50 ans après les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris,Nouveaux témoignages sur un crime d’Etat

50 ans après les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris,Nouveaux témoignages sur un crime d’Etat

Les blessures sont toujours vivaces

Le passé colonial de la France a été marqué par d’importantes atteintes aux droits de l’Homme.

Alors que des actions sont menées par des associations et collectifs pour faire reconnaître les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris comme un «crime d’Etat», et afin que la vérité et la justice retrouvent leur place dans la mémoire collective, victimes, écrivains et historiens livrent des témoignages des plus accablants cinquante ans après. En tant qu’historien et militant des droits de l’Homme, Gilles Manceron milite toujours pour que la France reconnaisse officiellement ces massacres comme un «crime d’Etat». «La demande de vérité et de justice doit absolument être satisfaite», a-t-il estimé sans ambiguïté aucune.

Et de poursuivre: «C’est un sujet grave qui doit être largement débattu en France et sur lequel les candidats à l’élection présidentielle de 2012 doivent être amenés à prendre position.» D’ailleurs, qualifiée «d’encourageante» l’annonce par certains d’entre eux de leur participation à la manifestation parisienne du 17 Octobre 2011, derrière la banderole «17 Octobre 1961: reconnaissance du crime d’Etat». l’agence de presse locale l’a interrogé sur les moyens de contraindre les plus hautes autorités de l’Etat à reconnaître ces massacres. Gilles Manceron est catégorique: «Il faut que les plus hautes autorités de l’Etat reconnaissent ce fait, ne serait-ce qu’afin que les mentalités héritées de la colonisation ne viennent pas empêcher le développement aujourd’hui d’une société vraiment démocratique.»

Mémoire collective

Car, pour lui, c’est en expliquant cela qu’on amènera les plus hautes autorités de l’Etat à éviter le retour de ces drames. «Elles s’entêtent dans le déni de la répression du 17 Octobre 1961, un déni qui est emblématique de l’absence de reconnaissance de ce que le passé colonial de la France a été marqué d’importantes atteintes aux droits de l’Homme», a-t-il regretté. Bien qu’actuellement le président de la République française, qui a choisi de se faire élire sur le thème du «refus de la repentance», continue de tenter de séduire dans la perspective des prochaines élections présidentielles, Gilles Manceron indique que «dans la société française, l’exigence de reconnaissance est de plus en plus forte».

La bataille de Paris

Pour preuve, «les maires de sept communes de la banlieue ouest de Paris ont voulu rendre hommage, le 17 Octobre 2011, aux victimes algériennes, sur le pont de Neuilly, qui a été l’un des principaux lieux de massacre», a-t-il informé. En tout cas, poursuit-il: «Tôt ou tard, les plus hautes autorités de la République française seront contraintes de cesser de s’enfermer dans ce déni de la réalité», a-t-il conclu.

Un autre témoin qui n’est autre que le président de l’Association des moudjahidine de la Fédération du FLN en France 1954-1962, Akli Benyounès qui, lui, parle de la «Bataille de Paris» à laquelle se livrèrent les services de répression français, appuyés par des groupes de harkis implantés dans les quartiers où résidait une forte communauté d’émigrés algériens. Les blessures sont toujours vivaces.

«La police française et ses supplétifs se livrèrent à des rafles et à des enlèvements de milliers d’Algériens pour les soumettre, dans des commissariats et d’autres lieux ouverts à cet effet, aux techniques de la torture les plus barbares et les plus humiliantes», témoigne Benyounès.

Selon lui, la chasse à l’homme particulièrement sanglante qui fut déclenchée à travers tout Paris, a été accompagnée de 12.000 à 15.000 interpellations dont 3000 envoyés en prison et 1500 refoulés dans leurs douars d’origine. 300 à 400 morts par balles, par coups de crosse ou par noyade dans la Seine, 2400 blessés et 400 disparus ont été dénombrés à l’issue de ces violences policières, a rappelé l’ancien coordonnateur. Les souvenirs de ce mardi noir d’Octobre 1961 remontent en surface dans la mémoire de tous les survivants.

Askri Ahmed, dit Mokrane, chef de la super zone Paris rive gauche, est revenu sur les faits.

«Notre action militante se déroulait la nuit et le couvre-feu est venu la rendre totalement périlleuse. Durant cette période, nombre de nos responsables ont été arrêtés par la police alors qu’ils partaient en mission», se rappelle-t-il, avant de signaler que la situation devenait «intenable» et il n’était «plus possible» pour les responsables du FLN de poursuivre leur travail au sein de la communauté.

«C’est sur ces données portées dans le détail à la connaissance de la Fédération du FLN que la décision a été prise d’organiser une manifestation pacifique des Algériens à Paris», ajoute-t-il, précisant qu’il était prescrit qu’aucun cadre du FLN n’y participe afin de «limiter les dégâts, car les rangs du FLN venaient de se rétrécir suite aux vagues d’arrestations, faisant même craindre l’anéantissement de l’organisation». Pour sa part, le journaliste et écrivain Georges Mattei apporte lui aussi un témoignage accablant. «L’impression que je garde des scènes de violence, a-t-il dit, c’est que le peuple de Paris s’est transformé en indicateur, en auxiliaire de la police et dénonçait les Algériens qui se cachaient dans des maisons pour échapper à la sauvagerie.»

Les chiffres officiels de cette répression font état de trois morts et, pour préserver cette version, la presse est interdite sur les lieux du massacre.

Aujourd’hui, les photos exceptionnelles d’Elie Kagan, prises clandestinement par ce photographe, seul témoin à avoir immortalisé les Algériens ensanglantés, révèlent l’ampleur du drame dans cette nuit tragique.

Tout compte fait, précise Gilles Manceron: «Les historiens continuent à travailler sur ces questions, et, d’ores et déjà, ils ont contribué, ces dernières années, à mieux faire connaître à l’opinion française cet épisode tragique.»