’autorité nationale de toponymie ayant une politique clairement définie et travaillant en concertation avec les différents départements ministériels, les institutions concernées et les chercheurs dans ce domaine.” Les rémanences de ces dysfonctionnements trouvent leur prolongement avant la colonisation en l’absence du politique, pendant la colonisation par la prise en main de la dénomination de l’espace par le politique et durant la période post-coloniale par le constat d’une réelle carence dans le domaine de la gestion toponymique. Les premières dénominations coloniales apparurent dès 1830. “Il fallait prendre non seulement des distances principalement avec la sphère arabo-musulmane, mais également de marquer et de rattacher linguistiquement et politiquement l’espace algérien par une nouvelle toponymie rappelant l’histoire de la France latine et chrétienne”, affirme le conférencier. “Sur les 225 odonymes (noms de rue) que comptait la ville d’Alger de l’époque, il n’en restait que 12 après 1832”, estime-t-il. Dans sa communication, Brahim Atoui rappela que l’administration française renforça sa mainmise sur la détermination de noms de lieux, de personnes et de tribus où il fallait “effacer toute référence à un passé d’où pourraient surgir des sentiments nationalistes et ne rappeler aux habitants aucun souvenir militaire ou religieux dont on pourrait tirer part, dans un but de révolte”. Le conférencier étaye sa thèse en s’appuyant sur le rapport du Senatus Consulte sur les Hannacha du 2 mars 1867 qui fait ressortir que, de 4 229 tribus et fractions de tribus avant la colonisation, et en autant de noms, il ne restait qu’environ 1 448 douars après l’application de ces lois, correspondant grosso modo, à nos communes actuelles. Ainsi, de 2 177 tribus ayant comme nom un ethnonyme ou un hagionyme, il n’en restait que 446 après l’application du Senatus Consulte ! Il faut rappeler que la toponymie et l’anthroponymie couvrent la grande masse des noms de lieux et de personnes avec toutes les catégories qu’elles supposent : les oronymes (noms de montagnes), les hydronymes (noms de cours d’eau), les odonymes (noms de rues), les patronymes, les prénoms, les surnoms, les sobriquets, les pseudonymes, etc. Il faut aussi gérer cette masse de désignations, plusieurs millions de noms propres de lieux et de personnes, non seulement comme objet d’étude pour les historiens et les géographes par exemple, mais aussi pour les fonctions économiques, sociales, culturelles, patrimoniales qu’elle remplit : culture, tourisme, sécurité, secours, aviation, assure l’intervenant. Pour en revenir au colloque, il se fixe comme objectifs d’établir un bilan de l’état des noms de lieux et de personnes en Algérie, de leurs gestions intentionnelles (juridique, administrative, linguistique, technique…), d’exposer les résultats des travaux de recherche universitaire sur la toponymie et l’anthroponymie algérienne (Crasc, universités de Mostaganem, Oran, Tizi Ouzou, Béjaïa, Sétif, Constantine, Tlemcen, Alger, Sidi Bel-Abbès) au travers des différentes approches mises en œuvre : linguistique, géographique, historique, anthropologique, juridique, sémiotique, littéraire, de mette à niveau les institutions nationales utilisatrices de la toponymie sur les dernières dispositions en matière de législation internationale et de créer la société savante, “Société algérienne d’onomastique”.

K. R I