Quand l’Office national des statistiques (ONS) donne des chiffres très bas (ou trop bas ?) sur le chômage, le gouvernement lance un méga et indécent tapage médiatique, mais quand cet organisme rend publics les chiffres sur le travail au noir — près de 5 millions de salariés non déclarés à la Sécurité sociale —, le gouvernement choisit de garder un silence coupable.
Ces chiffres sont inquiétants à plus d’un titre : ils traduisent, à la fois, l’existence d’un gouffre dans le parapluie de la protection sociale, d’un énorme manque à gagner pour le financement de la retraite, et surtout de désastreuses conséquences pour le droit à la retraite de plusieurs millions de personnes occupées.
Selon les chiffres rendus publics par l’ONS l’été dernier, sur les 9 735 000 occupés, 4 879 000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la Sécurité sociale. Le secteur privé absorbe près de deux tiers du total des personnes occupées en 2010, (65,6%) en 2010 en Algérie, soit un effectif total de 6 390 000 des occupés (dont 799 000 femmes). Les femmes représentaient 15,1% de la population totale occupée, soit un effectif de 1 474 000 personnes. L’enquête a relevé que près de deux occupés sur trois sont des salariés (avec une légère dominance du salariat non permanent, contrairement à ce qui était observé par le passé, les salariés non permanents constituent 33,4% de l’emploi total contre 32,9% pour les salariés permanents). Ce qui traduit la fragilité et la précarité de ce salariat. Par contre, l’emploi indépendant touche un occupé sur quatre. La ventilation de la population occupée selon le secteur d’activité économique fait ressortir des profils différents entre l’emploi masculin et celui féminin. Chez les hommes, les services non marchands emploient près d’un occupé sur quatre dont 22,5% dans le BTP, 17,1% dans le commerce, et 12,6% dans l’agriculture. Chez les femmes une concentration des emplois essentiellement dans le secteur des services non marchands qui absorbe plus de la moitié de l’emploi féminin (54,2 %) et celui des industries manufacturière (27,1% de l’emploi féminin total).
Une perte de plusieurs centaines de milliards de dinars chaque année !
Par ailleurs, «sur les 9 735 000 occupés, 4 879 000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la sécurité sociale, soit un occupé sur deux», précise l’ONS dans cette enquête qui a touché un échantillon de 14 592 ménages. «La proportion des occupés du monde rural qui ne sont pas affiliés à la Sécurité sociale (61%) est beaucoup plus importante que celle des occupés de l’urbain (44,4%). L’ONS indique aussi que 68,4% des salariés non permanents et 80,5% des occupées indépendants ne sont pas affiliés à la Sécurité sociale, durant la même période. S’agissant de la proportion des occupés non-affiliés à la Sécurité sociale selon le secteur d’activité, l’enquête a enregistré un taux de 84,4% des occupés dans le domaine de l’agriculture, 77,8% dans le secteur du bâtiment et les travaux publics (BTP), 71,2% dans le secteur du commerce et 45,9 dans les secteurs des services marchands. «La non-affiliation à la Sécurité sociale semble affecter l’ensemble des secteurs d’activités économiques du secteur privé. 76,4 % de l’emploi total dans ce secteur, soit trois quarts de l’emploi privé total», selon l’enquête. Au regard de ce taux très élevé de non-déclaration à la Sécurité sociale (donc du non-bénéfice du droit à la retraite), il faut rappeler que pour les employeurs de ces salariés lésés, l’affiliation à la Sécurité sociale est une obligation légale. Ces employeurs indélicats sont en infraction par rapport à la législation du travail et à la législation sociale. Si le montant des cotisations sociales des salariés déclarés s’élève annuellement à 600 ou 700 milliards de dinars (dont plus de la moitié finance les retraites), le manque à gagner de la non-déclaration de près de 5 millions de personnes occupées représente une perte de plusieurs centaines de milliards de dinars chaque année ! Le gouvernement a-t-il conscience de cette situation qui menace gravement l’existence du système de protection sociale ? Il y a urgence à lancer un plan Orsec pour faire bénéficier ces millions d’Algériens du droit social le plus élémentaire, consacré par la loi et la Constitution. Le combat contre le travail au noir et contre la fraude sociale doit devenir une priorité et une cause nationales.
Djilali Hadjad