Celui qui a écrit son dernier livre « Nedroma petite ville, grands noms » à la double loupe (personnelle et celle du PC) vue défaillante oblige, nous quitta un jour du Ramadhan 1432 (août 2011) à l’âge de 93 ans, après 46 années entièrement consacrées au service de l’éducation et de la culture en Algérie, au Maroc et en France.
Cheïkh Mohammed Benamar Djebbari est né le 21 janvier 1918 à Nédroma, où il a fait ses études primaires à la fois chez le «fkih» et à l’école française. Il a fréquenté ensuite l’Ecole primaire supérieure d’El Qala’ de Tlemcen de 1932 à 1937. Il a été admis à l’Ecole normale d’instituteurs de Bouzaréah (ENIB) en juin 1937, comme major de la promotion indigène. La troisième année, il se retrouve, non à Bouzaréah mais à la caserne du 19e régiment du Génie à Hussein-Dey et à Douéra. De retour à la vie civile en novembre 1940, il est affecté à l’école de garçons de Nédroma. Titularisé sur son poste, il s’est marié le 24 octobre 1942, mais dès le débarquement américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, il est rappelé comme sous-officier au 45e bataillon des transmissions à Maison-Carré (El Harrach). Démobilisé en septembre 1945, il rejoint son poste à l’école puis au Collège d’enseignement général de Nédroma, enseignant les disciplines littéraires (français, histoire-géographie, dessin) puis les sciences naturelles et physiques, pour se fixer enfin en maths. Il mène alors dans sa ville natale, en pleine «commune mixte», avec le risque de perdre son gagne-pain, une activité intense à la fois pédagogique et nationaliste, en 1945‚ il milite activement à l’UDMA et à l’Association des oulémas, jusqu’en mars 1956.
Pédagogue et nationaliste
La guerre d’indépendance de l’Algérie le contraint à se déplacer avec sa famille à Rabat (Maroc) ; il enseigne tout en militant à l’OCFLN, d’octobre 1956 à juin 1959 les maths, au collège de premier cycle de Settat, puis d’octobre 59 à juin 62 au lycée Moulay-Youcef à Rabat. A l’indépendance, il retourne en Algérie. Il n’est nullement tenté par des situations importantes et préfère rester dans l’enseignement. Dans un pays dévasté et déserté, il faut tout improviser et refaire «à partir de zéro», surtout dans le domaine de la scolarisation et de l’éducation. Un travail colossal mais enthousiasmant lui échoit. Différentes fonctions, souvent cumulées, lui sont confiées. Il les accepte sans rien refuser, sans rien demander en retour. D’octobre 1962 à juin 1969, il est inspecteur de l’enseignement élémentaire et moyen bilingue à Tlemcen (4e circonscription comprenant la zone frontière et la ligne Morice, encore truffée de mines), en recréant et en réorganisant les œuvres complémentaires de l’école (FOCET), assisté des Harchaoui, Tabet Aoul, Medjadi, Addou, Baghli, Lallout, Bouayed, Bendahmane entre autres… Sans compter une activité constante de recherches, d’amélioration et de diffusion de méthodes et de techniques pédagogiques innovantes, au niveau local, national et international (techniques Freinet, méthode de découverte en mathématiques, membre du bureau de la Fédération internationale des mouvements de l’Ecole moderne (FIMEM), chargé de la confection de la «Gerbe internationale, participation à plusieurs RIDEF et congrès en France, en Europe, organisateur de la RIDEF de Tlemcen en 1975. De 1968 à 1971, il est directeur du CEG, CET et école de garçons de Nédroma (poste d’origine obtenu en 1956).
Ecrivain et des livres d’une grande valeur
De 1971 à 1975, il ouvre et prend la direction du nouveau CEM d’Agadir, baptisé aujourd’hui du nom du chahid Djellad, à Tlemcen, où nous avions eu le privilège de collaborer avec lui en qualité de surveillant dit maître d’externat ou communément «pion». A ce titre, voici le mot de dédicace qu’il a bien voulu écrire à notre intention : «C’est avec plaisir que je dédie ce troisième tome à Monsieur Bekkaï Allal en espérant qu’il y trouvera beaucoup de souvenirs de son passage au CEM Agadir.» De 1975 à 1980, il procède à l’ouverture et assure la direction du CEM Abou-Hamou-Moussa II et du CEM Abdelmoumen, tous les deux nouvellement construits, ainsi que le lycée, par la suite, grâce à ses démarches de président de la commission des affaires culturelles et sociales de l’APW de Tlemcen, l’un en tant que titulaire, le second appartenant à l’enseignement religieux, à titre bénévole, pour son intégration à l’Education nationale. Il faut savoir que la haute technicité de cet éducateur, converti par nécessité et aussi par amour du travail bien accompli en véritable entrepreneur, l’a conduit à initier et réaliser plusieurs ouvrages d’art, sans jamais demander «un seul sou» à l’Administration, dans les établissements scolaires qu’il a ouverts, réaménagés ou refaits à neuf. C’est en date du 1er octobre 1980, soit à la veille de la célébration de la Journée mondiale de l’enseignant, qu’il prend sa retraite après 43 ans d’ancienneté jour pour jour, depuis l’admission, à l’ENIB. Abstraction faite des 3 années passées (1981 à 1984) comme inspecteur de l’enseignement fondamental, contractuel. Le riche parcours du regretté Mohammed Benamar Djebbari est également jalonné de livres d’une grande valeur, tels «Un parcours rude, et bien rempli. Mémoires d’un enseignant de la vieille génération» (3 tomes), une trilogie qui lui valut deux lettres de félicitations du président de la République Abdelaziz Bouteflika, dont il décrira le CV, entre autres «ridjel el bled» à travers son dernier livre «Nedroma, petite ville, grands noms».
Il a formé des centaines de cadres de haut niveau
A ce propos, ce condisciple de Abdellatif Rahal (ex-conseiller du président de la République), jouit de l’insigne mérite d’avoir formé des centaines de cadres de haut niveau, de toutes nationalités et confessions religieuses se trouvant actuellement en Algérie, au Maroc, en France, au Canada, en Amérique et ailleurs, à l’exemple de Baghdadi Mohammed, ex-directeur général des domaines, Baghdadi Djilali, magistrat réputé, Sid Ahmed Ghozali, ex-Premier ministre, le général Rahal Yahia, Keddar Ahmed, docteur en sciences nucléaires en Autriche, Benzaghou Benali, ex-recteur de l’université Bab Ezzouar, Medelci Mourad, l’actuel président du Conseil constitutionnel, ainsi que Driss El Basri, l’ancien ministre de l’Intérieur du roi Hassan II, et bien d’autres notoriétés. Il entretenait des relations éditoriales avec Gilbert Grandguillaume, Djilali Sari, Bouamrane Cheïkh, Nadir Marouf, Mahmoud Bouayed, Mahmoud Sari… Lors de la cérémonie «Recueillement» (40e jour) en juillet 2009 dédiée par l’Ecolymet à notre regretté confrère Sid Ahmed Cheloufi, par ailleurs ancien cadre de l’Education, c’est lui qui étrennera cet hommage en faisant écouter un enregistrement audio (sur cassette) réalisé en 1998 à l’occasion d’une émission culturelle dans laquelle le défunt journaliste faisait la «promotion» de la trilogie de son aîné comme il évoquera le rôle de ce dernier en matière d’animation lors du colloque didactique international «RIDEF» en 1975. Pour sa part, le Pr Fouad Ghomari du département de génie civil de la faculté de technologie de Chetouane, avait tenu à nous transmettre ce message nécrologique : «Notre professeur et maître Djebbari Mohammed Benamar nous a quitté aujourd’hui en ce premier jour du mois de Ramadan en l’an 1432 de l’Hégire. Dans ces moments difficiles, nous nous inclinons devant le chagrin de ses proches, enfants et frères ainsi que devant toute la famille de l’Education de la wilaya de Tlemcen qui l’a connu. Il est difficile d’évaluer le sens de la vie d’une personne ; certains vous diront qu’elle se mesure par ce qui reste, d’autres qu’elle est directement liée à la foi ou à l’amour et d’autres vous diront que la vie n’a tout simplement aucun sens. Moi, je crois que la valeur d’une personne se mesure à l’estime qu’elle a suscitée chez les autres et pour cela le défunt a suscité l’estime de tous. Le défunt a été un véritable modèle de rigueur et de sérieux. Engagé, il était toujours présent quand il fallait se battre pour les valeurs et les principes. S’il me tenait à faire une chek-list de tout ce qu’il a accompli, je mets la mention «Excellent» sur toutes les cases.
Un modèle de rigueur et de sérieux
Enseignant, il le fut par vocation parce qu’il croyait en l’adage «A celui qui t’enseigne un mot, tu restes son débiteur pour toute la vie». Combien alors d’êtres humains sont à tout jamais débiteurs du regretté Djebbari ? Après une vie bien remplie, Que Dieu ait son âme et l’accueille dans son vaste paradis.» Quant à nous, la dernière fois que nous l’avons rencontré, c’était au mois de mai 2011 au Palais de la culture, à l’occasion du colloque international sur l’œuvre de Mohammed Dib. Auparavant, nous l’avions côtoyé lors du 6e colloque en mars 2011 sur l’histoire de Nedroma au cours duquel il piqua une colère contre sa permanente et gratuite marginalisation. Le dernier geste de mépris en date à son égard sera enregistré dans le scénario du film documentaire sur Cheïkh Kaddour Benachour Zerhouni Ennedroumi, où on se passa allègrement de ses précieux témoignages à ce sujet. Le département de Benblidia oublia de rendre hommage à ce pilier de la culture à la faveur de 2011. Idem pour celui de Benbouzid à l’époque, atteint lui aussi d’amnésie. Le défunt fut inhumé après la prière de l’Asr au cimetière de Nedroma en ce premier jour du Ramadhan (1er août) en présence d’une foule nombreuse composée de parents, d’amis et du gotha de la cité de Abdelmoumen Ben Ali dont Hadj Ghaffour entre autres. Le cortège funèbre pédestre «na’ch» est passé par les différents repères chers au défunt Cheïkh Ennadroumi.